Sara Forestier
Sara Forestier. Elle trouve que son nom est passe-partout, alors elle emprunte celui de Bahia BenMahmoud pour Le nom des gens. Rencontre avec une actrice nature et généreuse.



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 (c) Ecran Noir 96 - 24



Le parcours professionnel de Soumia Malinbaum est édifiant. Pendant les eighties, elle entre par la petite porte dans une société de courtage informatique. La jeune fille déterminée grimpe un à un les échelons jusqu'à devenir directrice des grands comptes. Le dépôt de bilan de son employeur cesse net son ascension. Qu’à cela ne tienne ! La battante monte la société Spécimen et lutte contre les discriminations en favorisant l'embauche de jeunes issus de l'immigration. Cette working girl à l’allure d’une Jacqueline Bisset façon beur est aujourd’hui Directrice du Développement du groupe Keyrus et aussi Porte Parole Diversité au MEDEF. Les pieds sur terre et une belle sensibilité dans la tête, Soumia Malinbaum pose son regard de velours sur le monde de l’entreprise vu par le septième art…
Écran Noir : Soumia, quelle est votre définition de l’entreprise ?




Soumia Malinbaum : C’est une communauté de vie avec un objectif commun. Chacun y a des droits et des devoirs, des obligations et des satisfactions. En tout cas, l’entreprise n’est pas une machine à broyer l’homme ou la femme. Pourtant, le cinéma français lui donne souvent cet aspect destructeur.

EN : Ressources humaines de Laurent Cantet, Violence en milieu tempéré de Jean-Marc Moutout et Rien de personnel de Mathias Gokalp montrent la compétitivité dans les entreprises d’une façon anxiogène, dévastatrice. En revanche, les majors hollywoodiens (Working girl de Mike Nichols, Le diable s’habille en Prada de David Frankel…) proposent des récits truffés d’obstacles, mais où la réussite et l’épanouissement sont compatibles…
SM : À travers les films américains que vous citez - et tout particulièrement Working girl qui m’a influencée et fait rêver - l’entreprise est présentée comme un milieu difficile et compétitif, certes, mais riche et en perpétuel mouvement d’actions, de rebondissements et d’expériences. Pour moi, la compétitivité est synonyme d’émulation et de stimulation positives. Depuis toujours, la culture anglo-saxonne favorise l’esprit d’entreprendre et exalte la réussite du chef d’entreprise.

EN : Alors que les films français sont encore imprégnés de la culture du XIXe siècle. Le Président Philippe Muller incarné par Pascal Greggory dans Rien de personnel est un mélange de tradition et de cynisme qui rappelle les personnages de Jean Gabin et de Pierre Brasseur dans Les grandes familles de Denys de La Patellière. Ce film date de… 1958 !
SM : Le système éducatif français n’a pas favorisé le goût d’entreprendre. L’Etat y est beaucoup trop protecteur. Aujourd’hui, cette perception est bouleversée par une économie mondialisée très compétitive et une grande ouverture aux autres pays et cultures. Il n’est plus possible de s’accrocher à l’idée de rentrer dans une seule entreprise pour y travailler toute sa vie.

EN : Dans Rien de Personnel, la peur de la précarité flotte comme une épée de Damoclès au-dessus de l’assemblée des cadres…
SM : Dans la vie, tout est précaire. En tant que chef d’entreprise, j’ai toujours vécu avec ce sentiment de précarité qui ne m’a jamais fait peur. Cet état d’esprit oblige à rester toujours en éveil et demande de la flexibilité car rien n’est jamais acquis. Dans beaucoup d’autres pays, il existe une grande fluidité entre les offres d’emploi et les demandes. En France, notre marché du travail est plus figé. Donc, comme on le voit très justement dans le film, les travailleurs sont beaucoup plus angoissés à l’idée de perdre leur emploi.

EN : Pensez-vous que cette angoisse stigmatise le rôle du chef d’entreprise ?
SM : Absolument. Pourtant, il ne faut pas oublier que c’est lui qui crée des emplois. Une aubaine car à l’heure de la crise, le travail n’est plus un dû, mais il est devenu une chance. C’est pourquoi il faut aujourd’hui déployer tous les moyens, toutes les énergies pour en trouver, le garder, mais aussi pouvoir en changer. J’ai démarré ma carrière en tant que salariée. En 1991, je me suis retrouvée sans emploi car la filiale qui m’employait à fermé ses portes. Vous savez pourquoi j’ai décidé de créer ma boîte ? Parce que je ne voulais pas me retrouver sur le marché du travail. Il y a deux ans, j’ai vendu Specimen et me voilà devenue cadre dirigeante dans un grand groupe. Vous imaginez bien que cette évolution n’a pu s’effectuer sans la mobilité et l’adaptabilité que cela suppose.

EN : Le film traite d’une autre réalité vécue douloureusement par les cadres : les évaluations menées par des coachs.
SM : Le monde du travail évolue à toute vitesse. C’est pourquoi le système d’évaluation instauré tout particulièrement dans les grandes entreprises est comme une pose dans la vie professionnelle. C’est une démarche de progrès qui ne doit pas faire souffrir les salariés. Le coaching permet à chacun de se situer, de s’améliorer pour atteindre ses objectifs. Une telle démarche est salutaire car elle offre aux salariés la possibilité de progresser et d’accompagner le changement. Au sein d’une société, chaque être humain n’évolue pas de la même manière. Un coaching peut s’avérer très bénéfique. Vu sous cet angle, Rien de personnel a le mérite de soulever la notion très délicate de l’employabilité.

EN : Comment avez-vous perçu l’image des deux protagonistes féminines du film ? Christine Barbieri (Zabou Breitman) couche avec son patron à la barbe de son époux amoureux, mais looser. Quant à Natacha Gauthier-Stevens (Mélanie Doutey), elle incarne une arriviste qui boit les paroles de son mari haut placé.
SM : Ces personnages sont très arriérés, très clichés. De nos jours, les femmes n’ont pas besoin des hommes pour s’affirmer et être performantes. Elles possèdent la capacité d’accéder aux postes de pouvoir au sein de l’entreprise.

EN : Pourtant, la parité, l’égalité des salaires sont des combats d’actualité…
SM : La compétence et la vitalité des femmes engendrent la méfiance des hommes. Les centres de décisions demeurent toujours le pré carré des hommes. Les femmes ne parviennent pas à encore à y accéder contrairement aux pays scandinaves.

EN : Le machisme y sévit moins que dans les pays latins…
SM : Peut-être, mais je suis convaincue que le XXIe siècle sera celui des femmes dans l’entreprise… Et pas seulement ! (rires)


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