(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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EN : En même temps, on parlait d’identification tout à l’heure : on est quand même plutôt du côté du personnage principal. Or, lui, on le sent catastrophé de se découvrir ce genre de famille…
PL : Voilà. Et donc il se trouve une famille de substitution. C’est ce que le film raconte. Mais derrière ça, je trouve qu’il y a un côté thriller, assez jouissif, qui nous amène non pas à nous dire : "ah oui, c’était lui l’assassin planqué dans le placard", mais à nous dire qu’il y a des surprises heureuses dans la vie.
EN : En parlant de thriller, la partie au bord du lac donne l’impression d’un huis clos de plus en plus anxiogène. On se demande vers quoi le film va basculer…
PL : Oui, c’est volontaire. C’est un truc que je ne fais pas souvent dans mes films. Mais là, j’ai eu envie, pour des raisons de récit, pas de manière gratuite, de trimbaler le spectateur, enfin de trimbaler le personnage dans un truc un peu particulier. Ca met les sens en éveil. Et puis c’est un huis clos dans une étendue gigantesque, en plus ! C’est ça qui est drôle, en fait.
EN : C’est même encore plus terrifiant, il peut juste se passer n’importe quoi.
PL : Oui ! parce qu’il n’y a personne d’autre qu’eux sur des hectares et des hectares. C’est drôle car quelqu’un m’a parlé de John Boorman et de son film Delivrance.
EN : Vous en jouez aussi dans vos choix de mise en scène à ce moment-là. Il y a un plaisir de cinéphile dans la manière dont c’est mis en scène.
PL : Oui, oui, sûrement. Je pense que c’était déjà dans le scénario. La mise en scène elle est là pour magnifier le scénario, mais c’est vraiment le scénario qui est la base de tout. Je crois beaucoup à ça. C’est Jacques Becker qui disait : "le scénario est terminé, le film est fini, il n’y a plus qu’à le tourner". Je ne partirais jamais avec trois pages de trop sur un scénario. Ce n’est pas que je n’ai pas envie de couper, ce n’est pas le problème. Mais s’il y a trois pages de trop, c’est que le scénario boîte. Une fois qu’on l’a et qu’on sait que c’est puissant du début à la fin, pas forcément une question de rythme mais juste une puissance, une intégration du spectateur dans l’histoire, après on peut se consacrer à la vraie mise en scène. Il ne faut pas douter. Je dis ça : je doute tout le temps ! Mais il faut douter le moins possible…
EN : L’étape du scénario est finalement la plus cruciale…
PL : Oui, ça prend du temps. Je remets toujours les choses en question. On a un devoir de sensation. Il faut qu’on déclenche des sensations justes, qu’elles ne soient pas artificielles. Une fois qu’on a dit ça, on a tout dit. Mais c’est passionnant, j’adore ça ! C’est des moments de dépression énorme parce qu’on y arrive pas et des moments de joie intense quand on a la sensation d’y être. Après on connaît tellement les personnages qu’il faut trouver les acteurs. C’est pas plus facile, mais au moins on sait ce qu’on ne veut pas. On sait vers quoi on voudrait tendre. Et puis quand on tombe sur des gens comme Gabriel [Arcand], Pierre [Deladonchamps], Catherine [de Léan], ou Marie-Thérèse [Fortin]… on sait qu’on y est. C’est une jouissance absolue de se dire : "c’est eux". Ca pouvait difficilement être quelqu’un d’autre. Et puis le bonheur de faire connaissance avec de grands acteurs qu’on ne connait pas parce qu’ils vivent à l’autre bout du monde. Même chose pour le spectateur. C’est formidable de passer le filtre de l’acteur connu qui joue un rôle, non ? Je suppose que ça participe du plaisir de voir le film. Surtout quand ce sont de très grands acteurs comme Gabriel. On a de grands acteurs en France, mais comme on les voit dans tous les films, ça devient schizophrénique.
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