Sara Forestier
Sara Forestier. Elle trouve que son nom est passe-partout, alors elle emprunte celui de Bahia BenMahmoud pour Le nom des gens. Rencontre avec une actrice nature et généreuse.



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Anna Karina, c’est la Nouvelle Vague, une voix grave qui susurre "qu’est-ce que je peux faire, j’sais pas quoi faire", des films tournés avec les plus grands réalisateurs (outre Godard, on compte Rivette, Fassbinder, Visconti, Cukor…), des chansons écrites par les musiciens les plus doués (Serge Gainsbourg, Serge Rezvani, Philippe Katerine), de la beauté et de la grâce, une immense joie de vivre, de la chance… et surtout du talent. On s’attend donc à rencontrer un mythe, et l’on se retrouve face à une femme joyeuse et gaie qui évoque ses meilleurs souvenirs avec un plaisir évident. Reconnaissante à la Nouvelle vague et à son "Pygmalion" Jean-Luc Godard, mais aussi à la vie, qui lui a permis de traverser plus de quarante ans de cinéma en virevoltant encore et toujours au son d’une mélodie indémodable.
EN : C’est vrai que la musique a occupé une part importante de votre vie et de votre carrière…

Ak : Depuis toute petite, je chante. Quand j’étais jeune, je chantais et je dansais dans la rue. C’est comme ça que j’ai tourné dans mon premier court métrage au Danemark : je chantais dans la rue et quelqu’un m’a repérée. Il m’a demandé si je voulais jouer dans un film. J’avais 14 ans, alors j’ai répondu qu’il fallait demander à ma mère ! J’ai passé des essais et j’ai été choisie. le film s’appellait la fille aux chaussures. Sinon, j’ai toujours adoré la comédie musicale. Mon premier beau-père adorait la musique, il pensait avoir raté une carrière de chanteur d’opéra. Il ramenait des disques, des 78 tours qui cassaient, il fallait faire très attention ! je connaissais les comédies musicales américaines, mais aussi le répertoire de Charles Trénet, Edith Piaf, Berthe Sylva… pourtant ce n’est pas ma génération ! J’écoute toujours beaucoup de musique, des choses récentes, mais aussi Nostalgie : j’aime bien les vieilles chansons. Et puis j’ai tourné pendant huit ans avec Philippe Katerine : quel bonheur !

EN : Comment ça s’est passé ? Et la collaboration avec Philippe Katerine ?

AK : Si ça a duré huit ans, à votre avis ! (Elle rit) Nous sommes devenus très amis. Nous avons tourné tous les deux dans toute la France, puis dans les pays de l’Est, au Japon, au Canada… Au Japon, les petites filles étaient habillées comme moi dans Pierrot le fou. Il y en aune qui avait exactement la même robe rouge, avec des lignes… elle était tellement touchante ! On a donné deux concerts à Tokyo et c’était très étrange, car les Japonais, on croit toujours qu’ils n’aiment pas parce qu’ils ne bougent pas, ne disent rien, pas d’applaudissements… 1800 personnes qui ne font aucun bruit, c’est bizarre ! On s’est dit : "on va peut-être raccourcir le spectacle". Et puis, à la fin, ça a été une explosion. Presque de l’hystérie. ils se sont précipités vers la scène, ils criaient… C’est un public très respectueux, mais quand il délire, il délire bien !

En : Comment expliquez-vous que la plupart des chansons que vous avez interprétées, Sous le soleil, Qu’est-ce que je peux faire, etc, aient toujours autant de succès et semblent si modernes ?

Ak : Les sentiments, ça reste, c’est comme les histoires d’amour. Ca ne se démode pas, le sentiment.



EN : Il faut parler d’une autre facette de votre carrière, votre travail de réalisatrice. Vous avez dit une fois que vous conseilliez à tous les acteurs de s’essayer à la réalisation…

AK : Tous les comédiens qui veulent comprendre le travail de metteur en scène devraient en effet essayer de tourner leur propre film, ne serait-ce qu’un court métrage, pour se rendre compte de ce que c’est. De la même manière, tous les metteurs en scène devraient jouer la comédie au moins une fois pour voir que ce n’est pas si simple. Ca leur permettrait de comprendre les difficultés du métier, et l’angoisse de l’acteur. Ils verraient qu’il faut être toujours tendre avec un acteur, car cela ne sert à rien de l’engueuler, à part empirer les choses…

EN : Et vous, que vous a apporté la réalisation ?

AK : C’est plaisant de faire quelque chose à soi, surtout quand on a commencé très jeune et que l’on a toujours vu les autres faire. Bien sûr, tout le monde ne peut pas faire des chefs d’œuvre comme Jean-Luc Godard, mais on éprouve un vrai plaisir de faire quelque chose en images…

EN : Vous avez tourné votre premier film, Vivre ensemble, en 1972. Comment cela a-t-il été perçu à l’époque ?

AK : A l’époque, c’était très mal vu ! Maintenant il y a plein de films réalisés par des femmes, ce n’est plus aussi tabou qu’autrefois. Mais pour moi, ce n’était pas évident. Je crois que j’étais la première comédienne à réaliser un film en France. Les gens me disaient : "mais pourquoi ?" Et pourquoi pas ?! Au départ, j’ai eu des difficultés, notamment à me faire obéir. Après, ça allait mieux.

EN : Comment êtes-vous sur un tournage ?

AK : Plutôt sympathique, d’après ce qu’on m’a dit ! Il faut être très organisée, avoir tout en tête et aller vite. Sur Victoria [son dernier film, tourné au canada], nous étions une toute petite équipe. C’était un tout petit film, il y avait vraiment le minimum… Ca m’a fait penser à Jean-luc Godard et au tournage de Bande à part. c’était vraiment sympa car dans ces conditions, les gens se parlent plus. Moi je préfère travailler comme ça, même s’il faut tout faire, y compris réveiller les acteurs ou déplacer les accessoires !

EN : Finalement, vous jouez, chantez, réalisez, écrivez [elle a signé trois romans]… au fond, à quel art n’avez-vous pas touché ? A la peinture ?

AK : Mais j’ai fait que la peinture, qu’est-ce que vous croyez ? (elle rit) Je pense que tant qu’on ne fait pas de mal aux autres, on a bien le droit de faire tout ce qu’on veut. Pourquoi faudrait-il mettre des tampons, des étiquettes, sur les gens ? Après tout, on ne vit qu’une fois !




   MpM

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