Sara Forestier
Sara Forestier. Elle trouve que son nom est passe-partout, alors elle emprunte celui de Bahia BenMahmoud pour Le nom des gens. Rencontre avec une actrice nature et généreuse.



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Marcela Said est née à Santiago, au Chili. Diplômée d'Esthétique à l'Université Catholique de Santiago et en 1998 et d'un Master en Media & Langage à l'Université Paris IV La Sorbonne, elle se lance d'abord dans le documentaire. Après quatre docus, dont El mocito, sélectionné au Forum de la Berlinale en 2011, elle réalise son premier long métrage de fiction avec L'Été des poissons volants, présenté à la Quinzaine des réalisateurs en 2013. Marcela Said était l'invitée de Cinélatino à Toulouse.
Ecran Noir : Comment êtes-vous arrivée au cinéma, que ce soit le documentaire ou la fiction?





Marcela Said: Par hasard. J’ai fait des études de philosophie et je suis venue en France pour continuer mes études sur la sociologie des médias. J’ai étudié les Techniques et Langages des Médias à la Sorbonne. J’ai rencontré là-bas mon mari (Jean de Certeau) qui était chef monteur et qui travaillait avec beaucoup de réalisateurs de documentaires. J’allais donc à l’université le matin et je passais mes après-midis dans la salle de montage. La salle de montage était ma véritable école. J’étais assise à côté de Jean et à côté de tous les réalisateurs qui passaient pour faire des films documentaires. J’ai alors découvert le documentaire de création, le documentaire politique et c’est là qu’est née mon envie de faire des films documentaires! Ça mélangeait des choses que j’aimais beaucoup. Je suis quelqu’un de très politique, j’aimais bien la photo et dans le documentaire il y avait pour moi un chemin, une façon de pouvoir exprimer mes idées tout en étant libre.

EN: Et comment avez-vous franchi le pas?

MS: J’ai proposé à une productrice mon premier travail, un peu naïf, pour une série "L’écume des villes". Je lui ai proposé un projet pour faire la ville de Valparaiso vue par ses habitants. Je n’avais jamais rien fait dans ma vie, même pas un court-métrage et quand j’y pense c’était assez incroyable! J’ai donc fait mon premier 52 minutes et il a eu une très belle presse. J’ai beaucoup aimé l’expérience. J’ai donc commencé à écrire mon prochain film. C’était au moment de l’incarcération de Pinochet à Londres et ça m’a de suite donné envie d’écrire sur les pinochetistes. J’ai donc fait I love Pinochet, un film qui parle du fascisme ordinaire. Et c’est comme ça que j’ai commencé à enchaîner mes films, par un vrai désir de parler de certaines choses. Tout naturellement est donc venu ensuite Opus Dei, co-réalisé avec Jean, le film le plus difficile que j’ai jamais fait! Après Opus Dei on est parti vivre au Chili et on a fait El Mocito, portrait psychologique de quelqu’un qui faisait le ménage dans les centres de torture au Chili.

EN : Comment êtes-vous ensuite passée du documentaire à la fiction?

MS: Tout naturellement aussi. J’ai découvert une histoire que je ne pouvais pas faire en documentaire. J’étais allée en voyage dans une très belle propriété au sud du Chili avec un golf, une lagune. Je voulais me baigner dans la lagune et une femme m’a dit que ce n’était pas possible, qu’elle était infectée de carpes, que son père avait mis des explosifs pour les exterminer mais qu'il n’avait pas réussi. Quand elle m’a raconté cette histoire, j’ai trouvé ça hallucinant! Ça montrait très bien à quel point quelqu’un qui a de l’argent peut faire n’importe quoi. En même temps on était en plein territoire mapuche avec un conflit qui est là, ses tensions. Je me suis dit qu’ici il y avait un super film à faire! Mais en l’occurrence ce ne pouvait pas être un documentaire. Et en plus j’avais vraiment envie de passer à la fiction, au travail de mise en scène pour parler d’une autre façon des mêmes choses que j’aborde dans mes documentaires. On peut parler des même sujets mais en trouvant une autre manière de le faire et pour ça la fiction donne une liberté inimaginable et c’est une expérience incroyable.

EN : Avez-vous déjà un autre projet?

MS: Je suis en train d’écrire. Je suis en résidence à la Cinéfondation de Cannes dans des locaux à Paris. Le titre provisoire est De la pluie et du beau temps. Ça traite de la bourgeoisie et de la violence du pays.

EN : Vous avez grandi sous Pinochet…

MS: Jusqu’à l’âge de 24 ans j’ai vécu au Chili, je suis une enfant de la dictature. Grandir dans une dictature ce n’est pas banal. Il y avait les militaires dans la rue, la peur, des sujets tabous. J’étais au courant, même à l’âge de 13-14 ans, qu’il y avait des centres de torture, que des gens disparaissaient et c’est une façon de vivre dans la terreur quotidienne.

EN : Par la suite, vous avez vécu longtemps à Paris mais vous ne quittez pas le Chili dans vos films. Vous imaginez-vous tourner ailleurs un jour?

MS: Je suis mariée avec un Français. On a vécu dix ans à Paris et après on est reparti au Chili. Oui, je m’imagine tourner ailleurs un jour mais je suis chilienne d’origine, mon imaginaire et mes problématiques du moment sont chiliens. Je suis encore tournée vers le Chili pour le moment. C’est pas pour autant que je ne suis pas tournée vers la France. J’ai une idée pour tourner, pas à Paris mais dans la région d’Annecy qui est une région que j’aime beaucoup. C’est une histoire que je suis en train d’écrire en parallèle et j’imagine que je pourrai la faire plus tard.

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EN : Vous êtes retournée au Chili en 2006, après avoir réalisé Opus Dei. Pourquoi?

MS: Pour l’exploitation du film et pour voir ma famille. Je ne savais pas pour combien de temps ce serait et finalement cela fait sept ans qu’on est au Chili, mais on pense rentrer en France d’ici la fin de l’année. Depuis que je suis toute jeune, je me sens différente, combattive. C’est un pays qui marche à deux vitesses, où les inégalités sont beaucoup trop grandes, où les femmes sont trop soumises et, rebelle de nature, je ne m’y sens pas vraiment à ma place. J’ai toujours voulu quitter le Chili, c’est un sentiment que j’ai depuis que je suis toute jeune et j’étais très contente quand je suis arrivée en France, je m’y sens très bien. Je m’y sens comprise, soutenue. Au Chili j’ai un certain malaise. J’adore sa nature, c’est une culture que je comprends très bien mais en même temps il y a un malaise qui me poursuit…

EN : Dans le film Opus Dei, une image montre une porte se refermant sur votre caméra…

MS: C’était un film très dur à faire. C’était très difficile d’y rentrer. c’est un organisation qui n’aime pas les caméras, qui travaille dans le secret, enfin dans la discrétion comme ils disent. Comme ils travaillent d’une façon trop discrète, les caméras ne leur conviennent pas. Ça nous a pris cinq ans pour faire le film et avoir ce résultat-là, c’est-à-dire arriver à entrapercevoir un tout petit peu leur secret.

EN : Avez-vous rencontré beaucoup d’ex-membres de l’Opus Dei pour faire ce film?

MS: Oui, j’en ai rencontré beaucoup mais je ne voulais pas faire un film sur les ex-membres de l’Opus Dei. J’ai donc choisi une seule femme ex-membre qui apparait dans le film car elle me paraissait très émouvante, elle avait très peur. Aucun ex-membre ne voulait montrer son visage dans le film et c’est ce qui m’a étonné, ils avaient très peur. Ils ne sont pas libres de leur parole. Les seuls ex-membres qui le sont se trouvent en Espagne, mais pas au Chili.

EN : Et pourquoi ce thème de l’Opus Dei en particulier?

MS: Ce qui est intéressant c’est de voir comment cette organisation essaie de créer un certain type de société, une société paternaliste, autoritaire, un peu phallique, où les femmes sont assez soumises et ont un rôle un peu secondaire. C’est une société dont je ne partage pas les valeurs et je n’ai pas envie qu’un des membres de l’Opus Dei soit au pouvoir, change des lois etc. Si ces pratiques-là restent dans la sphère privée ça ne me dérange pas du tout mais du moment où ça touche la sphère publique alors là ça me concerne, ça me préoccupe et c’est donc important de savoir… Car c’est leur but quand même, avoir une influence directe sur le monde et c’est pour cela qu’ils travaillent en toute discrétion.

EN : Opus Dei et El mocito sont présentés cette année à Toulouse dans la Muestra, femmes de cinéma. Pour vous, quelle est la place des femmes réalisatrices dans le cinéma sud-américain, et plus particulièrement au Chili?

MS: Je ne peux pas parler vraiment du reste de l’Amérique latine car je n’y connais pas grand chose. Il y a beaucoup de réalisatrices en Argentine mais l’Argentine est aussi un pays qui produit énormément de films, environ 150 films par an pour 25-30 au Chili. Le volume est donc déjà très différent.
Au Chili, beaucoup de femmes réalisent des documentaires mais très peu de fictions. Si on me parle de cinéma féminin je ne sais pas trop quoi dire. Je ne sais pas si c’est vraiment différent quand ce sont les hommes qui réalisent… J’imagine qu’il y a une sensibilité différente, moins dans les sujets que dans la façon de les aborder.


   morgane