Sara Forestier
Sara Forestier. Elle trouve que son nom est passe-partout, alors elle emprunte celui de Bahia BenMahmoud pour Le nom des gens. Rencontre avec une actrice nature et généreuse.



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 (c) Ecran Noir 96 - 24



Dès son premier film, Tran Anh Hung s'est fait connaître et surtout reconnaître pas seulement comme un nouveau talent à suivre mais déjà comme un cinéaste qui va compter.

L’odeur de la papaye verte reçoit le prix de la Caméra d’or au festival de Cannes en 1993 et le César de la meilleure première œuvre, et il concourt à l’Oscar du meilleur film étranger. En 1995, son second film Cyclo gagne le Lion d’or au festival de Venise, en 2000 il est de retour à Cannes avec A la verticale de l’été, et en 2010 de nouveau à Venise pour La ballade de l’impossible.

Au Festival des cinémas d'Asie de Vesoul où il était invité, il est revenu sur ses quatre longs métrages, son expérience dans le domaine du format court et son travail en général.

Ecran Noir : On remarque dans votre premier film L’odeur de la papaye verte beaucoup de plans qui nous font observer de très près la préparation des repas et la nourriture, des petits insectes sur le bord d’une fenêtre, le bruits des oiseaux et tout les sons environnants, de quelle manière ces détails figuraient-ils dans le scénario ?





Tran Anh Hung : Tout ceci était bien précisé dans le scénario, c’est même le seul film où vraiment tout était planifié. C’est moi-même qui avait dessiné le plan au sol des décors, les distances entre les pièces parce que j’étais précis sur le nombre de pas que les acteurs pouvaient faire dans le décors, et aussi les longueurs de travelling pour filmer. C’est le seul que j’ai réalisé où absolument tout était réfléchi et prévu d’avance. Même si je ne dessine pas de story-board, j’ai écrit tout les axes de caméra de telle réplique à telle réplique et à quel moment changer la caméra de position. Tous ces détails de gros plans étaient écrits dans le scénario, simplement parce que pour moi c’était des souvenirs d’enfance. Ce sont des choses qui font partie du monde sensoriel de mon enfance, y compris les différents sons que j’ai voulu restituer. Il y a des sons de voisinages, des sons qui parasitent la bande sonore par rapport à ce que je montre à l’image, ça c’était quelque chose d’important.

EN : Dans ce film, on est plongé dans le Vietnam. Pourtant il n’a pas été tourné là-bas, mais en studio en France... Pour quelle raison ?

TAH : Le tournage en studio c’est une erreur que nous avons faite, mais heureusement on a réussi à restituer parfaitement le Vietnam. En fait c’était mon premier film mais aussi le premier de mon producteur, ce qui fait qu’on manquait un peu d’expérience, on manquait aussi de connaissances sur le Vietnam. En fait on est parti là-bas suffisamment tôt pour commencer à préparer le tournage, on avait un calendrier qui fonctionnait. Tout ce qu’on avait trouvé là-bas comme lieu ne correspondait pas, ou alors il y avait trop de monde qui vivait et ce n’était pas faisable de déranger une dizaine de familles. On avait pensé à recréer le décor, on a commencé à raser un endroit pour poser une chape de béton où construire dessus. Seulement on n’avait pas anticipé l’extrême lenteur du Vietnam, et on s’est rendu compte que si on continuait à cette vitesse-là alors le tournage ne pourrait pas commencer avant la saison des pluies, ce qui serait catastrophique. Le décor, je le voulais en extérieur là-bas et pas en studio pour hériter de la lumière naturelle et de la végétation, mais vraiment ça ne pouvait pas être possible. Alors on a dû rentrer en France, à cette époque la SFP voulait relancer le secteur cinéma et du coup ils ont proposé de rentrer en part de co-production pour ce qui était de notre décor, du coup le tournage a eu lieu en studio en France.

EN : Le film suivant Cyclo est tourné lui sur place au Vietnam, et il a gagné le Lion d’or au festival de Venise. Pourtant il y a eu des soucis de censure de la part de Vietnam, d’où vient ce décalage d’appréciation ?

TAH : En fait le Vietnam a vu le film comme quelque chose qui pouvait abîmer l’image de leur pays, voilà. Ils ont considéré que Cyclo noircit la société vietnamienne. Le film a eu de belles critiques de journalistes occidentaux avec dedans cet aspect du banditisme qui est mis en avant, et ça n’a pas plu à la censure idéologique du Vietnam, il y a eu quelques reproches. Mais c’était le moment où les dvd piratés sont apparus au Vietnam , et le film existait normalement dans les bacs des magasins vidéo.

EN : A propos du film I come with the rain qui n’est jamais sorti, rappelez-nous ce qui s’est passé ?

TAH : Il y a eu un procès contre le producteur pendant un an, pendant que je faisais le montage du film. Le film n’a donc pas bénéficié de cette tranquillité d’esprit dans laquelle on doit être quand on monte un film parce que il y a beaucoup de choses délicates à résoudre pendant le tournage et après. Moi je bouillonnais toutes les secondes de ma vie à ce moment là à cause du conflit avec le producteur ce qui fait que le montage en a pâti. Quand la maison de production a déposé le bilan j’ai pu user de mon droit d’auteur pour interdire l’exploitation et la diffusion du film. Une version est quand même sortie dans certains pays, c’est bien mon montage du moment et pas celui de quelqu’un d’autre, mais c’est un montage qui n’est pas bon à cause de toutes ces perturbations. Quand on monte pendant quatre semaines, on s’arrête pendant trois mois pour aller se bagarrer en cours de justice en se balançant les pires saloperies à la figure, et qu’on gagne six semaines et qu’on travaille jusqu’au dernier moment et ensuite devoir s’arrêter, et repartir s’étriper au tribunal deux mois…, c’est impossible de faire un bon film tout simplement. Peut-être qu’un jour je remonterai ce film tel qu’il aurait dû être.

EN : Pour adapter en film un roman aussi dense que La ballade de l’impossible de Murakami Haruki comment se fait le choix des passages à supprimer ou à écourter ?

TAH : C’est des choses qui se font naturellement, je me suis donné comme ligne directrice le développement de la psychologie du personnage Watanabe et je voulais que le spectateur soit le plus proche possible de ça. Je voulais que le spectateur puisse être dans la tête et dans le cœur de Watanabe. Tout ce qui pouvait distraire ou emmener le spectateur loin de cette ligne, je le supprimais du livre.

EN : Comment avez-vous proposé à Jonny Greenwood (guitariste de Radiohead) d’en composer la musique ?

TAH : Il connaissait déjà tous mes films, c’est un cinéphile qui aime vraiment beaucoup le cinéma. La rencontre a été très simple, j’étais au Japon où je travaillais sur La ballade de l’impossible et lui aussi était au Japon pour une tournée de leur disque In Rainbows. J’ai demandé à le voir et on s’est vu pour parler très naturellement, et au bout d’une heure on s’est dit ‘tope là, on fait le film ensemble’, voila. Moi je suis aller le chercher parce que j’ai vraiment aimer la musique qu’il avait fait pour There will be blood, ça sonnait différent à mes oreilles des autres bandes originales qui se faisaient. Jonny Greenwood c’est un compositeur qui a un grand sérieux, et sa musique avait cette possibilité et cette capacité d’aller vers la noirceur tout en apportant de la beauté. Je me suis dit que pour ce romantisme assez sombre issu du livre ça allait être une belle rencontre.

EN : Vous travaillez sur plusieurs projets de nouveaux films dans différentes langues, mais le prochain serait un retour en France ?

TAH : Oui, mon prochain film sera français, je ne peux pas dire grand-chose dessus encore sauf qu’il s’agit de l’adaptation d’un livre absolument magnifique. Quand je l’ai lu c’est devenu tellement évident que je devais en faire un film, il n’y a eu aucun obstacle pour que je l’adapte. J’espère accélérer mon rythme de travail, pour ne pas espacer de trop d’années mon dernier film et le prochain. Il y aura comme un retour aux sources car ça sera aussi les retrouvailles avec mon producteur historique des trois films vietnamiens, je pense que les choses iront plus vite.

EN : Le FICA de Vesoul a choisi de présenter vos films presque comme une forme de rétrospective. Quand vous regardez en arrière, quel sentiment avez-vous ?

TAH : Ce n’est pas un secret, j’ai commencé par refuser tout d’abord. Pour moi l’œuvre est comme un corps qui n’a pas encore toutes ses jambes ni tous ses bras, j’ai trouvé que c’était un peu tôt. Quand je suis ici, je suis content de rencontrer le public de Vesoul autour de ces films, ils affichent complets, ce qui me surprend et me fait très plaisir, mais je pense que j’ai encore quelques films à donner pour que le panorama soit assez complet pour un vrai corps avec tout ces membres.

EN : Vos premiers courts-métrages, La femme mariée (à Cannes en 1989) et La pierre de l’attente, sont devenus quasiment invisibles ?

TAH : Je souhaite qu’ils restent invisibles, ce sont les films les plus tristes qu’on ait pu faire. Je broyais du noir sûrement, je devais être dans une période sombre de ma vie, il n’y a pas beaucoup de plaisir à les voir.

EN : Vous réalisez également parfois des films publicitaires...

TAH : Je fais très peu de publicités, vraiment quand mon compte en banque est vide c’est à ce moment-là que j’accepte. Pour le spot Marionnaud, c’est leur agence de communication qui a eu ce genre d’idée avec un côté un peu asiatique, c’était leur envie. Je crois que l’agence a bien aimé la réalisation de cette pub mais en fait pas leur client. Je fais très peu de publicité parce que pour moi faire une image c’est très précieux, je ne voudrais pas m’épuiser à ça. J’en ai fait une dizaine dans ma vie mais c’est minuscule, ce n'est pas grand chose.


   Kristofy