(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Une pure coïncidence, le nouveau film de Romain Goupil, éternel libertaire, a été présenté à Cannes cette année. Nous sommes le 6 juin, et le cinéaste débarque à Orléans pour mieux réveiller les esprits en cette période électorale. Il vient présenter son long métrage au public du cinéma Les Carmes. Nous en profitons pour boire un verre de vin blanc avec lui à la terrasse d'un café orléanais. Rencontre avec un cinéaste hors norme et l'un de ces acteurs, mais avant tout un de ses amis, Nicolas Minkowski. |
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Ecran Noir: Comment vous est venue l'envie de faire ce film et de le réaliser avec une petite caméra numérique ?
Romain Goupil: C'est la nécessité et le hasard. Le film, qui n'est pas destiné à quelque diffusion que ce soit, démarre avec Nicolas et de son père qui n'allait pas très bien. Et en même temps, c'était l'envie de connaître un peu sa vie, ce qu'il avait fait, ses engagements. On voulait se rapprocher de lui, non pas comme malade, mais comme un de nos pères. On se connaît tous depuis tellement longtemps que l'on connaissait les parents. Donc, comme il ne va pas très bien, on décide de prendre la caméra et de laisser une trace, pour les enfants, pour Nicolas, pour la famille. Et pendant que l'on est en train de tourner avec tous les amis qui viennent autour de Nicolas pour le soutenir par rapport à cette épreuve, on a une information indiquant qu'il y a un centre de racket de trafic humain à Paris. Du coup, de cette information-là et des décisions que vont prendre tous les garçons, le film va avancer sur le question "que fait-on de cette information?". C'est cela qui devient le point de départ de ce qui va devenir maintenant "une pure coïncidence".
EN: Justement. Par rapport à cela, les gens essaient de trouver la différence entre réalité et fiction dans cette histoire...
RG: Le fonctionnement même du film, et le titre le dit bien, c'est une pure coïncidence, et toute ressemblance avec des faits existants ou ayant existé serait du pur hasard. Il faut bien se mettre dans la tête qu'on est tous d'accord qu'il n'y a pas de problème de "sans papiers" en France, il n'y a pas de problème de Front National, il n'y a pas eu "mai 68", et que je n'ai jamais été ami avec ces garçons qui sont des acteurs que j'ai trouvés tout à fait par hasard. Si on part de cette hypothèse-là, tout est une pure coïncidence. Si on part de l'autre hypothèse disant que l'on est depuis 1965-1966 tout à fait engagé, militant, et ayant participé à la mobilisation lycéenne de 1968. De tout temps, on s'est retrouvé sur une valeur commune qui était l'antifascisme. Donc, à partir du moment où l'on apprend qu'il y a trafic d'êtres humains à Paris, on va se mobiliser. Et comme on a la caméra pour tout à fait autre chose, par un hasard incroyable, on décide alors de continuer à filmer, à avancer dans ce qui va devenir un film.
EN: Comment vous situez-vous aujourd'hui par rapport à cet engagement vis-à-vis des "sans papiers" notamment ?
RG: Sur les "sans papiers", en tant que cinéaste, le moins que l'on puisse dire, le message est très clair dans l'appel à désobéir, sur les mobilisations de 1997 et tout ce qui a suivi. On a toujours essayé par les tribunes, les manifestations, le parrainage des "sans papiers", que ce scandale essaye de se résoudre. C'est ce qu'on espérait d'un gouvernement de gauche. Cela n'a pas été le cas. Donc, du coup, on garde la mémoire de tous ceux qui n'ont pas été régularisés, les problèmes qui continuent en France. Et rapport à ce qui se passe dans cette officine, on décide de réagir. Et c'est ce qui fera la matière du film.
Nicolas Minkowski: En fait, il y a deux sujets: les "sans papiers" et l'exploitation qui est faite du système du racket et du trafic. Le problème des "sans papiers" est de les régulariser dans des conditions décentes. Sur l'histoire du racket, on a l'impression que les 82% des Français qui ont voté au 2e tour ne peuvent que dénoncer un système d'exploitation moyenâgeux, d'esclavagisme.
EN: On a pourtant l'impression que ce film a un côté Don Quichotte...
RG: Oui, mais c'est de nature. C'est-à-dire d'essayer de penser un truc complètement absurde de penser que les lycées devaient être mixtes en 1967 était du "don quichottisme" absolu. C'était totalement absurde de penser que les femmes devaient l'égal des hommes, c'était une utopie complètement débile en 1966-1967. Tout ce qu'on a pu penser dans ces années-là par rapport à la liberté d'expression et la possibilité de discuter d'autres choses, de choses qui nous concernaient dans la société, était considéré comme un rêve d'adolescent attardé ou abruti. C'était la discipline, l'ordre patronal, une France issue du XIXe siècle, et cela ne devait pas bouger. Donc, oui, on se battait contre des moulins à vent. Il se trouve que de lycée en lycée, de bahut en bahut, de fac en fac, et après au niveau de l'ensemble de la population, c'est l'histoire de la plus grande grève ouvrière qui n'ait jamais existé au monde. Pendant 1 mois, 10 millions de personnes ont dit "non, cette société ne nous convient pas" et ont essayé de proposer autre chose. Donc, oui, cela démarre toujours sur une forte dose d'illusion, de "don quichottisme", au début.
EN: Quel est donc votre regard sur la jeunesse d'aujourd'hui ?
RG: Ce sont nos enfants. A faire le film, on leur transmet quelque chose, ne serait-ce que le moyen de faire un casse, qui peut toujours servir dans l'existence. C'est un manuel parfait sur "Casse, mode d'emploi". On transmet notre savoir de père, d'adulte, de sage, en disant "voilà comment il faut s'y prendre" dans cette occasion-là précise.
EN: Il y a pourtant des petits conflits avec votre fille.
RG: Oui, on est père. Nicolas a ses enfants, j'ai mes enfants. A quel moment on pose les limites, à quel moment on essaye de développer leur esprit critique en disant que ce n'est pas une question d'obéissance, mais une question de comprendre la situation. Donc, j'essaye de lui expliquer en quoi, pour moi, c'est mon point de vue, et elle oppose son point de vue. Donc, il va se produire affrontement et discussion qui sont sources, normalement, de réflexion. Rien de plus normal par rapport à nos mômes que de dire "non, on n'est pas copain, on n'a pas les mêmes préoccupations; je suis le père; je m'oppose à toi de te construire en t'opposant". Les limites que je pose sont celles-là en ce qui me concerne, par rapport à ce problème de piercing.
NM: Pour être plus sérieux, la transmission est un truc fondamental, comme l'éducation et apprendre à vivre ensemble. Nos parents nous ont transmis essentiellement l'anti-fascisme, nous ont raconté des histoires sur la collaboration, par leurs pratiques nous ont appris un certain nombre de choses. Dans ce film, il y a deux choses qui sont transmises à nouveau. D'une part, c'est l'amitié dans tout ce que cela peut apporter individuellement ou sur un plan collectif. Là, ce n'est pas un groupe collectif qui est replié sur lui-même mais qui s'ouvre sur des actions extérieures. Là, ce sont les "sans papiers". Cela pourrait être autre chose, il y a d'autres scandales. Et d'autre part, au-delà des paroles, c'est le passage à l'acte. Mais en disant cela, ce n'est pas un truc d'exemple, didactique, nous n'avons pas du tout cette prétention-là. Il se trouve que Romain vient nous raconter cette histoire. Et c'est une évidence entre nous de voir comment on peut contribuer très modestement, et par le fait que les médias vont reprendre cette affaire. C'est donc aussi de pouvoir continuer à s'indigner sur des choses fondamentales et qui peuvent être reprises par l'ensemble de la population. On n'est pas dans une logique militante, politique. Il faut juste ne pas se résigner. Il est tout de même incroyable qu'en 2002, 82% de la population vote contre le Front National et que des choses de ce type puissent se produire en France.
EN: Mais est-ce une solution, comme on le voit dans le film, de s'arrêter et s'en prendre à un colleur d'affiches du Front National, et l'agresser physiquement ?
NM: Non, bien sûr, la solution n'est pas de casser la gueule à tous les colleurs d'affiche...
RG: Encore que...
NM: C'est juste un problème épidermique...
RG: Encore que, car le mec prend le risque de coller une affiche ignoble qui appuie son idéologie. Et l'idéologie du Front National, c'est la déclaration fondatrice de Le Pen sur l'inégalité des races. Il y a des races supérieures, il y a des races inférieures. Ce mec-là se met normalement hors de la démocratie et hors de notre problème de savoir comment vivre ensemble, avec toutes les difficultés que cela représente dans cette société. S'ils se mettent hors de la communauté, ils prennent le risque de prendre un coup de poing dans la gueule dès qu'ils l'ouvrent sur la base du racisme, de la xénophobie. Il y a des races supérieures pour eux, il y a des races inférieures. Et comme par hasard les races supérieures sont des blonds, aryens, et nous rappellent de très mauvais souvenirs. Donc, que ce soit une solution, je n'en sais rien. Mais il passerait là un mec qui collerait des affiches "préférence nationale", il se prendrait un pain dans la gueule. Et peu m'importent s'ils sont 15 ou 20 autour. Il y a des moments où les choses sont intolérables et injustifiables. Ces types-là prônent une idéologie que je ne supporte pas viscéralement, c'est-à-dire le fait de se considérer "homme supérieur". Donc, c'est plus sérieux que c'est incident que l'on voit dans le film. Et Alain, quand il sort de la voiture, il ne sait pas s'ils sont 15 autour. Il s'en prend à un individu qui est responsable, qui est grand, qui prend le risque de coller une affiche ignoble...
EN: Concernant ce film, quel retour attendez-vous du public ?
RG: D'être protégé par un large réseau, le plus important possible, de complicité. De cette manière, on ira tous en prison ensemble. Et l'on pourra s'en amuser et discuter, et faire une pure coïncidence à la prison de la Santé ou dans une maison d'arrêt avec toute la population. Donc, une solidarité par rapport au côté déconnant, joyeux, amusant du film, de la façon dont on ne se prend pas au sérieux sur un problème grave. Il y a aussi cette espèce de fidélité en amitié, la façon de se moquer des uns des autres. On a 50 balais, mais on est tout à fait capables de réagir et de fonctionner par rapport aux choses qui ne nous plaisent pas.
NM: Je dirai que c'est un film qui se veut optimiste. Ce n'est pas du tout un film nostalgique sur notre passé, nos idées, mais c'est un film d'actualité par le sujet qui est abordé mais aussi par ce qu'on peut faire. C'est-à-dire par rapport à tous les gens qui font le choix de militer politiquement et beaucoup qui sont déçus de ce qu'ont pu proposer dans la dernière période les partis politiques, comme les partis de gauche. Mais au-delà de cela, ce n'est pas parce qu'il y a cette déception, il faut continuer à faire des choses sur des valeurs essentielles, humaines, de justice. C'est donc un encouragement à faire des choses dans cet esprit. Pour cela change, vraiment. RG: Pendant peut-être 2000 ou 3000 ans, on a considéré comme acquis et absolu que l'esclavage était une norme. Il y a quelques "cintrés" qui ont refusé cela, qui ont dit ques les hommes étaient égaux. C'est par la volonté, la discussion, des propositions que l'on peut essayer de changer les choses. Elles ne changent pas aussi vite qu'on le souhaiterait. Donc, nous, on fait un petit signe, un petit coucou. Il y a cette bande, ces garçons, et les spectateurs qui viennent regarder cela. Tout cela est plutôt joyeux. Donc, ce n'est pas du tout désespérant.
EN: Quel sera le thème abordé dans votre film ?
RG: Le prochain film ne se fera pas sur un scénario de type classique avec une distribution de type classique. Je vais voir autour de moi ce qu'il se passe, voir comment je vais réintervenir d'un film, d'une fiction, d'un reportage. Peut-être le truc le plus captivant dans les semaines qui viennent, c'est un reportage sur le Tour de France, de vélo... Peut-être...
EN: Merci beaucoup.
RG: Merci à vous.
Propos recueillis par Chris (06/06/2002)
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