(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Lorsque l'on voit un film enivrant, passionnant et électrisant comme Whiplash on ne s'attend pas à un réalisateur aussi modeste et doux que Damien Chazelle. Là où certains pourraient être arrogants et hautains, Damien Chazelle est tout le contraire. C'est timidement et la tête baissée que le réalisateur est venu à notre rencontre lors du Festival du cinéma américain de Deauville. «Bonjour» dit-il de sa petite voix suave qui fait penser à celle d'un petit garçon qui n'a pas encore conscience de son talent. Légèrement gêné par les compliments, le réalisateur se livre cependant à cœur ouvert. Rencontre... |
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Écran Noir: Passionnée par la batterie j'ai vite changé d'avis en voyant Whiplash...
Damien Chazelle: (Rires) Vous en avez déjà fait?
EN: Non hélas et votre film m'en a dissuadée, je redoute un professeur tel que Fletcher.
DC: (Rires) Oui je comprends!
EN: En parlant de ça, comment l'idée de montrer le côté sombre de la musique et surtout de l'apprentissage musical est venu?
DC: C'est très personnel. En fait, c'est ce que j'ai vécu. J'ai commencé comme batteur quand j'étais très jeune et au début c'était amusant et pas sérieux. Je faisais ça pour m'amuser, clairement. Et puis au lycée j'ai commencé à jouer dans un orchestre avec un chef d'orchestre, un professeur très très dur, un peu comme le personnage de J.K. Simmons, et soudain la musique est devenue une guerre de tous les jours...c'était la vie ou la mort! La plupart du temps, ce que je ressentais c'était la peur, c'était l'angoisse, je voulais donc faire un film sur la musique, mais qui parlait de ces émotions là. Pas de la joie de la musique mais de la peur de la musique.
EN: Il y a un univers très sombre en effet. On est bien loin des films musicaux habituels enchanteurs...
DC: Oui, habituellement soit c'est joyeux, ou comme dans Bird ça parle de la souffrance en dehors de la musique. Il y a la musique et les problèmes de la vie. La pauvreté, la lutte entre les classes, la drogue et j'en passe. C'est vrai que je ne pense pas qu'il y ait beaucoup de films sur la peur que ressent un musicien sur scène au moment où il va devoir jouer devant quelqu'un, un public ou un chef d'orchestre. C'est une émotion très commune et très importante chez les musiciens mais on ne la voit pas sur l'écran.
EN: Vous semblez être fan de Charlie Parker (Bird de Clint Eastwood), vous en parlez beaucoup dans Whiplash d'ailleurs. Vous pouvez nous en parlez un peu?
DC: (Ricane) Je pense que c'était à travers mon père. Il n'est pas musicien mais c'est un grand fan de jazz. Quand j'étais petit, il y a toujours eu du jazz dans la voiture ou à la maison et il parlait toujours de Charlie Parker. Il me racontait des histoires et c'est la première fois que j'ai entendu l'histoire de Charlie Parker et de la cymbale lancé par Jones. Cela venait de la bouche de mon père. Donc un peu grâce à lui, j'ai commencé à faire de la batterie et c'est vrai que j'écoutais les vrais batteurs tel que Jones par exemple. Il y a eu ce côté très romantique et très mystérieux dans l'histoire de Charlie Parker qui m'a toujours fasciné. En particulier l'histoire de l'origine de Charlie Parker. Ce qui est fascinant justement avec lui c'est qu'il a commencé à jouer quand il était petit mais vers ses 17 ans lorsqu'il jouait au Kansas, personne n'aurait dit qu'il allait devenir un si grand musicien. Il n'était pas hyper doué au début. Et puis on ne sait pas exactement ce qu'il s'est passé, mais il y a eu quelque chose entre son 18ème et 19ème anniversaire. Quelque chose a changé. À 19 ans il retourne dans le Kansas, il se met à jouer et là c'est quelqu'un d'autre. Il devient le plus grand musicien de son époque et je pense même du siècle. Immédiatement cette année-là, tout le monde s'est mis à parler de lui «ah est-ce que tu as écouté ce jeune saxophoniste? Incroyable c'est comme Mozart!». C'est comme s'il était descendu du ciel, et pourtant un an avant on ne disait pas ça. Qu'est-ce qui a bien pu se passer? C'est ça qui m'intéresse. Dans mon film, je ne voulais pas raconter l'histoire d'un grand musicien mais de quelqu'un qui n'est pas grand mais qui devient grand. Comment devient-on grand d'ailleurs? Il y a toute une mythologie qui parle de ça mais c'est surtout parce qu'on ne comprend pas comment cela arrive. Les scientifiques, les psychologues essayent de définir comment on devient un génie, comment ça arrive. Il y a beau avoir des débats on n'arrive pas à comprendre.
EN: On voit surtout ça durant cette magnifique scène de fin où on Andrew joue sans arrêt. Il semble avoir perdu son innocence pour devenir le talentueux batteur qu'il voulait être...
DC: Oui c'est exactement ça.
EN: Même si je pense connaître déjà la réponse grâce au poster d'Andrew qui apparaît dans le film (“Si vous êtes un mauvais batteur, faites du rock !”), vous êtes plus jazz ou rock?
DC: Oui le poster (rires) c'est Buddy Richard qui a dit ça, j'avais trouvé cette citation sur Internet, je l'ai trouvé très drôle et je l'ai mise dans le film. Buddy Rich était comme ça...c'était un salaud (rires). Bon moi j'adore le rock bien-sûr. D'ailleurs quand j'ai commencé à faire de la batterie, c'était du rock, c'était un peu plus facile. J'adore le jazz aussi. Pourtant, lorsque vous êtes batteur le jazz c'est plus haut comme art. Il y a des grands batteurs de rock bien-sûr. Je ne veux pas dire que c'est l'un ou l'autre mais les plus grands, «les Dieux», sont les batteurs de jazz. C'est surtout pour ça que dans le film c'est le jazz.
EN: Il est vrai que dans le rock contemporain la batterie se fait moins entendre, tout semble électronique...
DC: Oui tout à fait. C'est vrai que la batterie pure, ça n'existe pas au même niveau qu'avant.
EN: La relation entre Andrew et son professeur est juste incroyable. On en rit, on en pleure. On a tellement de peine pour Andrew, ce pauvre garçon qui se prend tout. Vous m'avez dit que vous aviez vécu des choses similaires...mais c'était similaire à quel point?
DC: (Rires) Bon j'en ai rajouté un peu pour le film, mais au niveau émotionnel c'était la même chose. C'était un prof qui croyait qu'il fallait pousser les gens. Je suis devenu un plus grand batteur à cause de lui et ça peut faire débat. Pour moi ce n'était pas un monstre, il n'était pas agressif mais je me demandais «ok je suis devenu un bon batteur mais il n'y a pas de joie. Est-ce que ça vaut le coup?». Je voulais donc amplifier la question à travers cette histoire. C'est donc pour cela que j'ai crée ce personnage qui vient de mon propre prof et aussi d'autres personnages qui ont pu faire l'histoire du jazz comme Buddy Rich, Miles Davis, Benny Goodman, des gens qui étaient connus pour leur dureté. Après comme je le disais au niveau de l'émotion, oui c'était la même chose: l'humiliation, la peur, l'angoisse. Le prof nous arrêtait, nous faisait recommencer pendant des heures et devant tout l'orchestre, c'était vraiment dur.
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EN: C'est là que la question principale du film - «est-ce que ça valait le coup?» - est posée finalement?
DC: Exactement. C'est la question que je voulais poser. Je ne pense pas que le film justifie les méthodes de Fletcher (J.K. Simmons). C'est vrai que parfois ces méthodes fonctionnent et il ne faut pas le nier. Il est vrai que parfois dans l'histoire, ça marche mais la plupart du temps ça ne marche pas. Après la question c'est surtout «même si ça marche est-ce que ça vaut le coup?».
EN: Si vous revoyez votre professeur est-ce que vous lui montreriez Whiplash?
DC: Il est mort il y a 10 ans. Mais on me pose souvent la question et oui je lui aurai montré je pense. Il aurait peut-être aimé (rires). Je me souviens d'avoir parlé à un musicien qui a vu le film. Ce musicien a joué du trombone dans l'orchestre de Buddy Rich. Batteur, il était aussi chef d'orchestre et il était très dur. Et ce gars, assez âgé, m'a dit «c'était tout à fait ça avec Buddy Rich je dirai même pire! C'était un grand salaud je le détestais». Il a ensuite ajouté «Vivant il aurait bien aimé le film!» (Rires)
EN: Le duo J.K. Simmons et Miles Teller est enivrant. Comment les avez-vous choisis?
DC: Alors pour J.K. Simmons, c'est le producteur du film Jason Reitman qui est également un réalisateur lui-même, qui a travaillé avec J.K. Simmons dans tous ses films, qui me l'a suggéré. Il en parle comme de sa muse, de sa source d'inspiration. Moi je ne savais même pas si ça marcherait car je le voyais trop comme un comique. Puis j'ai fait le court métrage Whiplash avec J.K. Simmons pour préparer le long-métrage et là sur scène c'était évident! Ce que l'on voit à l'écran c'est J.K. Simmons, moi je n'ai pas fait grand chose. Pour Miles Teller, c'est différent. J'ai vu Rabbit Hole, son premier film, quand j'écrivais Whiplash et je me suis dis immédiatement que ce serait super de l'avoir sur ce film. Enfin soit sur ce film, soit sur un autre, en tout cas je voulais travailler avec lui. On lui a donné le scénario et j'ai eu de la chance qu'il ait accepté. Depuis Rabbit Hole, je savais qu'il pourrait le faire.
EN: Par rapport au court-métrage d'ailleurs, que je n'ai pas eu la chance de voir, c'était la même trame que le film?
DC: Oui, c'était une séquence du film, tiré du scénario. C'était la première répétition entre Fletcher et Andrew, ça doit duré 15 à 18 minutes environ. Mais c'est la même chose que dans le film.
EN: Vous êtes passez de batteur à réalisateur, vous avez toujours eu cette envie de cinéma?
DC: En fait, le cinéma est venu d'abord. Quand j'étais gamin, je voulais déjà faire des films. La batterie c'était plutôt une phase, la période du lycée. D'ailleurs ça a duré 4 ou 5 ans, après je suis retourné au cinéma.
EN: Vous continuez la batterie?
DC: Un peu mais pas beaucoup (ricane). Quand on me demande pourquoi j'ai arrêté, je répond qu'il faut voir le film! Voilà c'est pour ça! (rires)
EN: Après un tel premier film, vous n'allez pas vous arrêtez là...
DC: Oui là je prépare un autre film avec Miles, qu'on tournera l'année prochaine à Los Angeles. C'est une comédie musicale qui parle de jazz, mais là c'est plutôt romantique. Pour moi, mon réalisateur préféré c'est Jacques Demy, son cinéma j'en suis fan. Donc je veux faire ma version des Parapluies de Cherbourg avec Miles Teller et Emma Watson.
cynthia
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