(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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BLOW OUT
"Un film que l’on entend mal est un film qui se voit mal." Pierre Lenoir, ingénieur du son, huit fois nommé et deux fois primé aux César, serait le dernier à renier cette phrase de François Truffaut. Pour évoquer le parcours de cet artiste nommé Chevalier dans l’Ordre des Arts et des Lettres en 2008, un décor à son image s’imposait. Un bar de grand hôtel parisien, discret, raffiné, non ostentatoire. Pendant la conversation, des portraits d’acteurs se sont calqués sur les filmographies de grands cinéastes : Catherine Deneuve, Satyajit Ray, Jean Rochefort, Alain Resnais… Parfois, à l’évocation de Romy Schneider, Claude Sautet et de Trésor, le dernier tournage de Claude Berri, la voix de mon invité s’est étranglée, ses mains se sont animées avant que sa pudeur ne reprenne ses droits. Mais chut, ouvrez grand vos oreilles. Pierre Lenoir va parler…
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EN : Au fil de votre carrière, vous avez croisé de grands cinéastes avec lesquels
vous avez travaillé plusieurs fois. Parlons d’abord de Claude Sautet…
PL : J’ai connu Claude par l’intermédiaire de Jean Boffety, le chef opérateur d’Un
papillon sur l’épaule de Jacques Deray. C’est un film dont je suis très content car
Barcelone y vit avec tout son vacarme. Cette ville très bruyante m’a tant fasciné que
je suis parti à la pêche aux sons au fil des rues. Barcelone est l’un des personnages
principaux du film.
EN : Vous avez tourné six films avec Claude Sautet : Une histoire simple, Un
mauvais fils, Garçon !, Quelques jours avec moi, Un coeur en hiver et Nelly et
Monsieur Arnaud …
PL : Pendant le tournage d‘Un papillon sur l’épaule, Jean Boffety a parlé de moi à
Claude Sautet. La première fois que j’ai rencontré ce dernier, c’était dans un café rue
Lincoln. Un vrai décor à la Sautet ! Je ne comprenais pas un mot de ce qu’il me
disait. La vitesse de son débit était incroyable. Il a conclu le rendez-vous par : « Tu
fais le film ! ».
Je n’avais encore jamais travaillé avec des stars sur un long-métrage de fiction, et je
me suis retrouvé avec Romy Schneider. Quel privilège ! D’emblée, elle m’a appelé
« chef ». A la fin des prises, elle me demandait souvent si elle avait bien parlé, si son accent n’était pas trop appuyé. Romy ne parlait pas très fort, mais articulait très
nettement. Notre rencontre fut une véritable révélation pour moi. Sur le dernier
tournage choral de Claude, elle était un véritable soleil ! Lorsque j’ai rencontré sa fille
Sarah Biasini, nous avons beaucoup évoqué sa mère…
EN : Quel était votre rapport avec Claude Sautet ?
PL : C’était quelqu’un d’une grande exigence. J’ai beaucoup appris à ses côtés.
Imaginons un plan avec deux comédiens au premier plan. En arrière plan, deux
cents mètres plus loin, passe un train. Lors du mixage, Claude voulait absolument
que le spectateur entende ce train dans le lointain.
EN : C’est l’équivalent d’un peintre avec sa toile. Il a besoin d’apposer une touche.
Même si l’oeil ne la voit pas immédiatement, son existence concourt à l’équilibre de
l’oeuvre…
PL : Tout à fait. Cette perception est nécessaire et importante pour la qualité du film.
Cela me rappelle une séquence d’une grande violence entre Patrick Dewaere et
Yves Robert, fils et père dans Un mauvais fils. Pour les versions internationales du
film, il fallait remixer certains éléments du son. Ni une ni deux, Claude Sautet a enfilé
le trench de Patrick Deweare. Il m’a lancé : « Coco, on y va ! ». Pendant une minute,
la pluie est tombée sur sa tête nue. J’ai enregistré les frottements de l’étoffe mêlés
aux trombes d’eau, beaucoup plus fortes que dans la réalité. On ne peut être
qu’admiratif devant un tel exemple. Quel grand cinéaste !
EN : Vous obtenez votre premier César avec Monsieur Hire de Patrice Leconte…
PL : Je ne peux malheureusement le recevoir car je tourne à Calcutta Les Branches
de l'arbre sous la direction de Satyajit Ray. Je suis très heureux d’avoir obtenu cette
récompense pour ce film-là. Patrice Leconte tenait la caméra et demeurait ainsi au
plus près de ses acteurs. Michel Blanc compose à la perfection un personnage
dérangeant. Quant à Sandrine Bonnaire, je trouve qu’elle a rarement été aussi bien dirigée.
EN : C’est votre homonyme Denis Lenoir qui est le directeur de la photographie. Il
teste un procédé visuel qui efface le blanchiment de l’image. Le résultat réfère aux
films expressionnistes allemands. D’une certaine façon, Michel Blanc à sa fenêtre, le
visage pâle et bouffi, oscille entre Max Schreck dans le Nosferatu de Murnau et
Peter Lorre dans M le maudit de Fritz Lang. Vous tournez deux autres films avec
Patrice Leconte : Le mari de la coiffeuse et Tango…
PL : Sur Le mari de la coiffeuse, le tournage était très gai. Avec l’esprit qui le
caractérise, Patrice Leconte excellait en calembours. C’est un metteur en scène
moins intrusif que Claude Sautet. Il n’intervient que lorsqu’un problème survient.
EN : Il est impossible de ne pas évoquer Jean Rochefort…
PL : Voilà un autre artiste que j’admire beaucoup. Sur Le mari de la coiffeuse, les
rapports entre Jean et Anna Galiena n’étaient pas faciles. Cela se ressent dans le
film. A la lecture du scénario, il se dégageait une sensualité torride qui n’existe pas à
l’image. Cela dit, Jean est merveilleux comme toujours. Il contient en lui une sorte de
folie. A chaque film, cette fantaisie apparaît sans prévenir, comme par magie. Dans
le Leconte, c’est lorsqu’il exécute sa fameuse danse orientale avec une grâce inouïe.
EN : Jean Rochefort et Pierre Richard sont deux comédiens burlesques. Espèce
d’acteur plutôt rare en France…
PL : L’élasticité extrême du corps de Pierre suppose un travail. La fantaisie de
Rochefort, elle, me semble totalement innée.
EN : Pierre Richard est « keatonien ». Il tord son enveloppe face à l'adversité du
monde. Jean Rochefort, plus « chapelinien », improvise en état de crise.
PL : Comme avec Catherine Deneuve, la rencontre avec Jean Rochefort a été à la
hauteur de mon admiration.
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