Sara Forestier
Sara Forestier. Elle trouve que son nom est passe-partout, alors elle emprunte celui de Bahia BenMahmoud pour Le nom des gens. Rencontre avec une actrice nature et généreuse.



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Artiste polyvalente, Miranda July, partage son temps entre le cinéma, la vidéo, la littérature et les arts plastiques. Elle fut la révélation du Festival de Cannes 2005 avec son premier long métrage, Moi, toi et tous les autres, qui reçut la Caméra d’or, après avoir été couronné de l'"International Filmmaker's Award" lors du festival de Sundance. Six ans plus tard, elle revient avec The future, une comédie dramatique étrange et générationnelle où un jeune couple s’octroie un mois de liberté pour réaliser ses rêves.
EN : Est-ce que vous diriez qu’il est devenu plus difficile de créer depuis qu’il y a internet ?

MJ : Je crois que c’est ambivalent. Je peux faire une vidéo sur mon ordinateur et la partager avec des milliers de gens en un clic. Particulièrement quand on a tendance à tout vouloir faire soi-même, ça paraît une bonne chose. Il n’y a pas besoin de passer par une institution. J’aime cet aspect démocratique. Mais internet ne facilite pas le processus de création intérieur. Il manque le silence nécessaire à la création. On a besoin d’être bien plus discipliné. Remarquez, peut-être que c’est une bonne chose, que nous allons tous devenir bien plus disciplinés ! Ou pas…

EN : D’autant qu’internet renforce le besoin que nous avons d’être vu, d’être lu, d’être sans cesse sous le regard des autres…

MJ : Oui, c’est un sentiment très tenace. Par exemple, voyager me rend nerveuse. Donc lorsque j’ai entrepris ce voyage de quinze jours pour présenter le film en Europe, je me suis dit : "eh bien, je vais faire plein de choses et les partager sur internet !". D’une certaine manière, comme je ne peux pas être vue par mes amis et mon mari, je serai vue par internet. Par le public, en quelque sorte. C’est comme un remplacement. Je sens que je passe des gens que je connais au public. Je sens qu’il y a une sensation de sécurité là-dedans, l’impression de ne pas être totalement seule. Mais en même temps, ça vous force à être en permanence en représentation. Pour quelqu’un comme moi, c’est rassurant, car j’aime ça, mais ça devient difficile quand il faut arrêter. Je sens que d’ici un mois, je vais avoir un gros passage à vide quand il faudra arrêter…

EN : Alors vous devrez vite vous lancer dans un nouveau projet, pour oublier…

MJ : Oui !!!

EN : Comment avez-vous construit le personnage du chat qui est le narrateur naïf de l’histoire, et en même temps la victime des choix des personnages ? Il est un peu le révélateur des névroses humaines, non ?

MJ : C’est d’abord venu de manière complètement inconsciente. Un jour je me suis mis à écrire un personnage sans savoir qui c’était. Il semblait être un personnage non humain mais je ne savais pas ce qu’il était ni comment le connecter au film. Et plus tard ce jour là, j’ai vu un chat se faire renverser par une voiture. C’était triste car c’était un chat errant qui n’appartenait à personne. Je l’ai enterré, et quand je suis revenue à ce que j’écrivais, je me suis dit : "ça pourrait être la voix de ce chat !". Donc il était mort dès le départ et je suis revenue en arrière. Ca m’a pris un moment de penser que le couple pourrait adopter le chat. Même après avoir commencé le tournage, j’ai attendu d’en avoir tourné une grande partie avant de passer aux séquences avec le chat. C’est comme un morceau du film qui est à part. Je savais que ça pourrait être beaucoup de choses différentes. Je devais être prudente. Donc c’est la dernière chose que j’ai tournée, la dernière chose que j’ai écrite. Il y a même eu plusieurs versions intermédiaires. J’écrivais quelque chose, je le montrais à un public, je recueillais des opinions, ça ne marchait pas, alors j’écrivais autre chose… De cette manière, petit morceau par petit morceau, c’est devenu le chat, celui qui est dans le film aujourd’hui. Mais ce fut un processus très lent !

EN : Que craigniez-vous ?

MJ : Par rapport au reste du film, il est facile de pointer le chat du doigt, de dire : "mais qu’est-ce que c’est que ça ?!". Il devait donc absolument tenir la route. C’est aussi un élément qui était facile à couper. Par ailleurs, ce qui est étrange, c’est qu’il apporte immanquablement de l’humour au film. C’est un chat qui parle ! Mais au fond, son histoire est extrêmement triste, c’est probablement la plus triste du film. Et c’est ce que je voulais. Je voulais qu’il porte toute la tension émotionnelle du film. C’est une balance difficile à trouver, un élément qui soit à la fois drôle et extrêmement triste. J’ai su que je touchais au but quand tout à coup, tous ceux à qui je montrais le film me demandaient d’écrire un happy end pour le chat. Je me suis dit : "ça y est, ils se soucient du chat !". C’était bon signe, car avant personne ne s’y intéressait. Lorsque j’ai travaillé sur la fin, je l’ai rendue plus légère qu’elle ne l’était au départ. Parmi tout ce que je fais, le cinéma est probablement le domaine où il est le plus utile de recueillir les réactions des gens.

EN : Vous montrez toujours votre travail au fur et à mesure du processus de création ?

MJ : Oui, toujours. Et j’ai construit mon premier film de la même manière. Je suis sûre qu’il y a des réalisateurs qui ne le font pas, mais moi j’aime ça car on perd tout recul par rapport à son propre travail. Vous recevez toutes ces idées, les gens vous disent : "pourquoi ne pas faire ceci", et vous pensez : "je ne ferai jamais cela, quelle horrible idée", mais vous comprenez pourquoi on vous demande d’aller dans ce sens, et vous réfléchissez à une manière d’y aller. On n’écoute pas tant les conseils des gens que ce que leurs conseils disent du film, de ce qui lui manque.

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