Sara Forestier
Sara Forestier. Elle trouve que son nom est passe-partout, alors elle emprunte celui de Bahia BenMahmoud pour Le nom des gens. Rencontre avec une actrice nature et généreuse.



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 (c) Ecran Noir 96 - 24



Luc Jacquet (La marche de l'empereur, Le renard et l'enfant) revient avec Il était une forêt, un projet en apparence encore plus fou que ses précédents : filmer la naissance et la vie d'une forêt tropicale.

Le résultat est à la hauteur de l'ambition, avec un film d'une grande beauté visuelle qui livre de fascinants secrets sur ces merveilleux microcosmes tout en militant ouvertement pour leur sauvegarde. Rencontre avec un passionné lors de son passage au Arras Film Festival 2013.

Ecran Noir : Pouvez-vous nous parler de Francis Hallé, que l'on voit dans le film, et qui est à l'origine d'Il était une forêt ?





Luc Jacquet : Francis Hallé est effectivement venu me trouver un jour en disant : "voilà, ça fait 20 ans que j'aimerais faire un film sur les forêts tropicales. J'ai passé ma vie à les étudier et aujourd'hui je les vois disparaître. Je sais que dans dix ans il n'y aura plus de forêts primaires tropicales sur terre. Je voudrais que tu m'aides à faire un grand film, un peu comme Louis Malle l'avait fait avec Cousteau". A l'époque, c'était le monde sous-marin, et là en l'occurrence c'est ce monde des forêts qu'on croit connaître mais qu'on ne connait pas du tout.

EN : Pourtant les sollicitations n'ont pas dû manquer...

LJ : J'ai effectivement été très sollicité après La marche de l'empereur par de nombreux scientifique et sur des sujets très vastes. Je crois que Francis Hallé est arrivé à un moment où j'étais prêt pour ça. J'avais fondé mon association Wild touch [association qui a pour but de rapprocher l’homme de la nature par le langage sensible des images, des mots et des sons], j'étais vraiment dans ce désir de faire quelque chose. Je crois qu'aujourd'hui notre responsabilité est de faire en sorte que ce monde reste vivable et c'est toute l'ambition de ce film et de l'association Wild touch en général, c'est-à-dire faire le pari que l'émotion et l'image peuvent être facteur de changement aujourd'hui sur la planète.

EN : Pour vous, le cinéma va donc de pair avec un engagement ?

LJ : Je crois que traditionnellement, le cinéma est par nature politique et par nature une forme d'engagement. Ca a été aussi des formes de propagande très fortes. Le cinéma, avant d'être un outil commercial, a d'abord été un média, une forme d'expression pour des gens qui avaient quelque chose à dire. Je crois qu'aujourd'hui, le cinéma est parfaitement adapté parce qu'il est grand médiateur d'émotions et d'impressions. Le cinéma est vraiment adapté pour parler de la conservation de la nature aujourd'hui. Je crois qu'en cela, on est tout à fait dans la droite ligne de l'histoire du cinéma tout simplement.

EN : Comment le désir du scientifique et celui du réalisateur ont réussi à se combiner ?

LJ : Je crois qu'on était tous les deux bien à notre place dans le sens où on avait collectivement l'envie de rapprocher la science et l'art. On était collectivement d'accord de ne pas aller sur un message culpabilisant, ni de réitérer encore une fois un message sur la déforestation. Tout le monde sait que la forêt est en danger. On est inondé de ce genre de message. Je crois que le problème n'était plus là. Le message était de ramener les gens vers une connaissance absolument précieuse qu'apporte Francis Hallé sur le génie végétal. Moi mon travail était finalement d'être médiateur, de l'écouter, de synthétiser, de ramener ça à un langage plus universel. J'ai aussi beaucoup écouté ses collègues scientifiques. Il n'y a jamais eu d'ambiguïtés sur le rôle de l'un et l'autre, c'est plutôt une collaboration qui est fructueuse et qui est peut-être (c'est utopique) l'aube d'une nouvelle collaboration entre les scientifiques et les arts. Je crois que la science s'est enfermée aujourd'hui dans un langage. Elle a besoin de se ré-ouvrir, de retrouver le langage de l'émotion.

EN : Quelles ont été les différentes étapes de fabrication du film ?

LJ : Je ne connaissais absolument pas la forêt tropicale. Ce n'est pas un milieu qui allait m'inspirer de manière native. Là où je connaissais, pour la Marche de l'empereur, le contexte de l'Antarctique par cœur, il a fallu que je m'imprègne, que j'aille chercher les émotions, que j'aille beaucoup sur le terrain avec Francis pour comprendre ce qu'il voulait dire. Il a fallu aussi que je trouve le biais pour emmener le spectateur découvrir cette réalité qui est parfois très difficile à montrer au cinéma : les arbres sont immobiles, c'est un foisonnement... Il y a donc eu un travail d'écriture très important en amont. On s'est trompé aussi. On s'est aperçu très vite que les outils cinématographiques qu'on avait n'étaient pas adaptés. Il a donc fallu inventer des prototypes. On a inventé en particulier avec les chefs machinistes ces systèmes de caméras sur câble qu'on a appelé l'arbracam, qui permet de faire des travellings de 200m de long parfaitement stables. On a adapté un drone à la caméra de cinéma pour pouvoir crever la canopée. On est aussi allé chercher des points de vue dans l'infiniment petit puisque la forêt c'est l'accumulation de mondes de plus en plus petits : des poupées russes d'une certaines manière. Donc il fallait embarquer les gens dans des univers qu'ils n'avaient jamais vus. C'est effectivement un travail de préparation qui est considérable.


   MpM