Sara Forestier
Sara Forestier. Elle trouve que son nom est passe-partout, alors elle emprunte celui de Bahia BenMahmoud pour Le nom des gens. Rencontre avec une actrice nature et généreuse.



Karim Aïnouz
Toni Servillo
Félix Dufour-Laperrière
Jayro Bustamente
Gilles Perret
Hélène Giraud
Ryusuke Hamaguchi
Rohena Gera







 (c) Ecran Noir 96 - 24



Rencontre avec celui qui a su inscrire son nom dans le Luxe, de Gucci à Yves saint-Laurent, et maintenant dans des accessoires haut de gamme. Une griffe Tom Ford. Mais pour promouvoir son film, un homme doux, avenant, bavard. Elégant et sexy, avec un anglais racé, il est loin de l'agitation autour des stars de son film, dans sa propre suite d'un palace parisien, au chaud, par temps de pluie hivernale.
Au centre d’un conflit intérieur permanent entre son monde matériel, en tant que « fashion designer » dans l’industrie du Luxe et son enfance dans les grands espaces du Nouveau Mexique, au milieu de la nature. Il accepte la matière, l’existence physique, la mort au bout, mais il revendique la richesse des relations avec les autres, de l’amour.
Perfectionniste – il aime tout maîtriser, il semble sûr de lui même, n’exprime aucun regret pour sa vie passée, gâté par les chances et les hasards de la vie. Il nous raconte le parcours de son film, derrière lequel on devine le parcours accompli du créateur, pragmatique et zen.
Ecran Noir : Pourquoi ce livre pour votre premier film ?




Tom Ford : Je n’en ai aucune idée. Non je plaisante. J’avais lu ce livre quand j’avais 20 ans à Los Angeles, j’essayai d’être comédien à ce moment là. Et je l’ai adoré parce que le personnage de George est réellement crédible. Le roman est un monologue à l’intérieur de son esprit. C’est à la fois drôle et pertinent. Comme j’étais assez seul à cette époque, George m’a accompagné, comme s’il était réel. Puis j’ai rencontré Christopher Isherwood, l’auteur d’Un homme au singulier, qui était évidemment le vrai Georges. De là, je suis devenu assez obsédé par son œuvre.
Puis, il y a quatre cinq ans, je cherchai un projet cinématographique. En même temps, pourquoi un film ? Et qui s’y intéressera ? Qu’est-ce que j’ai à dire ? J’étais reconnu comme styliste haute couture, mais personne n’en avait rien à faire que je devienne cinéaste. Donc je me suis posé des questions : quel genre de films j’aime, qu’est—ce que j’ai envie de dire, quel type d’histoire je veux raconter ?
J’ai alors développé deux scripts mais aucun ne me « parlait ». Et un jour j’ai repensé à George. J’ai pris le livre et je l’ai relu et j’ai acquis les droits. Avec l’âge, la lecture m’est apparue différente. Tout l’aspect spirituel m’avait échappé. C’est l’histoire d’un homme incapable de se projeter dans le futur, qui vit dans les souvenirs du passé, et qui, ce jour-là est dans le présent, connecté aux gens qui l’entourent. Pour moi ce fut une évidence, c’était ce film que je voulais faire. A ce moment là, j’étais comme lui. Un passé glorieux, un avenir très flou, et beaucoup de questions. Ce film fut ma façon de résoudre ma crise de la quarantaine. Ce fut totalement, absolument cathartique.

EN : C’est aussi vos premiers pas dans l’écriture...
TF : C’était si amusant !

EN : Comment avez vous choisi de couper et transformer le roman en film ?
TF : Je pense que j’ai été fidèle à l’esprit du livre. Ce fut difficile car j’adore ce livre et j’ai un profond respect pour l’auteur. La première version fut très fidèle mais ça ne fonctionnait pas pour un film. Il fallait que je transpose ce qu’il avait dans la tête. Le cinéma est un média visuel. Je devais créer des scènes à voir, et qui, sans le son, seraient compréhensibles. Ce qu’il ressent, ce qu’il pense. Et puis il n’y avait pas d’intrigue dans le roman. J’ai rencontré le compagnon d’Isherwood, Don Bachardy, qui est toujours en vie, qui m’a donné un conseil, celui de m’approrier le récit pour en faire mon propre film. « Un livre est un livre, un film est un film. »
Je l’ai pris comme un assentiment à pouvoir faire des changements d’ordre dramatiques. J’ai donc rajouté l’idée qu’il voulait se suicider, et donc j’ai introduit l’arme, qui est comme un fil conducteur dans le scénario. Cela entraîne des situations nouvelles : il rencontre un jeune homme à l’épicerie, il va à la banque, il ne passe pas la nuit avec Kenny. Même si les scènes de Kenny sont très proches du livre.
Toute la séquence à l’université est similaire. En revanche le personnage de Julianne Moore a été complètement transformé. Elle est plus jeune d’une part et dans Un homme au singulier Georges ne l’aime pas, alors que dans le film ils sont complices. Je voulais raconter aussi la crise de milieu de vie pour une femme. Je l’ai rendue intelligente, séduisante mais désemparée par son futur sans objectif. Elle veut changer de vie elle aussi. Tout comme Kenny mue de l’adolescence à l’âge adulte au contact de Georges.
Sinon je suis resté dans les années 60. Mais je préfère les années 70, d'un point de vue personnel.

EN : Vous avez gardé la leçon universitaire de Georges sur les minorités. Ce discours est proche de votre propre opinion ?
TF : Oui, absolument. Quand Georges dit que l’usage de la peur permet de vendre n’importe quoi, il a raison. C’est ainsi qu’est née la part stupide, et majoritaire, de la culture américaine. En tant qu’Américain, qui vit depuis 20 ans hors de son pays, je trouve cette culture si dérangeante, si ennuyeuse. Je suis même parfois embarassé d’être Américain. George parle des origines de cette spirale descendante.

EN : Y-a-t’il autre chose qui vous tenait à cœur dans ce projet ?

TF : George à travers cette journée a une sorte d'épiphanie. Il comprend. Il comprend son rôle dans l'univers, les connexions avec les gens, ses sentiments, sa vie. Il a un moment de lucidité totale. Il ressent plus qu'il ne pense. Il pourrait vivre vingt ans de plus mais comme il a cette compréhension absolue, il n'a plus besoin d'aller au-delà. Il a compris sa vie.

Page suivante