Sara Forestier
Sara Forestier. Elle trouve que son nom est passe-partout, alors elle emprunte celui de Bahia BenMahmoud pour Le nom des gens. Rencontre avec une actrice nature et généreuse.



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 (c) Ecran Noir 96 - 24



Artiste polyvalente, Miranda July, partage son temps entre le cinéma, la vidéo, la littérature et les arts plastiques. Elle fut la révélation du Festival de Cannes 2005 avec son premier long métrage, Moi, toi et tous les autres, qui reçut la Caméra d’or, après avoir été couronné de l'"International Filmmaker's Award" lors du festival de Sundance. Six ans plus tard, elle revient avec The future, une comédie dramatique étrange et générationnelle où un jeune couple s’octroie un mois de liberté pour réaliser ses rêves.
Ecran Noir : Diriez-vous que The future est un film générationnel ? On a l’impression que vous n’auriez pas pu le faire il y a dix ans, ou dans dix ans.





Miranda July : Oui, bien sûr. Je ne sais pas à quoi vous faites référence spécifiquement, mais j’ai essayé de faire ce film en fonction de ce que je ressentais sur le moment, donc cela me paraît logique que l’on ait cette impression.

EN : Je pensais au fait que les personnages soient si anxieux à propos de l’avenir, des responsabilités… de la vie en général. Selon vous, pourquoi cette génération (celle des trentenaires d’aujourd’hui tels qu’ils sont décrits dans le film) est-elle si angoissée à propos de tout et de rien ?

MJ : Je pense que dans un certaine mesure, c’est peut-être parce que nous ne rencontrons pas beaucoup d’obstacles externes. Nous ne sommes pas en guerre, par exemple. Nous avons du temps pour penser à ces choses. Mais je ne pense pas que ce sont des questions qui n’ont pas de sens, au contraire. Notamment pour les femmes. Par exemple, ma mère ne s’est pas posée ce genre de questions : devrais-je avoir des enfants ou non ? Elle en a eu, et c’est tout. Et elle a eu une vie dans laquelle les enfants passaient avant tout, avant le fait d’écrire, ou de faire ce dont elle avait envie. Aujourd’hui, culturellement, les choses ont changé pour les femmes. Nous avons le privilège de pouvoir nous poser ce type de question. Je ne pense pas que ce soit vain, au contraire, c’est un questionnement très important.

EN : En même temps, les personnages semblent un peu enfantins. Ils sont parfois cruels et égoïstes. Ils jouent à des jeux. Est-ce ainsi que vous voyez cette génération ?

MJ : Je n’étais pas si concentrée que ça sur notre génération quand j’ai écrit le film. Mais je suis toujours plus intéressée par des personnages qui ne sont pas parfaits, qui prennent souvent de mauvaises décisions. Ils veulent quelque chose et font autre chose. Mon personnage en particulier semble se saboter elle-même. Elle essaye de fuir sa vie, et se fait presque du mal en renonçant à elle-même. Je ne sais pas si je dirais que toute la génération est comme ça mais j’étais intéressée par des personnages qui sont comme ça.

EN : Finalement, les personnages jouent un jeu qui se retourne contre eux : est-ce parce que toute cette liberté est encore plus effrayante que leur vie habituelle ? MJ : Dans le film, une des raisons pour lesquelles ils ont cette liberté soudaine est qu’ils suspendent leur accès à internet. Sophie a beaucoup plus de temps pour penser, il n’y a plus rien pour la distraire de ce qu’elle fait, et cela provoque une sorte de crise. C’est quelque chose que l’on connaît tous. Vous savez, ce sentiment de panique quand on perd son téléphone. En plus, elle s’est lancé un défi : faire une danse par jour. C’est aussi une crise créative. Les deux personnages ont aussi quitté leur travail, et avoir tout ce temps libre crée tous ces nouveaux problèmes.

EN : En même temps, ils réalisent le rêve de beaucoup de monde : avoir du temps pour soi, être à l’écoute de ses envies…

MJ : Oui, bien sûr, c’est un rêve. Mais si vous le réalisez vraiment, vous avez le temps d’expérimenter des émotions qui ne sont pas si agréables. Vous savez, par exemple, le sentiment que l’on a le premier jour des vacances, quand "être en vacances" semble ne pas être si facile que ce que l’on pensait quand on travaillait. C’est un peu cet état-là. Mais peut-être que cela ne vous parle pas ici, en France, parce que vous prenez les vacances plus sérieusement !

EN : Il y a aussi le fait que ce rêve de temps libre est plus un fantasme qu’une aspiration réelle…

MJ : Oui ! C’est exactement ce que je fais ! Je me dis : ça y est, j’en ai fini avec le travail, ça va être formidable, je ne vais rien faire ! Et quand j’en arrive à ce moment-là, j’ai l’impression que je dois faire quelque chose pour me sentir bien. Et ça prend du temps de décompresser et de réaliser qu’en réalité, ne rien faire est important aussi.

EN : Dans le film, c’est décevant, car le rêve devient une sorte de cauchemar… Mais vous laissez la fin très ouverte. On peut penser que les deux personnages ont tout gâché, et que c’est fini entre eux. Ou on peut se dire qu’ils ont compris quelque chose. Qu’ils ont grandi et appris, et qu’ils vont se remettre ensemble et être plus heureux. Vous avez une préférence ?

MJ : Oui, c’est très ouvert ! Je me suis donné beaucoup de mal pour ne pas privilégier une interprétation plutôt que l’autre ! Il aurait été si facile, avec une simple expression, de laisser entendre qu’ils vont se réconcilier… Je me sens plutôt optimiste, mais je pense que cela leur prendra beaucoup de temps s’ils veulent recommencer leur histoire. Qu’ils devront repartir de zéro.

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