(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Katell Quillévéré était présente à la Quinzaine des Réalisateurs en 2010, avec son premier long métrage Un poison violent, tout auréolé du prestigieux prix Jean Vigo. En cette fin d’année 2013, la jeune cinéaste est de retour avec Suzanne, portrait fulgurant et bouleversant d’une jeune femme interprétée par Sara Forestier, qui fut l’une des grandes sensations de la dernière Semaine de la Critique.
A l’occasion de son passage au Arras Film Festival 2013, où le film était présenté en avant-première, Katell Quillévéré est revenue sur la genèse de ce film singulier et puissant, et sur les multiples pistes de réflexion qui ont guidé ses choix de mise en scène, entre recours systématique à l'ellipse, fluidité et émotion contenue.
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EN : Et Sara Forestier, ça a été tout de suite une évidence pour le rôle de Suzanne ?
KQ : Oui, c’est la première fille que j’ai rencontré au casting. Je n’en ai pas vu beaucoup, des actrices, j’en ai vu cinq. Parce que j’étais assez claire dans mes envies. Je n’ai pas ressenti le besoin de rencontrer tout Paris. Et Sara, pour des raisons de calendrier, ça a été la toute première, et ça a été une rencontre hyper forte parce que j’ai pas eu l’impression de voir Sara Forestier arriver. J’avais un peu l’impression de voir Suzanne arriver. Et ça, c’est elle ! C’est-à-dire qu’elle était transformée physiquement déjà pour le rôle, elle avait bossé, elle était habillée comme elle imaginait que Suzanne s’habillerait… Elle avait choisi une scène, aussi, du film à travailler avec moi, qui est difficile, une scène de prison, et elle était incroyable dès la première prise.
Donc ça a été une évidence entre nous et entre elle et le personnage. Et après, j’ai assez vite vu tous les atouts qu’elle avait par rapport au rôle et notamment je savais que ce serait un film dur, potentiellement assez sombre, et donc j’avais envie d’une fille qui soit solaire. Parce que je pense qu’un film réussi, c’est un film qui fonctionne par antagonisme, par collisions. Je n’aime pas du tout que tout converge, que tout aille dans le même sens, en fait, je ne trouve pas ça riche. Je trouve qu’il faut travailler en contraste. Avec sa blondeur, avec ses immenses yeux bleus, avec l’énergie qu’elle a, assez hors norme, et sa pulsion de vie, ça allait créer l’équilibre avec un destin très négatif. Et que ça allait faire entrer la vie là où il y avait de la mort. Que les choses allaient circuler, en fait. Je pense que c’est ce qui fait que ça marche, aussi.
EN : Elle est extrêmement souriante, aussi. Ses sourires comblent ses silences, notamment à la fin.
KQ : Oui, il y a une forme d’apaisement à la fin, peut-être même de renaissance. Alors qu’elle est en prison, paradoxalement !
EN : Le film est sur le fil de l’émotion tout le temps, on est au bord des larmes pendant la moitié du temps, et pourtant il trouve son équilibre et ne tombe jamais dans une espèce de mélo horrible.
KQ : Ca c’était tout l’enjeu du film. Je savais qu’il y avait un tel enchaînement de scènes "lourdes" que si je lâchais trop dans l’émotion, le film allait devenir insupportable. Les gens allaient le rejeter. Donc la question de l’équilibre de l’émotion, c’était mon obsession. Au tournage et au montage, car ça c’est un truc que tu peux très difficilement mesurer quand tu écris et quand tu tournes, et que tu ne comprends que quand tu montes le film. C’est l’endroit où l’émotion est possible et où l’émotion s’annule. Et parfois si tu as deux scènes très intenses qui sont trop proches dans le montage, l’une écroule l’autre. Il faut constamment choisir : « c’est dans cette scène-là qu’il faut qu’on ressente les choses, c’est plus important cette scène que celle-là… » Il y en a une qu’on retient pour lâcher l’autre. Et ça c’est vraiment la maturité du montage qui te le fait comprendre.
C’est quelque chose que j’avais anticipé au tournage car je savais que ce serait comme ça. Au tournage, sur toutes les scènes où il y avait potentiellement de l’émotion forte, je m’assurais que j’avais au moins quatre prises avec des intensités de jeu différente pour pouvoir faire vraiment un choix au montage. De quelque chose d’extrêmement sobre au jeu jusqu’à quelque chose qui va beaucoup plus loin, et après, dans cette palette-là, du coup, j’étais super libre pour décider où est-ce que je poussais, où est-ce qu’au contraire je retenais, en fonction de l’équilibre global du film. Et il y a quasiment une scène sur trois qui a disparu au montage, et notamment pour ces raisons-là.
Dans le scénario il y avait tellement de scènes fortes que ça s’annulait. Il a fallu beaucoup épurer pour aller vraiment à l’essence. C’est bizarre : quand tu montes, à un moment le film t’apparaît, et c’est un peu comme un enfant qui grandit, à un moment il t’échappe. C’est l’altérité, et tout à coup il existe tout seul, et du coup c’est toi qui dois t’adapter à lui. Toi, tu dois comprendre que ça, il n’en veut pas, et ça, il en veut bien, et tu doses, en fait, en fonction de ce que le film devient, et pas du tout évidemment le film que tu t’es imaginé et que tu as écrit. Et c’est vrai que sur la gestion de l’émotion, c’était une expérience énorme ce film.
MpM
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