Sara Forestier
Sara Forestier. Elle trouve que son nom est passe-partout, alors elle emprunte celui de Bahia BenMahmoud pour Le nom des gens. Rencontre avec une actrice nature et généreuse.



Karim Aïnouz
Toni Servillo
Félix Dufour-Laperrière
Jayro Bustamente
Gilles Perret
Hélène Giraud
Ryusuke Hamaguchi
Rohena Gera







 (c) Ecran Noir 96 - 24



C'est d'ores et déjà l'un des plus beaux films de l'année 2019 : Ville neuve de Félix Dufour-Laperrière est un premier long métrage d’animation qui mêle les enjeux intimes aux aspirations collectives pour parler de ces possibles qui sont à portée de main, et qui même s’ils n’adviendront peut-être jamais, changent nos vies et la manière dont on les perçoit.

Entièrement réalisé à l’encre et au lavis sur papier, en noir et blanc, ce qui représente environ 80 000 dessins, il impose sa singularité en empruntant ce que l'on aime tant au court métrage d'animation d'auteur : une liberté, une inventivité et une audace qui lui permettent de se jouer des codes traditionnels de la narration, et d'expérimenter des effets de mise en scène tantôt minimalistes, tantôt ultra-sophistiqués, comme un long plan-séquence dans les rues de Montréal.

De passage à Annecy, puis à Paris, pour accompagner la sortie du film, le réalisateur nous a parlé de la genèse du film, librement inspiré d’une nouvelle de Raymond Carver, ainsi que ses choix formels, mais aussi de la politique québécoise, et de ses projets à venir.

EN : Est-ce qu’on peut dire que Ville neuve est un film politique ?

FDL : Assez, oui, je crois. Dans le contexte québécois, en plus, c’est politique. Ce sont des affects et des troubles très profonds, la question de l’indépendance au Québec. Ce qu’on oublie, parce que maintenant on est une société assez prospère, c’est qu’on a été colonisés. On a vécu entre 150 et 200 ans de colonisation britannique. Ca laisse des traces dans le conscient et dans l’inconscient. Dans le processus de décolonisation qu’a été la modernité québécoise, la défaite au deuxième référendum vient clore l'accession à la modernité, l’établissement d’un vrai état québecois… C’est demeuré une sorte d'impensé. C’est d’ailleurs peu mis en récit, en fiction. On commence à peine à le digérer, à s’interroger sur la suite. A la fois sur la question de l’indépendance, mais de façon plus large autour de notre avenir collectif. De la prise en charge de notre destin politique.

EN : Pourquoi avoir changé l’issue du référendum ?

FDL Pour ouvrir vers des possibles et ne pas terminer sur une énième défaite. Ça insuffle une grande énergie, et ça permet au film de rebondir, de trouver son finale. Sinon ça aurait été seulement une descente, et ça aurait été un peu déprimant. Je crois que le film porte une certaine mélancolie mais cherche à la dépasser, et cette victoire à la fin le projette dans un avenir possible. C’est ce que je nous souhaite aussi.

EN : C’est aussi une manière d’exorciser cette défaite ?

FDL : Oui, c’est pour la digérer, et ouvrir vers la suite. Le film finit avec des photos de famille, on voit même ma fille, d’ailleurs, mais aussi des photos du printemps 2012, quand il y a eu des soulèvements étudiants assez importants auxquels s’est greffée toute une partie de la population. On est passé assez proche d’un mouvement populaire victorieux. On a vraiment eu l'impression que quelque chose se passait, même si ça n’a malheureusement pas eu de conséquences politiques. Mais il n’est pas impossible que se rejoue quelque chose de semblable.

EN : L’histoire d’amour, elle, devait mal se terminer ?

FDLJe ne sais pas si elle se termine mal. En fait, je crois plutôt que l’histoire ne se répète pas. Le passé, on doit le faire sien, mais en même temps il ne se rejouera pas. Il n’y a pas besoin d’en faire table rase. Il faut l’intégrer, le chérir, au moins en partie, mais être capable de passer à la suite. C’est ce que le film tente de faire. Pour moi, ce n’est pas nécessairement malheureux, c’est une énergie, il y a quelque chose de possible. La femme s’en doute. Elle sait que ce n’est pas possible, mais elle le fait quand même, par faiblesse, par générosité, peut-être par amour, aussi. Je trouve que ça libère paradoxalement l’homme de cet échec-là, parce que cela lui permet d’être de retour dans le monde.

EN : Est-ce que Ville neuve pourrait exister en prise de vue réelle ?

FDL : Pour moi, ce serait sans intérêt parce qu’il trouve sa force non pas dans le concret des situations, mais dans ce que l’animation permet : les juxtapositions, l’ouverture entre les différents espaces, les jeux visuels… C’est là que le propos propre à l’animation et au cinéma peut se faire valoir. L’animation permet que les espaces du rêve, de l’imaginaire, du souvenir, de l’intime et du collectif soient vraiment voisins. Et puis il y a des scènes qui sont visuellement très épurées, donc c’est simple. Et comme c’est simple, ça permet de faire valoir des principes simples. Quand le personnage masculin regarde la mer, par exemple. La mer est à la fois un seuil et une ouverture. C’est une limite et en même temps, c’est un espace à occuper. Il y a quelque chose d’ambigu qui résume la situation des personnages. Le cadre est presque vide, il y a les deux personnages et le reflet de la mer en transparence : mais c’est juste de l’animation. Ce n’est pas réel.


   MpM

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