Sara Forestier
Sara Forestier. Elle trouve que son nom est passe-partout, alors elle emprunte celui de Bahia BenMahmoud pour Le nom des gens. Rencontre avec une actrice nature et généreuse.



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Certains prennent Philippe Claudel pour un écrivain talentueux qui se serait soudain pris au jeu d’un autre média, un peu par bravade. La réalité est toute autre, puisque l'auteur lorrain, lauréat notamment d’un Prix Renaudot et du Goncourt des Lycéens, a d’abord été passionné par le cinéma. C’est la vie, et le hasard, qui l’ont poussé vers la littérature, avant de lui permettre de retrouver ses premières amours.

Après Il y a longtemps que je t’aime et Tous les soleils, il revient ainsi au cinéma avec Avant l’hiver, présenté en avant-première au Arras Film Festival 2013. L’occasion de parler cinéma avec un cinéphile amateur de Haneke et de Sautet, qui revendique un cinéma classique tourné vers le facteur humain mais qui, surtout, parle avec une grande précision et beaucoup de passion du long processus de fabrication d’un film, de l’écriture du scénario aux différents choix techniques qui président à la naissance de toute œuvre de cinéma.

EN : Quand vous dites que vous êtes dur, c’est-à-dire que vous exigeant sur le plateau ? Vous faîtes refaire les scènes ?

PC : Oui, enfin je suis exigeant, je sais ce que je veux, je sens ce que ça doit être. Le personnage, ce qu’il doit faire, comment il doit agir. En général ça se passe bien. Je dis « je pense que c’est plutôt là, ou ça… ». Par contre, avec Kristin, c’est « non, pourquoi je ferais ça, c’est pas ça… » A la fin je dis « c’est mon film, c’est comme ça. Que tu sois heureuse ou malheureuse, ce n’est pas le problème, on n’est pas là pour se faire des bisous. » S’il faut être dur, je peux être dur. Ce n’est pas ma nature mais on ne me donnera pas une deuxième chance pour refaire le même film. Je n’ai que ce jour-là, cette heure-là pour tourner cette scène. Si je m’embête avec une actrice pour ne pas la froisser, si je lui dis « fais comme tu veux », je ne pourrai jamais le refaire. Je n’ai pas envie d’être avec des regrets au montage et de me dire que j’aurais dû aller plus loin… Donc je me force à être méchant.

EN : C’est là qu’on voit toute la différence entre l’écrivain qui travaille seul devant son ordinateur et le cinéaste qui doit gérer tout une équipe…

PC : Ah oui, c’est sûr ! De toute façon, moi, j’aime les deux. J’aime la solitude de l’écriture et l’énergie formidable du tournage. J’ai fait plein de choses différentes dans ma vie mais cette espèce d’excitation, de tension, d’un tournage, je ne la connais pas ailleurs. C’est un moment intense, vraiment. Donc ça c’est très beau, ces énergies humaines concentrées sur le projet d’un seul. Mais c’est vrai qu’en terme de fatigue… Je me souviens d’un coureur du tour de France qui disait jadis « chaque fois que je fais un Tour de France, je perds deux ou trois années d’espérance de vie », mais finalement un tournage c’est un peu ça aussi. Faire un film c’est tellement prenant… Quand on se prend une gamelle le mercredi de la sortie… Vous imaginez : c’est un énorme travail et ça peut être balayé en quelques heures… Au bout d’une semaine ce n’est plus à l’affiche.

EN : Et comment jonglez-vous entre les deux rôles, écrivain et cinéaste ?

PC : C’est devenu complémentaire pour moi maintenant. Le cinéma, j’y suis venu tardivement du point de vue du public, parce que le premier film [Il y a longtemps que je t’aime en 2008], j’avais 45 ans quand je l’ai réalisé, mais je mettais en scène déjà à dix, douze ans. Je mettais en scène mes copains, mes copines. Il me manquait un truc, c’était la caméra. Mais c’était déjà un jeu de mise en scène : j’inventais des jeux, je les plaçais, je les déplaçais. Et après j’ai commencé à faire du court métrage vers l’âge de dix-huit, dix-neuf ans. J’ai fait des études de cinéma et de littérature… Ca n’a jamais cessé. C’est une passion ancienne, un désir ancien. C’est complémentaire dans la mesure où il y a des phases de désir de création solitaire, une maîtrise totale de ce qu’on fait, indépendamment de questions de budget et d’acteurs. Dans un roman, je peux mettre 100 000 figurants. SI j’ai envie d’écrire un roman pendant dix ans, je l’écris pendant dix ans. Et si au bout des dix ans je me rends compte que c’est une daube, je le mets à la poubelle. Si vous faites un film, déjà vous êtes obligé de tenir un timing, et si le film est mauvais, vous êtes quand même obligé de le sortir. J’imagine que ça doit être un traumatisme terrible…

EN : Peut-être est-ce en raison de la présence de Daniel Auteuil à l’affiche, mais en voyant Avant l’hiver, on pense un peu à Caché de Haneke, avec de mystérieux bouquets de roses en lieu et place des cassettes vidéo…

PC : Moi j’aime beaucoup le travail d’Haneke mais ce n’était pas conscient. En plus il y a Daniel, donc on peut y penser. De même que Daniel est dans les Sautet, Un cœur en hiver, etc. Mais Caché agit aussi sur un trouble, si vous vous souvenez. Je pense que quand j’ai écrit l’histoire, je devais avoir ça en tête quelque part. En même temps le sujet de Caché n’est pas du tout le même. Mais c’est vrai que ce que j’aime dans le cinéma d’Haneke, c’est son observation un peu clinique des rapports humains, des failles, des traumatismes. J’aime bien sa rigueur classique. Quand on est dans des cinémas qui essayent d’ausculter la matière humaine, ça ne sert à rien de faire les malins avec la caméra, et Haneke l’a compris depuis longtemps, Sautet l’avait compris… C’est à-dire qu’il faut juste trouver la bonne place, le bon endroit pour la caméra, et la bonne focale, la bonne distance. Le comédien, la lumière, tout fera le reste. Le génie de la mise en scène si le metteur en scène l’a, c’est ça. Ce n’est pas d’utiliser les dernières avancées technologiques. C’est vrai que je m’inscris plus dans une tradition comme ça de classicisme. Faire oublier la technique cinéma au spectateur.

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