(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Avec Ixcanul en 2016, le cinéma du Guatémala se faisait une place sur la planète cinéma grâce à Jayro Bustamente. Le film repart de Berlin avec un prix avant d'en empocher une dizaine d'autres ici et là. Son nouveau film Tremblements, récompensé à Cinélatino, continue de nous surprendre et de nous impressionner. Pourtant le réalisateur est humble, charmeur, généreux, assez joyeux. Dans un excellent français, il explique ce qu'il veut montrer de son pays à travers une trilogie sur les minorités opprimées. |
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Comment avez-vous travaillé cette esthétique picturale et mortifère pour les bourgeois et ce style plus vivant, plus réaliste pour les scènes dans les milieux populaires, dans les bars ou au marché ?
JB: Je voulais faire un film très esthétique, où la cinématographie a beaucoup d'importance pour pouvoir donner aux spectateurs un voyage un peu « sympa ». Je me suis inspiré des films des années 70 pour toute la partie bourgeoise. En revanche pour toute la partie de la ville plus populaire et tout le milieu de Francisco, je suis plutôt parti chercher chez les documentaires japonais qui à cette époque-là était vraiment très impressionnants parce que parfois on était dans un marché et du coup la caméra bougeait et on commençait à se rendre compte qu'on était sur un travelling. J'ai trouvé que ces deux esthétiques pouvaient se marier très bien.
Ce qui accentue l’un des thèmes de Tremblements, qui est plus qu’un film sur les thérapies de conversion ou la discrimination sexuelle. C’est aussi une opposition, une confrontation sociale.
JB: Oui, je ne voulais pas du tout faire un film de niche LGBT. Je voulais parler de l'oppression. Je voulais parler de l'oppression sociale. Je voulais parler de contradictions qui existent dans cette société.
On en vient à vouloir émasculer l’homme qui quitte son milieu...
JB: Ce à quoi vous faites allusion, ce sont des castrations temporaires. Il y a toutes sortes de thérapies. Evidemment, j’écrivais ces séquences de façon sarcastique. Mais je ne voulais pas faire une caricature de l'église, parce qu'il est très simple de la caricaturer. Donc j'ai dû choisir le morceau de la thérapie pour ne pas tomber dans ça. Par exemple, il y a une pratique - parce que tout ça est un business aussi - presque « mignonne » : ils construisent des arches avec des ballons arc-en-ciel. Les gens viennent, ils mettent de l'argent dans la tirelire, ils traversent l’arche et ils promettent de ne jamais coucher avec quelqu'un du même sexe. Et si quelqu’un couche de nouveau, il revient. Donc, normalement, ils font ça lundi, comme si durant le weekend, il y avait plus de possibilités pour les gens de coucher.
C’est une histoire de négation de l’homosexualité.
JB: Plus que l’homosexualité, c’est l’insulte qui est importante parce qu’elle fait référence au machisme et à la phallocratie qui opprime tout ce qui n’est pas « eux ». J'ai montré un peu ça dans le premier film avec des problèmes plus importants que celui-là. Au Guatemala, se construire comme un homme, ça veut dire se construire sur la base des trois négations : la négation d'être un enfant, la négation d’être un homosexuel et la négation d'être une femme. Et il est très pénible de se construire des choses négatives. C'est ça qui me passer me paraît inquiétant dans une société qui n'est pas égalitaire et qui nie la féminité et qui représente cette féminité comme une caricature « girlie », un objet, qui ne mène à rien d'intéressant.
Comment vos films sont reçus, perçus dans votre pays ?
JB: Celui-là je ne sais pas encore. Mais le premier, au début, a été mal reçu, très mal reçu.
Malgré vos prix à Berlin ?
JB: Oui malgré ces prix. Il faut savoir qu’au Guatemala, gagner un prix avec Netflix est plus important que de gagner un prix à Berlin. Mais après, ce qui a été important, c'était la presse, la presse internationale : ça, ça a fait changer d'avis. Au commencement, sur les réseaux sociaux, on lisait « Je vais pas payer une place pour aller voir des Indien au cinéma puisque j’en vois tellement dans la rue ». Mais quand la presse a commencé à en parler, quand tout ça a commencé à prendre vraiment forme et que les comédiens sont devenus des stars, ça a complètement changé l’image du film. Il est devenu iconique. Celui là ça va être plus problématique.
A cause de la religion ?
JB: Oui, on est dans une société à 90% religieuse. Quand vous prenez un Uber, le conducteur mentionne sa religion, s’il pratique ou pas. Je ne connais personne qui avoue être incroyant. Peut-être trois ou quatre. Une chose est que Dieu existe, c’en est une autre que Dieu soit comme une permission de jugements. « Si je suis avec Dieu, j’ai le droit de te juger, et donc si Dieu est avec moi et pas avec toi, c'est le diable qui est avec toi. » Donc le diable existe beaucoup aussi, et quelque part c’est même joli, joli et dangereux, parce que le diable déresponsabilise les gens : le diable est rentré dans mon âme, dans le corps de mon fils, il m'a fait faire ça…
Comme dans votre film où, pour la mère, il faut juste sortir le diable du corps de son fils…
JB: Tout a fait. Le diable a profité de moi. C’est un peu simple comme raisonnement.
Aussi, on se pose la question : ça a été facile de trouver deux acteurs pour jouer un couple homosexuel ?
JB: Pour les deux acteurs masculins, c’était très facile, même si 80 % m'ont dit non. Ils voulaient être connus mais ils ne pouvaient pas faire ce rôle. Ils préféraient être un autre personnage ou être figurant. Mais pour mois, c’est évident, un artiste ne peut pas s’autocensurer. Donc je n’ai pas voulu de ces acteurs. Ça été un sujet de leur expliquer. Les deux qui ont accepté n’ont pas eu ces problèmes. Juan Pablo (Olyslager, qui incarne Pablo, ndlr) a travaillé son personnage comme un autre. Mauricio (Armas Zebadua, qui joue Francisco, ndlr) a fait un travail différent. D’ailleurs il m’a dit, que malgré son ouverture d’esprit, il se rendait compte qu’on utilisait parfois des phrases malheureuses. Il a pris conscience de la discrimination à l’égard des homosexuels. Sa réflexion a été plus profonde.
Finissons sur le titre et l’aspect un peu surnaturel de votre film : pourquoi les tremblements de terre ?
JB: Ça m'étonne toujours, quand on vit dans une nature si imposante, qui bouge, qui crache du feu… quand il pleut, c’est des torrents d’eau… Et malgré tout ça, on s'inquiète encore pour des choses peu importantes, où on met tellement d'énergie pour priver l'autre de droits. Cette mobilisation pour retirer des droits à des humains me stupéfait.
vincy
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