Sara Forestier
Sara Forestier. Elle trouve que son nom est passe-partout, alors elle emprunte celui de Bahia BenMahmoud pour Le nom des gens. Rencontre avec une actrice nature et généreuse.



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Cela fait 20 ans que Jean-Pierre Darroussin fait du cinéma, 20 ans qu'il fait partie de la famille, de plus en plus présent dans le cœur d'un public qui le voit évoluer avec bonheur. La famille, les copains comptent beaucoup pour l'acteur. Il entre dans celle de Robert Guédiguian lorsqu'il rencontre Ariane Ascaride (Mme Guédiguian). Avec aussi Catherine Frot, Allain Collet, ils " faisaient des tas de choses, des magazines culturels en VHS, des spectacles à domicile ", et avaient " une vie assez agitée ".

L'autre famille, c'est celle de Jean-Pierre Bacri, rencontré sur le tournage de " Mes meilleurs copains " (Jean-Marie Poiré). L'amitié se cultive, se conserve et si Jean-Pierre tourne moins avec le couple Bacri- Jaoui, il vient les saluer en faisant une petite silhouette dans " Le Goût des autres " (Agnès Jaoui). L'acteur curieux tourne même un court métrage en tant que réalisateur : " C'est trop con " (1992).

En 20 ans, donc, plus de 30 films dont : " Notre histoire " (Bertrand Blier, 1983), " Mes meilleurs copains " (Jean-Marie Poiré, 1988), " Ki lo sa " (Robert Guédiguian, 1988), " Cuisine et dépendances " (Philippe Muyl, 1992), Le Fabuleux destin de Madame Petlet (Camille de Casabianca, 1994), " Mon Homme " (Bertrand Blier, 1995), " Marius et Jeannette (Robert Guédiguian, 1996), Un Air de famille (Cédric Klapisch, 1996) pour lequel Jean-Pierre Darroussin obtient le César du Meilleur Second Rôle, Si je t'aime…Prend garde à toi (Jeanne Labrune, 1997), Le Poulpe (Guillaume Nicloux, 1998), C'est quoi la vie ? (François Dupeyron, 1999), Inséparables (Michel Couvelard, 1999), Qui plume la lune ? (Christine Carrière, 1999), La Bûche (Danièle Thompson, 1999), A l'Attaque (Robert Guédiguian, 2000), etc.



Le livre Bye Bye Bahia



ECRAN NOIR : Internet, vous connaissez ?

Jean-Pierre Darroussin : " Non, pas vraiment. Je connais le principe d'internet. Mais c'est vrai que je ne pratique pas. J'ai suffisamment de communication avec les camarades dans les cafés. Je préfère ça. Je me déplace aussi des fois pour discuter avec des gens ! "

EN : Comment est née votre envie d'être comédien ?

JPD : " Petit à petit, parce que j'en faisais à l'école. Ca m'a plus, ça m'a paru assez naturel. Quand l'occasion s'est présentée, d'aller dans des cours, ça s'est tout de suite embrayé. Je suis d'une génération qui avait 20 ans au début des années 70. On ne se faisait pas trop de souci pour l'avenir. On faisait des petits boulots à droite à gauche, en changeant tous les trois/quatre mois. "

EN : Vous avez fait souvent de seconds rôles. Comment expliquez-vous que pour vous, les premiers rôles soient venus assez tard ?

JPD : " J'ai eu un césar pour un second rôle qui était un peu un premier rôle. On appelle premier rôle quand vous êtes seul à porter le poids du film, quand vous en êtes le protagoniste essentiel. Mais de moins en moins de film se font comme ça. Il y a beaucoup d'histoires croisées. Je ne sais pas si le terme de premier rôle va tenir longtemps la route. C'est le survivant d'un cinéma spectaculaire qui est basé sur la performance dont on s'éloigne un peu. Quand à savoir pourquoi je n'ai pas eu plus de " premiers rôles " avant, je pense qu'il y a des choses qui nous échappent en tant qu'acteur, qu'on représente des choses à un moment donné, qu'on est le vecteur d'un certain type de personnage. Les personnages que je pouvais incarner ne correspondaient pas aux principaux protagonistes que les auteurs écrivaient à cette époque-là. "

EN : Vous jouez souvent des personnages mal dans leur peau, un peu déconnectés. Comment expliquez-vous cela ?

JPD : " Mis à part James Bond, c'est rare qu'on s'intéresse à des personnages qui sont bien dans leur peau au cinéma. Les personnes de situations dramatiques, au théâtre comme au cinéma, sont en général assez monstrueux. Ce sont des types qui ont des défauts. "

EN : Vous êtes plus le bon copain, l'ami, plutôt que l'amant.

JPD : " Vous voulez dire que je ne suis pas un acteur glamour ? Le poulpe était pourtant un peu glamour. "

EN : Ca ne vous dérange pas ?

JPD : " De toute façon, je ne serais jamais Alain Delon ou Gary Cooper. Il y a des correspondances qui ne se font pas par rapport à des critères qui existent forcément dans la façon dont est formé l'imaginaire des gens. Après, bien sûr, je peux être très glamour pour ma fiancée ! "

EN : Vous faites partie de familles de cinéma, notamment avec Robert Guédiguian. Est-ce rassurant de retrouver les mêmes personnes ?

JPD : " Rassurant, ce n'est pas le mot, car ce sont des aventures à chaque fois. On ne fait pas ça pour se rassurer, on fait ça pour travailler, pour communiquer des choses qu'on a envie de dire à un moment donné. Qu'il y ait une permanence avec des gens avec qui on fait œuvre commune, c'est comme un trajet, un pilier dans mon travail. Avec Robert, à une époque, on se sentait marginalisé : on était jeunes, assez présomptueux, on trouvait que ce qui se faisait au théâtre était assez merdique. On a eu envie de se regrouper pour créer notre espace à nous. C'est pour cela qu'on se retrouve régulièrement, parce qu'il y a du plaisir. Et puis, on peut avoir l'impression de peaufiner ce travail commun, pour qu'il y ait une sensation tangible de progression. Et ça va continuer. "

EN : Aller dans des festivals, comme les Acteurs à l'écran, ça vous apporte quelque chose ?

JPD : " Bien sûr, ça apporte de rencontrer des gens qui vous témoignent une reconnaissance. Et puis vous aussi vous leur témoignez de la reconnaissance. Il y a un peu un côté pédagogique dans tout ça, il y a une volonté de faire passer des choses. C'est important d'être en contact direct avec les gens, de voir l'impression, l'émotion que vous pouvez susciter. Même si au théâtre les émotions sont plus fortes. "

EN : Quand Armand Badeyan, le directeur des Acteurs à l'écran vous dit que le public vous aime bien, ça vous fait quoi ?

JPD : " Intrinsèquement, je ne peux pas y croire. Mais, en même temps, c'est encourageant. Ca me confirme des bribes d'impressions que j'ai pu avoir effectivement. Je sais alors que je peux entamer un certain type de relation avec les gens. Quand on est entre potes et qu'on s'aime bien, on peut se permettre de faire des conneries. C'est pareil avec le public : s'il vous apprécie, on peut commencer à s'amuser ensemble. "

EN : Le César que vous avez eu pour Un air de Famille (Cédric Klapisch, 1996), c'est vraiment important ou c'est juste un truc de plus ?

JPD : " Non, non, c'est pareil, c'est très encourageant. On a de l'espoir au départ de faire des choses qui vont tout révolutionner. Puis ensuite, le quotidien s'installe. Il faut avoir de l'énergie pour faire des efforts tout le temps. Un César fait partie des choses qui vous aident à faire des efforts. Cette reconnaissance-là vous responsabilise. "

EN : Vous avez été réalisateur une fois, avec " C'est trop con " (1992). Pourquoi ne pas avoir réitérer l'expérience ?

JPD : " Je suis peut-être pas très bon en tant qu'auteur, un peu flemmard aussi. En tout cas, je suis très inhibé par le talent des autres au niveau de l'écriture. En tant qu'acteur, moins. Réaliser un film ne me pose pas de problème. Je suis même très présomptueux sur le fait de réaliser un film. Mais l'écrire, par contre, il faut être plus costaud. Et puis, en ce moment, tous les acteurs réalisent des films. Comme j'ai l'esprit de contradiction, ça me fait un peu chier. Du coup, je n'ai pas envie d'en faire ! "

EN : Vous recevez beaucoup de scénarios ?

JPD : " J'en reçois beaucoup, mais je n'en lis pas tant que ça. Parce que je n'ai pas le temps, sinon, je ne ferais plus que ça. J'ai quand même des enfants, une espèce de vie ! Déjà, c'est un métier que est assez prenant. La plupart des gens qui travaillent sont contents de faire autre chose une fois chez eux. Des fois, je culpabilise. Je me dis : " Ta mission est de tout lire ! ". Mais je n'y arrive pas. Des fois, il y a des injustices terribles. Je lis forcément ceux sur lesquels quelqu'un que je connais a attiré mon attention. Et puis, c'est dingue le nombre de gens qui veulent réaliser des films ! Cette année, il y a eu 62 premiers films. C'est énorme. C'est très bien. Je trouve que la France est un pays merveilleux au niveau du cinéma. On fait le plus beau cinéma du monde. J'ai vu " La vie ne me fait pas peur " (Noémie Lvovsky), " Ressources humaines " (Laurent Cantet), " L'Humanité " (Bruno Dumont), … : beaucoup de films français qui sont formidables et qui n'ont pas leur équivalent. "

EN : Pourquoi les gens ne vont-ils pas les voir ?

JPD : " Mais parce qu'ils sont cons ! (rire). Non, ce n'est pas qu'ils soient cons. Mais ils sont à mort conditionnés par le cinéma américain, et ils ne se rendent pas compte que c'est un cinéma léger, futile et pas terrible, basé sur du spectaculaire. Bon, j'exagère, il y a quand même des auteurs. Je ne parle pas de ce cinéma américain-là, mais de celui qui assèche le marché français, celui qui prend de la place dans les salles et qui fait que les gens, au lieu de voir des bons films, ils vont voir des merdes. Il y a quand même des bons films américains, mais pas ceux dont on parle le plus. A chaque fois que sort un de ces films avec une vedette américaine, les médias titrent : " le film événement de l'année ". Pour cela, ce sont des collabos invraisemblables. Moi, je ne vais plus voir de films américains, à part, par exemple, un Tarantino. "

EN : Et pour vous, " c'est quoi la vie ? "

JPD : " Boy meets girl " ! (en référence au film de Leos Carax projeté aux Acteurs à l'écran). C'est être éternel et mourir après.

Propos recueillis par Muriel Raymond


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