Sara Forestier
Sara Forestier. Elle trouve que son nom est passe-partout, alors elle emprunte celui de Bahia BenMahmoud pour Le nom des gens. Rencontre avec une actrice nature et généreuse.



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Eugene Domingo, l'une des actrices les plus populaires des Philippines, avait fait le voyage jusqu'à Vesoul pour accompagner la rétrospective consacrée au cinéma de son pays lors de la 20e édition du Festival international des Cinémas d'Asie.
Cette habituée des comédies alterne grosses productions comme Here comes the bride de Chris Martinez et films indépendants comme The woman in the septik tank de Marlon Rivera, tous deux d'énormes succès au box office local, qui figuraient dans la sélection du FICA 2014. Elle a également joué dans des films plus dramatiques ou sociaux comme 100 de Chris Martinez, primé à Vesoul en 2009, ou John John de Brillante Mendoza.
Au cours d'une rencontre chaleureuse et décontractée, Eugene Domingo nous a parlé du cinéma philippin, populaire comme indépendant, et de ses choix en tant qu'actrice.
Ecran Noir : Pour le public français qui n’a pas la chance d’être familier du cinéma philippin et qui ne vous connaît pas encore comme actrice, quels films faudrait-il voir pour vous découvrir ?





Eugene Domingo : Oh, pas seulement moi… Justement, ce film ici à Vesoul, Woman in the septik tank, pourrait être le premier film à voir pour me voir jouer mais aussi pour découvrir un aspect des films indépendants aux Philippines en ce moment. On y voit des jeunes cinéastes qui essaient de faire un film en visant une sélection en festival de cinéma pour être remarqués.
En plus, dans l’histoire, ils veulent engager l'actrice Eugene Domingo, donc je joue une parodie de moi-même. Ils pensent qu’en montrant le pire de la pauvreté, ils pourraient gagner un prix... Cela vient d’une observation faite à un moment où le circuit des festivals choisissait toujours des films avec des pauvres dans des bidonvilles… En tant qu’actrice, je trouve important de garder un équilibre entre films commerciaux ou projets à la télévision qui me font vivre et des films indépendants qui manquent d’argent, et pour lesquels je suis prête à m’engager pour le plaisir. Un film indépendant parle de choses plus substantielles à propos de notre pays.

EN : Vous avez tourné 7 films la même année, ce qui est un record. Comment choisissez-vous de dire oui ou non à toutes les propositions que vous recevez ?

ED : Il y a ce mot-clé : équilibre. D’abord un scénario m’intéresse si c’est quelque chose que je n’ai pas encore fait, ou si c’est un rôle qui en dehors des stéréotypes, et le film ne doit pas ressembler aux habituels films commerciaux. Il faut qu’il y ait un thème particulier ou quelque chose à défendre, alors je dis oui. Si le scénario est différent, si c’est drôle, je dis oui… ou s'il y a un acteur super beau, je dis oui ;-) Beaucoup d’acteurs aux Philippins travaillent pour la télévision pour vivre, moi-même en ce moment je suis animatrice du jeu télé Cebrity Bluff, mais dès que j’en ai l’opportunité je tourne dans des films indépendants : il y a des histoires originales et des rôles de femme intéressants.

EN : Est-ce que le film Woman in the septik tank est plus une critique du cinéma philippin (avec ses jeunes réalisateurs qui veulent se faire remarquer plus que raconter une histoire) ou une critique des festivals internationaux (qui recherchent des films à thèmes misérabilistes) ?

ED : Parfois la vie est encore plus étrange que dans une fiction. Je crois que Chris Martinez, le scénariste, et Marlon Rivera, le réalisateur, qui sont aussi les producteurs, ont eu l’idée de ce film en se souvenant qu’il y a quelques années, au festival du film d'Osaka, ils ont présenté le film 100, à propos d’une femme atteinte d’un cancer. Or, quelqu’un dans le public leur a demandé pourquoi cette femme semblait riche et non pauvre…
Alors ils se sont demandés si les festivals ne montraient que des films philippins à propos de pauvreté ! Woman in the septik tank est une satire de cette idée que montrer un film avec de la pauvreté a beaucoup plus de chances de gagner un prix dans un festival. C’est une parodie des jeunes réalisateurs ambitieux qui pensent exploiter la misère des gens pour intégrer le circuit des festivals internationaux.

EN : Vesoul fait découvrir Woman in the sceptik tank, film indépendant à très petit budget et la comédie Here comes the Bride, film commercial à gros budget…

ED : Here comes the Bride a été produit par une grosse compagnie, avec un important budget pour les décors et les acteurs et beaucoup plus de jours de tournages. Ils espéraient une longue exploitation du film en salles pendant plus d’un mois. Pour gagner beaucoup d’argent, avoir beaucoup de moyens ça aide, et Here comes the Bride a été un gros succès. Woman in the septik tank a été produit avec une bourse obtenue du festival Cinemalaya (environ 10 000 dollars) et ne devait être montré aux Philippines que dans le cadre de ce festival spécialisé en films indépendants.
Ce qui s’est passé, c’est qu'après avoir été montré là-bas, le film a ensuite été acheté par un distributeur important qui voulait le placer dans les salles de cinéma commercial. A ce jour, c’est devenu le film indépendant qui a gagné le plus d’argent. On a eu de la chance. La qualité du film est une chose, mais il faut aussi bien en faire la promotion.
Le public va toujours voir en priorité les films commerciaux, les comédies romantiques et les films d’horreur. Les jeunes et les étudiants sont un peu plus ouverts aux films indépendants. C’est très important pour nous qu’un festival comme Vesoul organise ce genre de rétrospective des films philippins, quand je rentrerai à Manille je n’arrêterai pas d’en parler.

EN : Dans Woman in the septik tank, vous interprétez votre propre rôle en vous moquant de vous-même, c’était drôle à jouer ?

ED : C’était très drôle que je sois une Eugène Domingo très star excentrique. C’est une parodie de moi, sauf qu'en réalité je n’ai pas du tout une grande villa avec piscine ni d’immenses photos de moi aux murs. En fait, Chris Martinez et moi on se connaît depuis le lycée, et dans les dialogues, il y a des phrases que je dis dans la vraie vie. Ce qui n’a pas été du tout drôle, c’est le tournage de la scène où je suis vraiment tombée dans la fosse, j’ai eu le dos bloqué et j’ai dû être transportée à l’hôpital où je suis restée pendant longtemps sans pouvoir bouger, c’était vraiment déprimant. L’équipe a dû attendre que je puisse me lever et réapprendre à marcher, attendre trois semaines pour tourner la dernière scène. J’en ai toujours le terrible souvenir. Parce que c’est un film indépendant, on était dans la hâte de finir cette séquence avant qu’il n’y ait plus de soleil, pas assez de précautions, et l’accident est arrivé.

EN : Dans Here comes the Bride il y a une représentation de l’homosexualité qui est assez parodique, voire caricaturale…

ED : Dans l’industrie du cinéma, l’homosexualité n’est pas un problème, tout le monde est très ouvert, peut-être même que les gays sont les plus créatifs. Pour ce qui est du public en général, peut-être que pour certains c’est un sujet de discorde. Dans le film, le personnage gay voudrait se sentir comme une femme désirée par un homme. En fait il est montré comme avide de plaisir, gay ou hétéro on a un même désir.

EN : Comment c’était d’être dirigée par Brillante Mendoza dans John John ?

ED : J’étais habituée à jouer pour des films commerciaux et pour la télévision, et c’était amusant. Dans John John, j’avais une scène à faire où je devais marcher et marcher, marcher et parler aux gens dans la rue, pendant que la caméra me suivait sans s’arrêter, toujours dans mon dos, sans gros plan. La scène est tournée, et un jour Brillante me téléphone : "j’ai vu les rushs et c’est bien", moi : "oh, merci", lui : "tu es super", moi : "oh, merci", lui : "c'est divertissant, mais je ne veux pas que le spectateur se divertisse"... J’ai compris alors qu’il voulait des acteurs neutres ou naturels au possible, sans avoir l’air de jouer. Hier avec Brillante [Mendoza, président du jury au FICA 2014], on a pris le petit-déjeuner ensemble et on s’est raconté cette histoire, ça nous a fait rire. Le tournage remonte à des années, et jamais on n’aurait imaginé se retrouver en même moment en France au Festival de Vesoul, c’est extraordinaire.


   Kristofy & MpM