Sara Forestier
Sara Forestier. Elle trouve que son nom est passe-partout, alors elle emprunte celui de Bahia BenMahmoud pour Le nom des gens. Rencontre avec une actrice nature et généreuse.



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 (c) Ecran Noir 96 - 24



En compétition à Paris Cinéma, le réalisateur mexicain Pedro Gonzales-Rubio a présenté Alamar, son premier long métrage, quatre ans après le documentaire Toro Nego. Alamar a reçu le Grand prix du jury du Festival de Miami et le prix Tiger à celui de Rotterdam.
Ecran Noir : Après Toro Negro, pourquoi avoir choisi de réaliser une fiction plutôt que de rester dans la voie du documentaire ?




Pedro Gonzales-Rubio : J’ai fait un autre documentaire après Toro Negro, La Tierra Compartida, qui est un making-of de 1h30 sur le film Babel. Avec la forme du documentaire, j’avais le sentiment de ne pas avoir le contrôle sur le chemin des événements. Avec Alamar, j’étais vraiment sûr d’une chose, je voulais filmer le chemin d’un dernier voyage avant une séparation. Je voulais également explorer l’amour filial et l’amour paternel. Là, il n’y avait personne qui avait une histoire semblable avec cette idée de départ donc il fallait la créer. Et pourtant, la vie de Natan et des autres personnages dans la réalité est très semblable à ce qui se passe dans le film. Dans Toro Negro, j’étais prisonnier de mes personnages. Avec Alamar j’avais beaucoup plus de liberté pour diriger moi-même les activités quotidiennes, les émotions de mes personnages dans le monde de la fiction.

EN : Le film parait tellement vrai qu’on se demande si vous vous êtes inspiré d’une histoire vraie ou non...
P.G-R : Non car en réalité, Jorge (le père) est guide touristique et il n’a jamais pêché de langoustes. D’ailleurs dans le film il ne pêche pas vraiment de langoustes... c’est ça la magie du cinéma. Mais en même temps, si l’on regarde bien, l’histoire est très subtile et elle se concentre sur le jour après jour. J’ai mis les personnages en situation et ensuite ils réagissaient à ces situations selon leur propre caractère. Ils étaient très libres. Pour la traversée en bateau jusqu’à l’île par exemple, Jorge et Natan étaient réellement malades, comme nous tous sur le bateau d’ailleurs.

EN : Ce choix de fiction, très proche du documentaire, est un peu destabilisant pour le spectateur. Pourquoi avoir fait ce choix d’écriture ?
P.G-R : C’est destabilisant pour le spectateur qui prend de la distance. Mais si ce dernier se laisse emporter, il ne se demande même plus si c’est une fiction ou un documentaire. En fait, j’aimerais ne pas avoir à cataloguer le film. D’ailleurs, le film a été en compétition au Festival du Film du Réel qui est un festival de documentaires et maintenant il est en compétition à Paris Cinéma qui est une compétition de fictions. Le mieux est de ne pas cataloguer le film et de le voir tout simplement comme une expérience cinématographique.

EN : Dans ce film, vous portez une très grande attention à la relation père/fils et notamment à l’idée de transmission. Qu’est-ce que cela représente pour vous ?
P.G-R : Je voulais explorer cette relation père/fils qui est une relation très ancestrale. La majorité des éléments du film sont intemporels. L’île, on n’a aucun moyen de savoir de quelle époque elle est. La pêche, c’est une activité millénaire et la relation père/fils également. Et comme la base de l’histoire est l’amour, je voulais utiliser cette image de l’amour père/fils comme le reflet de quelque chose de très basique et véritable. L’amour d’un couple, lui, est différent. C’est donc pour cela que je voulais faire le portrait d’un amour père/fils.

EN : Comment avez-vous rencontré et choisi vos acteurs ?
P.G-R : Je vis dans un endroit qui s’appelle Playa del Carmen et dans cet endroit il y a plusieurs couples interculturels. Entre tous ces couples que je connaissais, toutes ces histoires, celle qui m’interpellait le plus était celle de Natan. De plus, Jorge est un acteur né, ainsi que Natan. Avant d’être guide touristique, Jorge était pirate dans un bar où il faisait des spectacles. Quant à Natan, il vit à Playa del Carmen avec sa mère et non en Italie comme dans le film.

EN : Comment les avez-vous dirigés lors du tournage ?
P.G-R : Je les ai mis en situation et je les ai laissés réagir face à celle-ci. Je ne leur ai donné aucun dialogue pré-établi. Et donc j’ai bien fait attention à voir quelle situation provoquait tel sentiment. Au début on les sent un petit peu éloignés et petit à petit, la relation se construit et ils se rapprochent. Par exemple, quand ils arrivent à la maison, dans l’île, ils peignent ensemble le mur, en silence. Cela suffit à montrer que quelque chose est en train de se construire, un lien se tisse entre eux.

EN : Dans la vie, ils sont réellement père et fils. Comment avez-vous fait pour qu’on ait ce véritable sentiment qu’un lien se construit entre eux ?
P.G-R : Natan est un enfant très sensible, très intelligent et au début du tournage, je lui ai dit de penser comme s’il ne reverrait pas sa mère. Et à la fin du film, finalement le petit garçon quitte son père et ne le reverra pas. Il doit alors bien écouté ce que son père a à lui dire car il ne reviendra jamais sur l’île.

EN : Vous avez choisi de tourner votre film à la barrière de corail de Chinchorro. Pourquoi ce lieu ?
P.G-R : C’est une réserve naturelle. Je voulais filmer là-bas car l’écosystème y est quasiment intact. Mais c’est aussi ma fascination pour le lieu (sublime) qui a été déterminante. Les maisons sur l’eau, c’est quelque chose de très spécial et d’absolument magnifique. J’avais également l’impression d’être ainsi dans un temple, dans le temple de la Nature où nait le véritable Amour... et être dans le temple de la Nature c’est un peu comme être avec Dieu qui est le maître de la Nature. Ces endroits devraient être les véritables temples et non les églises d’aujourd’hui...


   morgane