Sara Forestier
Sara Forestier. Elle trouve que son nom est passe-partout, alors elle emprunte celui de Bahia BenMahmoud pour Le nom des gens. Rencontre avec une actrice nature et généreuse.



Karim Aïnouz
Toni Servillo
Félix Dufour-Laperrière
Jayro Bustamente
Gilles Perret
Hélène Giraud
Ryusuke Hamaguchi
Rohena Gera







 (c) Ecran Noir 96 - 24



Hélène Cattet et Bruno Forzani se font connaître en 2009 avec Amer, un objet curieux mêlant esthétisme, érotisme et violence en forme de clin d’œil au giallo italien. Leur sens du détail, de la mise en scène et du montage leur apportent un succès immédiat, spectaculairement relayé par un certain Quentin Tarantino. Le réalisateur américain chante leurs louanges et place le film dans son top 10 de l’année.

Avant cela, le couple tournait des courts métrages (déjà envoûtants) dans son appartement et rêvait à un film gigogne et cauchemardesque inspiré par l’Art nouveau. Ce film, c’était L’étrange couleur des larmes de ton corps, sur lequel ils ont travaillé pendant onze ans. Sur les écrans français à partir du 12 mars, ce deuxième long métrage halluciné tient toutes tes promesses : récit savamment déstructuré en une longue succession de cauchemars, de fantasmes et d’obsessions, atmosphère délétère, audaces formelles… Un objet envoûtant et sensuel, purement cinématographique.

Il était impossible de ne pas aller à la rencontre de cinéastes capables d’inventer un tel univers et de nous y perdre avec autant de maestria. Rendez-vous manqué avec Hélène Cattet, dont c’était le tour de garder le bébé (au sens propre, le couple a un enfant de quatre mois à gérer en plus de la sortie du film), mais conversation passionnante avec Bruno Forzani, qui dévoile leur manière de travailler et parle d’architecture, de cinéma de genre, de recherches formelles, de grammaire cinématographique et même de légumes avec une passion communicative.

EN : Et comment est-ce que c’est formulé en amont du tournage ?

BF : Nous ne sommes pas du tout dessinateurs, avec Hélène. On fait des espèces de croquis d’enfant et il y a toute une partie qui est faite comme ça. Quand on fait tout le travail sur les décors et les lieux, on prend des photos, et on fait les cadres à partir des photos. Tout le décor Horta, avec les escaliers, on a mis trois jours à le comprendre. C’est tellement désorientant, c’est tellement puissant, foisonnant… Tu es écrasé par le décor. Il faut s’acclimater, passer du temps dedans pour le comprendre et savoir quel axe utiliser. C’est un peu pareil avec le palais de justice de Bruxelles. Il est plus simple, plus géométrique, mais il est tellement énorme, il y a tellement de points de vue, qu’il faut arriver à savoir comment le cadrer. On essaye donc de faire cohabiter les décors. Il y a une partie qui est faite à base de photos, et on fait nous-mêmes de petits films avec Hélène, où on fait nous-mêmes les personnages, et on fait de petits montages pour voir si les lieux se raccordent bien. Le plus important c’est la préparation qu’on a avec Manu, le chef op’. Il faut qu’il arrive à bien capter tout ce qu’on veut faire. C’est avec lui qu’on fait le plan de travail, qu’on sait comment on va déstructurer le film, lui il doit avoir accès à toutes les clefs du film.

EN : L’autre poste clef, c’est le son.

BF : Le son, on le fait en post-production. Et le bruiteur, c’est Olivier Thys qui a travaillé sur Amer et sur quelques-uns de nos courts métrages. La session de bruitage, c’est comme un deuxième tournage, mais sonore. Il est à la fois comédien et chef opérateur sonore. C’est vraiment de l’acousmatique qu’on a fait avec lui. C’était génial ! C’était dur car c’est une autre manière de se concentrer, et on travaillait avec des sons assez agressifs, donc c’était assez épuisant à la fin de la journée. Vous voyez Berberian sound studio, lorsque le gars devient fou ? Cette manière de travailler, ça pousse à être dans un état fiévreux, second. On essaie de ne pas coller à l’image. Le son, c’est une manière de toucher à l’inconscient des gens. C’est pas théorique, mais de l’ordre de la sensation. L’image, les gens peuvent la décrypter, mais le son… On est tellement peu habitué ! On peut mettre des sons qui sont en contrepoint sans que les gens s’en rendent compte, mais ça les guide vers une piste. Le film a une espèce de structure circulaire, en boucle. Il y a plein d’éléments sonores qui reviennent mais on ne s’en rend pas compte. Ou on associe des sons qui viennent d’une séquence avec une autre séquence qui n’a rien à voir, pour la lier, et cela se connecte de manière inconsciente. Par exemple, on parlait de la maison qui est un personnage à part entière : on a mis plein de sons organiques au niveau de la maison. Les murs, quand on les touche, ce sont des sons de peau. Quand la femme écoute avec le stéthoscope, on a fait des prises de son avec des micros-contact, qui sont des micros qu’on pose sur le corps, et on entend tout l’organisme. Je ne pense pas qu’on s’en rende compte, mais inconsciemment, ça participe à la création du personnage de la maison.

EN : Et pour bruiter les scènes violentes ?

FB : Il y a plusieurs légumes pour faire les sons de lacération ou d’impact. Il y a le chou qui est le plus important pour le "crac". Quand les personnes reçoivent des coups de poignard sur la tête, on a mis le micro-contact dans le chou, ce qui donne ce côté intérieur… C’est un massacre de légumes. C’est Cannibal holocaust, version végétarien.

EN : Que dire au spectateur avant qu’il ne voit le film ?

BF : De se laisser aller, de ne pas réfléchir, et de se laisser pénétrer par le film. C’est comme une montagne russe, il faut le prendre comme un boost.


   MpM

Page précédente