(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Le personnage principal du premier long métrage de Gustavo Taretto est la ville de Buenos Aires, anonyme et contrastée, où deux êtres peuvent se croiser, voire se frôler, sans jamais avoir la chance de se rencontrer. Medianeras, qui est une fable moderne sur la solitude, la difficulté à trouver sa place, et la nécessité de garder espoir envers et contre tout, s’inspire de l’un des quatre courts métrages du réalisateur, avec lequel il avait gagné pas moins de 45 prix. Rencontre avec un cinéaste qui a de la suite dans les idées… |
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EN : Est-ce qu’il aurait été possible de raconter cette histoire ailleurs ?
GT : L’histoire est universelle. Peu importe où on vit, dès qu’on est dans un lieu où il y a plein de monde, même dans une petite ville, les gens se sentent seuls. Par contre, je pense que Buenos Aires donne un caractère particulier. J’aimerais être vieux comme Woody Allen, déjà parce que j’aimerais être vieux, et puis parce que j’aimerais comme lui aller tourner dans plein de villes différentes pour en profiter, les connaître, y passer du temps.
EN : Justement, dans le film, il y a un extrait de Manhattan…
GT : Citer Manhattan, c’est le pur produit de l’admiration que j’ai pour Woody Allen et pour ce film-là en particulier. C’est une des plus belles fins de cinéma, très simple et très belle. J’ai grandi en voyant les films de Woody Allen et il représente un énorme espoir pout tous les gens qui ne sont pas très beaux, timides, etc.
EN : Comment s’est passé le tournage dans Buenos Aires ?
GT : C’était compliqué mais surtout risqué. D’abord, on n’a pas demandé les autorisations. On n’a pas vidé les lieux pour tourner. Du coup, la scène finale a été tournée dans l’une des avenues les plus passantes. On avait sollicité 250 figurants via facebook. Le seul critère, c’était d’être habillé comme en été. Or nous avons été dénoncés à la police ! Donc l’assistante de production retenait les policiers, qui voyaient bien qu’il se passait quelque chose avec tous ces gens réunis, pour qu’on puisse finir la scène. La séquence a donc été tournée en une seule prise.
On utilisait une caméra super16 assez maniable, facile à mettre sur l’épaule, et qui ne nécessite pas d’éclairage dans les scènes en extérieur. Tous les plans de la ville elle-même ont été tournés sur sept week-ends, avec des copains. On partait faire un tour de la ville en voiture, dès qu’on voyait un truc intéressant, on le filmait. On allait chez les copains, ou alors on sonnait chez les gens et on demandait si on pouvait avoir accès à la terrasse pour filmer les immeubles autour.
EN : Les personnages sont très ancrés dans leur époque, puisqu’ils sont à l’aise avec les nouvelles technologies et avec la modernité, pourtant ils ne semblent pas du tout adaptés à leur société. Est-ce qu’ils ont une fragilité inhérente, qui les rend comme ça, ou est-ce plutôt le contraire, cette société qui les rend si fragiles ?
GT : Les deux, mon capitaine ! Les personnages vivent dans un monde digital et ont des problèmes analogiques. C’est la première fois que je vois les choses comme ça, mais c’est exactement ça ! Ca ne m’intéresse pas trop de chercher le coupable, de savoir pourquoi ils sont comme ça, par contre je veux vraiment les comprendre. Etre le plus proche possible d’eux. C’est comme lorsqu’on demande si les gens ont une influence sur la ville, ou si la ville a une influence sur les gens. C’est une question qui revient souvent, et oui, effectivement, chacun déteint sur l’autre. En même temps, je pense que lorsqu’on déménage, on emmène ses problèmes avec soi. C’est comme si on avait une valise virtuelle : on n’a rien dans les mains mais on est chargé quand même.
Cette question sur la vulnérabilité de l’un ou de l’autre est l’une des plus intéressantes qu’on m’ait posée ces derniers jours. C’est la première fois que j’ai ce point de vue… Je me dis que pour des trentenaires, comme les personnages du film, ils sont à la moitié de l’explosion des nouvelles technologies. C’est totalement ancré dans leur vie, mais ils trimballent encore tout ce qui est lié au monde analogique, tout ce qui vient d’avant. Des enfants de dix ans sont ancrés dans un monde où ça a toujours existé. Ils ne se posent pas de question. Alors que Mariana et Martin sont à l’intersection. Ils doivent se dépêtrer des anciennes façons de communiquer en plus de la nouvelle. Une Mariana de dix ans n’aura pas ce problème à trente. J’ai commencé à écrire ce scénario en 2003. Si l’on avait fait cette interview à l’époque, il n’y aurait pas cet Iphone sur la table, il n’y avait pas de tweets ou d’Ipad !
EN : De même, vous n’auriez pas pu faire ce film dans dix ans…
GT : Non. Il y a une angoisse, une anxiété, une inquiétude qui seraient balayées. Une communication, ça se ferait par texto, ce serait intégré, on n’y penserait même pas. C’est complètement accepté. Il est plus facile d’inviter une fille à sortir par texto, et il est plus facile pour la fille de répondre "non" par texto.
MpM
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