Sara Forestier
Sara Forestier. Elle trouve que son nom est passe-partout, alors elle emprunte celui de Bahia BenMahmoud pour Le nom des gens. Rencontre avec une actrice nature et généreuse.



Karim Aïnouz
Toni Servillo
Félix Dufour-Laperrière
Jayro Bustamente
Gilles Perret
Hélène Giraud
Ryusuke Hamaguchi
Rohena Gera







 (c) Ecran Noir 96 - 24





Brillante Mendoza, chef de file du cinéma philippin contemporain, est régulièrement sélectionné dans les grands festivals internationaux depuis le milieu des années 2000 : Le Masseur à Locarno en 2005, John John à Cannes et Tirador à Toronto en 2007, Serbis à Cannes en 2008, Lola en 2009 à Venise, Kinatay à Cannes en 2009 (avec un prestigieux prix de la mise en scène en prime), Captive en 2012 à Berlin, etc. . C’est donc fort logiquement que le festival international des Cinémas d’Asie de Vesoul lui a décerné son Cyclo d'honneur 2014, et lui a proposé de présider le jury international de sa 20e édition, qui proposait justement un regard sur le cinéma philippin.

Disponible et d’une grande simplicité, le cinéaste en a profité pour présenter une rétrospective de son travail, participer à une table ronde sur le cinéma de son pays, et aller à la rencontre des festivaliers. L’occasion de l’écouter parler avec énormément de précision de son travail minutieux de mise en scène, des sujets qui l’inspirent, ou encore de l’état actuel du cinéma philippin indépendant. Rencontre passionnée et passionnante.



EN : Dans Kinatay, lors de la longue séquence en voiture, on ne voit pas grand-chose, mais on perçoit tout à travers le son… ce qui n’est pas fréquent au cinéma.

BM : Bien sûr, le cinéma est un média avant tout visuel. Mais pour moi, c’est une expérience sensorielle que j’essaye de maximiser. Il ne s’agit pas seulement de ce l’on voit, mais de ce que l’on ressent, ce que l’on entend, ce que l’on sent, presque… Je crois que les films sont des expériences totales.

EN : Lorsque l’on a rencontré Eugene Domingo ici à Vesoul, elle nous a raconté une anecdote vous concernant ! Lorsque vous avez tourné John John ensemble, vous trouviez qu’une séquence où on la voit marcher de dos devenait "divertissante", et que ce n’était pas ce que vous recherchiez…

BM : (il rit) Ah, c’est une blague ! Lorsque les acteurs surjouent, ou qu’ils en font trop, on le sent. Donc s’ils sont dans la performance, j’applaudis et je dis "bravo, c’est très bien, tu es un très bon acteur, tu joues parfaitement devant la caméra". Mais je ne veux pas qu’ils soient dans la performance, ils n’ont pas besoin d’attirer l’attention du public sur eux. Pour moi, jouer, c’est justement ne pas être dans la performance. Quand on ne voit pas les acteurs jouer, mais qu’on voit juste les personnages exister.

EN : Vous avez des références par rapport à cette idée de "non jeu" ?

BM : Pas vraiment de références, mais c’est mon idée du travail d’acteur. Dans ma ville natale, lorsque j’étais enfant, je regardais beaucoup de mélodrames. Mes parents adoraient le cinéma. On y allait tous les week-ends. Nous vivions dans une petite ville et il ne se passait pas grand-chose, à part le dimanche : on allait à l’Eglise et au cinéma. Mon père aimait les films d’action, et ma mère aimait les mélodrames, donc je n’avais pas le choix. Et quel que soit le film qu’ils aillent voir, j’allais avec eux. J’adorais ça. En tant que petit garçon, j’aimais le cinéma comme divertissement. Puis j’ai travaillé dans la publicité et j’ai bien vu que c’était deux choses très différentes. Dans la publicité, on est au service d’un produit. Alors que le cinéma, pour moi, c’est dépeindre la vie comme elle est.

EN : Que pensez-vous de la génération actuelle de cinéastes philippins qui sont eux aussi très inspirés par la réalité sociale du pays ?

BM : C’est très intéressant. Actuellement, grâce à la technologie, tout le monde peut faire un film et raconter des histoires vraies. Ce que j’espère, c’est que chacun ait la bonne attitude et le respect nécessaire pour le faire. Il faut une certaine maturité et une vraie discipline. On ne peut pas prendre des faits réels qui sont arrivés à des gens ordinaires et les mettre sur grand écran juste pour être polémique, être invité en festival, ou simplement exploiter la réalité sur grand écran. Il y a une responsabilité à raconter de telles histoires. C’est une question d’engagement de la part du réalisateur. Il faut être très attentif à cela.

EN : Justement, un des films présentés à Vesoul [The woman in septik tank de Marlon Rivera], qui a d’ailleurs connu un grand succès aux Philippines, raconte l’histoire de jeunes réalisateurs ambitieux qui font un film sur une famille pauvre vivant dans un bidonville, avec l’espoir de séduire les festivals internationaux. Bien sûr, le trait est forcé, mais selon vous il y a une part de vérité dans ce que dit ce film ?

BM : Oui, c’est exactement ce dont je vous parlais juste avant. Le film est une parodie du cinéma indépendant philippin. Cela ne me pose pas de problème à partir du moment où ils critiquent leurs pairs. Mais j’ai quelques réticences par rapport à ce que dit le film. C’est drôle, bien sûr, mais s’ils voulaient se moquer des cinéastes indépendants, ils auraient dû se concentrer sur eux, et ne pas se moquer également des populations pauvres du bidonville. De ce fait, je trouve que le film est lui-même coupable de ce qu’il cherche à dénoncer : exploiter la pauvreté. Notamment à la fin, lorsque les habitants du bidonville essayent de voler la voiture des cinéastes.
Page précédentePage suivante