Sara Forestier
Sara Forestier. Elle trouve que son nom est passe-partout, alors elle emprunte celui de Bahia BenMahmoud pour Le nom des gens. Rencontre avec une actrice nature et généreuse.



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 (c) Ecran Noir 96 - 24



Réalisateur de courts métrages reconnus et primés dans le monde entier, Jean-Gabriel Périot passe au format long avec Une jeunesse allemande, film de montage édifiant qui narre l’histoire des protagonistes de la RAF à travers des images d’époque. Extraits de films de Meins ou Meinhof eux-mêmes, apparitions télévisées, emballement médiatique suite aux premiers attentats… Le cinéaste utilise une matière riche et complexe pour raconter en parallèle le basculement d’une poignée de jeunes intellectuels reconnus dans la violence armée et la révolution des images qui s’opère à la même époque à la télévision allemande. Un documentaire captivant qui met à mal les poncifs sur le terrorisme malade et gratuit, fruit d’un long et patient travail de recherches historiques, dans lequel le réalisateur ne renie pas une certaine subjectivité.
EN : Les images sont au cœur du film : celles filmées par les étudiants révolutionnaires, celles fabriquées par la télévision… Au-delà de son sujet, Une jeunesse allemande pose la question des images, de ce que les images disent d’une société.

JGP : C’est aussi l’avantage du travail d’archive, surtout quand il est fait comme ça. Ca permet à la fois de donner une histoire dans sa factualité et d’interroger comment cette histoire est racontée. Comment elle crée ou pas de la mémoire. Pourquoi certaines images marquent plus. Comment elles sont construites d’ailleurs pour marquer. Là, dans le déploiement sur dix ans, on voit une histoire des images se mettre en place, et particulièrement à la télévision parce qu’au début, Meinhof, Mahler, etc. utilisent la télévision. Elle fait de la place à des opinions très différentes, avec des temps de parole très longs. On voit de la télévision qui ressemble à de la bonne radio, d’une certaine manière. Et on voit comment progressivement, par de nouveaux moyens techniques, les choses changent à la télévision. La parole se resserre. Il y a l’irruption du direct. Comme il n’y a plus de recul (les images arrivent, on les diffuse), il n’y a plus d’analyse, il n’y a plus de temps, on est sur l’émotion. Il n’y a plus d’explication. On a ces hommes politiques qui arrivent à la télévision, regardent la caméra et en direct, parlent. Et ça arrive d’un coup ! Ils se rendent compte du pouvoir de ça, parce qu’ils n’ont plus de contradicteur, il n’y a plus de débat. Ils parlent aux téléspectatyeurs, et c’est glaçant. On voit la télé changer. On voit comment le discours s’étiole. On voit le passage à la télévision telle qu’on la connaît aujourd’hui. Elle apparaît dans le film. Et il y a une histoire du cinéma militant aussi à l’intérieur de ça. Ses possibilités, ses impossibilités parce qu’ils ont de l’échec avec ça. Ils croient dans le cinéma, et à un moment ils n’y croient plus. Quelque chose se casse. Je tente des hypothèses, ou en tout cas je raconte aussi une histoire qui m’est personnelle. Face à des images qui sont juste là pour asséner un discours, j’avais besoin de finir par le retour au cinéma dans ce qu’il a de plus fragile, avec Fassbinder. Comment on peut continuer à faire des films qui, en parlant du réel, comme Fassbinder, le racontent avec des outils vraiment différents. C’est la sensibilité… J’aime beaucoup même l’engueulade. Le fait qu’on puisse s’engueuler, que ce soit viscéral, qu’il y ait cet énervement… le fait de le montrer ! C’est quelque chose qu’on ne voit pas ailleurs. Il y a du corps, il est nu, il y a de la sueur… Il raconte le monde… Quand on le voit, en tant que spectateur, ça nous amène autre chose. Une chose qui est nécessaire : cette incertitude du cinéma, je crois qu’elle est nécessaire.

EN : Après Une jeunesse allemande, est-ce que vous envisageriez de réaliser un film sur un sujet plus contemporain, est-ce que ça vous semble possible ou est-ce qu’il faut avoir un vrai recul ?

JGP : Ce n’est pas une généralité, c’est juste pour moi. Il y a des gens qui travaillent très bien sur le contemporain, moi je suis admiratif des gens qui font du documentaire aujourd’hui. Moi je ne peux parler d’aujourd’hui que par la fiction. J’ai besoin d’un filtre en fait. Soit par le biais du passé, soit par la fiction. Avec la fiction, c’est plus facile d’être en totale subjectivité. C’est-à-dire de juste travailler sur ce que je sens du monde. Quand j’ai besoin de le questionner plus précisément, je ne peux pas faire un documentaire… Ou alors pas maintenant. Peut-être dans quelques années. S’il y a une évidence… Je sais que c’est faux, mais j’ai l’impression qu’il faut comprendre le monde pour réussir à le filmer. C’est faux, car d’autres le font très bien. Dans le passé, il y a de la distance, et tellement de gens qui l’ont déjà étudié… Je peux lire le travail des autres, regarder leurs films… Ca me donne des béquilles de compréhension. Faire ce travail-là tout seul, je n’en suis pas capable.


   MpM

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