(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Hélène Cattet et Bruno Forzani se font connaître en 2009 avec Amer, un objet curieux mêlant esthétisme, érotisme et violence en forme de clin d’œil au giallo italien. Leur sens du détail, de la mise en scène et du montage leur apportent un succès immédiat, spectaculairement relayé par un certain Quentin Tarantino. Le réalisateur américain chante leurs louanges et place le film dans son top 10 de l’année.
Avant cela, le couple tournait des courts métrages (déjà envoûtants) dans son appartement et rêvait à un film gigogne et cauchemardesque inspiré par l’Art nouveau. Ce film, c’était L’étrange couleur des larmes de ton corps, sur lequel ils ont travaillé pendant onze ans. Sur les écrans français à partir du 12 mars, ce deuxième long métrage halluciné tient toutes tes promesses : récit savamment déstructuré en une longue succession de cauchemars, de fantasmes et d’obsessions, atmosphère délétère, audaces formelles… Un objet envoûtant et sensuel, purement cinématographique.
Il était impossible de ne pas aller à la rencontre de cinéastes capables d’inventer un tel univers et de nous y perdre avec autant de maestria. Rendez-vous manqué avec Hélène Cattet, dont c’était le tour de garder le bébé (au sens propre, le couple a un enfant de quatre mois à gérer en plus de la sortie du film), mais conversation passionnante avec Bruno Forzani, qui dévoile leur manière de travailler et parle d’architecture, de cinéma de genre, de recherches formelles, de grammaire cinématographique et même de légumes avec une passion communicative.
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EN : On qualifie pas mal votre film, comme le premier, d’ailleurs, de "Giallo", ce genre italien des années 60 à 80 qui est à la frontière du cinéma policier, du cinéma d'horreur et de l'érotisme. Revendiquez-vous cette appellation ou est-ce juste une étiquette un peu artificielle ?
BF : Je pense qu’il y a le côté étiquette ! Moi je ne pense pas que ce soit un giallo. On travaille avec ce genre-là et c’est une facette du film. Après, pour moi, ce n’est pas un giallo. C’est réducteur de le comparer à un giallo. Le film est assez schizophrénique, déjà parce qu’on est deux réalisateurs avec deux univers différents, et le giallo c’est seulement une de ses personnalités.
EN : Ca fait partie de vos influences…
BF : Ca fait partie de l’univers, effectivement. Il y a toute une grammaire propre au genre que l’on réutilise, comme la figure de l’assassin avec les mains gantées, les meurtres graphiques, l’érotisation de la violence. Mais ce n’est pas uniquement cela. Il y a une démarche beaucoup plus surréaliste. Si tu le compares à un giallo classique, ce n’est pas du tout le même genre de cinéma. Mais après, c’est chouette si les gens peuvent redécouvrir ce genre-là, par le biais de films comme celui-là, ou comme Berberian sound studio [sorti en 2013]. C’est un partage avec le public. Moi j’ai toujours été fan de ce cinéma-là et c’était assez difficile d’accès, c’était assez obscur, et c’est chouette que ces films puissent redonner une place à ce cinéma-là qui est un peu oublié, connu par une communauté cinéphile restreinte.
EN : On retrouve dans vos deux films des objets fétiches qui se répondent, comme les poupées…
BF : Qui appartiennent à l’univers du giallo, d’ailleurs.
EN : Ce sont comme des clins d’œil aux spectateurs ?
BF : On a une approche assez fétichiste du cinéma. De certains personnages, de certains objets. On essaye de faire un cinéma sur le détail, et c’est notre amour pour ce cinéma de genre qui s’exprime. Pour des choses très précises qu’on se réapproprie, qu’on réutilise. C’est un plaisir qu’on a eu en tant que spectateur, et quand on réalise après, c’est un plaisir de jouer avec ces codes-là, ces fétiches.
EN : L’influence architecturale est également très importante dans vos films. La grande villa d’Amer, la maison Art Déco de L’étrange couleur…. Ce sont des images que vous avez en tête dès le début ?
BF : La maison de L’étrange couleur est composée de sept maisons. Cinq à Bruxelles et deux à Nancy. Là où il y a l’immense cage d’escalier, ça c’est une maison Horta [réalisée par l’architecte belge Paul Horta], et si on ne l’avait pas eue, je crois que le film n’aurait pas été faisable. Parce que c’est une des rares maisons qui n’a pas été retapée à l’intérieur ou qui n’est pas un musée. Ils l’ont gardée en l’état, chaque pièce est unique. Elle a permis de construire tout l’espace labyrinthique du film. Et c’est vrai que pour Amer comme pour ce film, c’est vraiment l’architecture qui est une des premières pulsions créatrices qui nous pousse à faire le film. Celle d’Amer, c’est une maison que je connais depuis que je suis tout petit (je suis originaire du sud de la France, en fait). Chaque fois on se rend compte qu’on utilise ces maisons parce qu’elles sont un peu atemporelles. Elles datent d’une autre époque. Elles permettent dans notre contexte quotidiend e partir dans le fantastique et dans l’onirique. C’est un peu un rapport intime qu’on a avec ces lieux de tournage. Et souvent c’est une source d’inspiration. Ce sont des lieux, quand on rentre dedans, ils ont une âme. Et c’est toujours magique. Ce sont des personnages eux-mêmes. On ne sait plus quel est l’intérieur et l’extérieur des personnages. On aime bien ces trucs-là ! En plus, dans cette maison où on a tous les plans larges, l’architecte Horta cassait tous les motifs architecturaux de l’époque. C’était complètement révolutionnaire sa manière de faire. C’est complètement labyrinthique. C’est construit sur deux maisons et au niveau des escaliers, ça devient presque comme du Escher car il y a un escalier qui est comme ça [geste dans un sens], et tout à coup il part comme ça [geste dans le sens opposé]. Tout le côté surréaliste de cette architecture nous a permis de construire l’espace. Comme tout est cassé au niveau de la perception, ça allait bien avec le film où c’est un labyrinthe, où il y a des recoins, etc., et ça nous a vraiment permis de donner corps à l’histoire.
EN : Mais lorsque vous avez écrit le film, vous n’aviez pas encore en tête toute cette géographie ?
BF : Non, on avait une géographie qu’on a adapté aux lieux. Selon le personnage, selon son univers, on essayait de chercher un art nouveau différent puisqu’on fait cohabiter différents artistes et différentes architectures. C’était ça qui était chouette à construire. On avait un espace fictif dans notre tête, et après en découvrant le lieu, on s’adapte au lieu, et le découpage change. C’est comme si on avait deux découpages : un découpage dans cette espèce d’espace qui n’existe pas, et après avoir découvert les lieux, un découpage qui fait cohabiter toutes ces maisons.
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