Sara Forestier
Sara Forestier. Elle trouve que son nom est passe-partout, alors elle emprunte celui de Bahia BenMahmoud pour Le nom des gens. Rencontre avec une actrice nature et généreuse.



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Ariane Ascaride est certainement le compagnon de route le plus fidèle du cinéaste Robert Guédiguian et ce, depuis le premier film du cinéaste en 1980. Elle est son épouse depuis 1975 et a joué dans la presque totalité de ses films dont Marius et Jeannette qui lui a offert le César de la meilleure actrice en 1998. Nous l’avons rencontrée au dernier Festival International des scénaristes à Bourges où son mari était à l’honneur cette année. C’est d’ailleurs Robert Guédiguian qui devait être présent mais suite à des problèmes de santé, il n’a pu faire le déplacement. Ariane Ascaride est donc venue « remplacer » son mari et derrière ses lunettes rondes et sa petite taille se cache une femme qui s’affirme à chacune de ses paroles, une femme aussi sincère et franche que Robert Guédiguian, une femme heureuse de faire partie de cette bande d’amis, une femme droite dont le regard vous sonde sagement. Et vous parle de "complicité".


EN : Est-ce que la base de votre cinéma c’est le fait qu’il y ait beaucoup de respect, beaucoup d’humanité ?
AA : Oui je pense mais ce n’est pas simplement une histoire de cinéma, c’est une histoire de vie. On fait du cinéma comme on est dans la vie. On respecte les autres et on reconnaît les autres. Quand je vous parle, je vous parle à vous. Je ne parle pas à quelqu’un d’autre. Je lis que vous vous appelez Benjamin donc je sais que je parle à un jeune homme qui s’appelle Benjamin. Mais c’est mon rapport, c’est son rapport et le rapport de nous tous aux gens, au monde. C’est notre manière au cinéma.

EN : De nos jours c’est assez rare des films comme ça. Ce sont vraiment des films…
AA : Oui mais je pense qu’il y aurait des tas de gens, des jeunes gens qui pourrait le faire. La seule chose que j’ai envie de dire, c’est que ce n’est pas difficile.

EN : Et pourquoi est-ce qu’il y en a pas plus qui le font alors ?
AA : Parce qu’on est dans des temps d’individualisme tellement terrible. C’est tellement difficile d’être jeune aujourd’hui qu’on se dit « il faut que je m’en sorte moi d’abord » et qu’on ne pense pas collectif. Alors que si on pense collectif, on s’en sort beaucoup mieux.

EN : Vous pensez que c’est une question d’époque ?
AA : C’est une époque qui est dure sincèrement. J’ai deux enfants qui doivent avoir à peu près votre âge (la vingtaine, et oui !), et je ne me posais pas les questions qu’elles se posent aujourd’hui par rapport à leur devenir professionnel. Quand j’avais 20 ans, je faisais des études et je savais que j’aurais du travail.

EN : C’est vrai qu’aujourd’hui à 20 ans, on ne sait pas où on va (oui oui, je défends ma cause !)…
AA : Voilà ! Et bien ça, ça change tout. Tout !

EN : Et je pense qu’au contraire, on a un petit peu ce poids des générations précédentes où tout le monde dit « on savait ce qu’on voulait faire à votre âge »…
AA : Oui je savais que je voulais être comédienne mais je ne savais pas comment et je ne m’en inquiétais pas (elle détache bien chaque syllabe). Je savais que je trouverais le moyen. Je ne vivais pas dans un temps où les choses sont si difficiles. Aujourd’hui, à 15 ans, on vous demande ce que vous voulez faire, à 17 ans, il faut que vous ayez vraiment choisi et à 20 ans, il faudrait que vous le fassiez. C’est horrible parce que je pense qu’à 20 ans, on n’est pas fini. Vous voyez ce que je veux dire ? Il faut vous laisser le temps et on ne vous laisse pas de temps. On vous demande d’être tout de suite performant. C’est inintéressant. Vous n’avez pas le temps de faire ces très jolis mots qui sont « vos humanités ».

EN : C’est bête à dire mais nous n’avons pas le temps d’aller à la recherche de nous-mêmes.
AA : Bien sur ! Mais c’est ça que ça veut dire. Et donc vous le faites tout le temps à côté, en sortant d’un truc, vous avez un quart d’heure pour penser à vous.

EN : Est-ce que justement cette évolution du monde représente des difficultés dans le cinéma de Guédiguian ?
AA : Aucune. D’autant plus que si vous voulez, que le cinéma français le veuille ou pas, il est une entité très forte et très présente à l’intérieur du cinéma français donc ça ne représente aucune difficulté mais ça a pris du temps.

EN : Dès fois on se demande si il appartient au cinéma français ou si…
AA : Il dit toujours qu’il a un pied dans le cinéma et un pied ailleurs.

EN : C’est vrai, c’est souvent ce que l’on ressent en regardant ces films. Quelque chose de très fort alors que ce sont généralement de petits films, avec un faible budget.
AA : Comme quoi, on peut faire du cinéma avec pas grand-chose. Souvent les jeunes gens que je rencontre disent « mais on n’a pas de sous pour faire les films, on attend… ». C’est vrai qu’il faut le faire aussi mais à un moment donné, il faut y aller.

EN : Prendre son courage à deux mains…
AA : Et prendre son plaisir à deux mains. Parce qu’il peut y avoir du plaisir aussi. On présente ça tellement comme une chose terrible, dure, difficile ! C’est vrai que c’est difficile mais il y a aussi du plaisir, mais comme nous sommes dans une société où le plaisir n’existe plus, on n’en parle plus moi je crois qu’il faut le dire.

EN : Et en tant que producteur, c’est qu’il cherche à faire ? Aider ces jeunes cinéastes ?
AA : Oui, Guédiguian, il cherche toujours des jeunes réalisateurs, auteurs, scénaristes. Il cherche tout le temps. En même temps, il est très exigeant donc il faut être bon, très bon mais il cherche. Il faut être terrible avec soi-même et se demander l’impossible tout le temps. C’est fatigant, mais tout le temps parce que de temps en temps, il y a des petits moments de bonheur. Mais vous savez mon père disait un truc que j’aimais beaucoup, il disait « quand à la fin de sa vie un homme met bout à bout ses moments de bonheur qu’il a eu dans sa vie et que cela fait une journée, cet homme a eu une belle vie » et j’aime bien cette phrase là.


   benjamin

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