(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Roy Andersson est venu au Festival International du Film de La Rochelle pour présenter son film Chansons du deuxième étage. Après Cannes, c'est le second festival français à recevoir le troisième long-métrage du réalisateur suédois. Nous avons rendez-vous à 12h30 à La Coursive, le lieu central de la manifestation. Roy Andersson est assis devant un café crème qu'il va oublier de boire. Pendant toute la durée de l'interview, il sera d'une sympathie énorme et ne se départira pas de son large sourire.
Avant de partir sur le jeu des questions-réponses, présentons le personnage. Roy Andersson est né en 1943 à Göteborg en Suède. Après une thèse sur les méthodes de mesures mathématiques appliquées à la dramaturgie expressionniste (!), il suit des études de cinéma à Stockholm. Très vite, il se lance dans les films publicitaires qui lui permettent de financer son premier long-métrage, Une histoire d'amour suédoise (1969). Ce fonctionnement ne le quittera plus : la publicité lui permet de financer ses films et d'acquérir davantage d'indépendance. C'est ainsi qu'il réalise trois longs-métrages (avant Chansons du deuxième étage , il a réalisé " Giliap " en 1975) et deux courts-métrages ( Quelque chose est arrivé en 1987 et Monde de Gloire en 1991). Entre ses deux derniers longs et grâce à la publicité, il crée une société de production basée dans un immense immeuble de cinq étages à Stockholm (le Studio 24), où il a installé ses plateaux de tournage, ses salles de montage, ses bureaux et même ses appartements. Pour Chansons du deuxième étage, il lui a fallu quatre ans, le temps de parfaire ce projet immense et fabuleux. |
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Ecran Noir : Vous avez mis quatre ans à faire " Chansons du deuxième étage ". Pourquoi une si longue période?
Roy Andersson : Dans les faits, j'ai mis trois ans. Mais comme je n'avais pas d'argent, j'ai dû en trouver. J'ai donc été obligé de faire quelques pauses pour réaliser trois ou quatre films publicitaires. Et puis le film se découpe en 46 tableaux filmés en studio, sur 37 plateaux différents. Certains décors ont nécessité trois mois de travail. Par exemple, pour la scène dans la station de métro, il a fallu reconstituer, dans un hangar, une rame en taille réelle.
EN : Cela a dû vous prendre beaucoup de temps et coûter beaucoup d'argent…
RA : Oui ! Pour moi, c'est maintenant la seule manière de travailler. Je veux faire des choses exactes qui restent très proches de la réalité. Je suis toujours en quête de simplicité et de précision. Cette recherche est passionnante parce qu'elle permet d'atteindre une profondeur. En revanche, si vous n'êtes pas précis lorsque vous faîtes un film, le résultat ne vaut pas grand chose. Et c'est très difficile de l'être !
EN : Vous avez filmé certaines scènes, qui, après plusieurs mois, ne vous ont plus paru satisfaisantes. Vous avez donc décidé de les retourner, et ce, malgré la destruction des décors utilisés que vous avez dû reconstruire. C'est du perfectionnisme, non ?
RA : Oui, c'est exact ! Mais cela n'est possible que parce que je possède les studios. Je les ai achetés il y a plusieurs années pour pouvoir travailler comme ça et faire comme bon me semble.
EN : Est-ce que les tournages de vos précédents films ont duré aussi longtemps ?
RA : Non. La durée était plus conventionnelle. Le premier a duré une année et le second deux ans. Et celui-ci quatre ans.
EN : Et le prochain huit ans ?!
RA : Non, non (rires)! Environ deux ans je pense.
EN : Vous avez tourné votre précédent film en 1975. Pourquoi un tel silence entre les deux?
RA : Parce que je ne pouvais pas faire un tel film avec le système de production qui existait. J'ai donc pensé qu'il fallait que je crée ma propre société de production. Et ça a pris plus de temps que je ne l'avais prévu! Mais j'ai fait beaucoup de choses entre-temps : j'ai écris un livre et réalisé une anthologie importante assez connue en Suède et dans toute la Scandinavie. C'est une anthologie sur l'existence et tous ses affects, sur le respect de l'être humain et les crimes contre l'Humanité. J'y ai mis beaucoup de photographies appartenant à l'histoire. Il y a même beaucoup de photographies d'artistes français tels que Cartier-Bresson et Doisneau. On y trouve également des textes de philosophes et de divers auteurs. Cela m'a demandé beaucoup travail et de temps. J'ai également donné des cours de cinéma. Vous voyez que je n'ai pas dormi pendant tout ce temps (rires)!
EN : Lorsqu'on regarde votre film, on voit que chaque image, chaque plan est important. Pouvez-vous nous parler de votre parti pris dans votre manière de filmer les lieux, souvent glauques, et les gens, souvent ridicules ?
RA : Je voulais faire un film intemporel. De la lumière aux immeubles, en passant par les couleurs et les vêtements. Je voulais vraiment faire un film hors du temps. C'est pourquoi presque tout est gris. En ce qui concerne les personnages, ma préoccupation était de montrer l'homme sous son vrai jour, avec sa vulnérabilité et sa profondeur. Et parfois, l'homme est ridicule lorsqu'il veut cacher ses faiblesses. Il pense qu'on ne peut pas voir qu'il est vulnérable. Mais il l'est ! Et c'est un peu tragique parce que vous êtes éduqué de telle façon que vous ne pouvez être que vulnérable.
EN : " Chansons du deuxième étage fait un peu penser aux Monty Python, le même humour absurde et débridé, mais avec une réflexion sur la vie et l'être humain en plus. Avez-vous pensé à ce type d'humour en le réalisant?
RA : Je ne m'en suis pas inspiré. Je n'ai d'ailleurs pas vu beaucoup de leurs films. Je me souviens de certains sketchs avec John Cleese. J'aime assez mais, à mon goût, c'est un peu exagéré. Je veux être davantage proche de la réalité et moins dans la caricature.
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EN : Dans votre film, il y a plusieurs allusions à la religion qui est souvent tournée en dérision. Par exemple, lors du congrès, on voit, en arrière plan, une croix sur laquelle Jésus est crucifié : le clou de la main gauche lâche et Jésus se balance en grinçant pendant de longues minutes. Avez-vous un problème à régler avec la religion ?
RA : Je ne suis ni pratiquant ni croyant. Néanmoins, je crois que Jésus a probablement existé et qu'il prêchait le respect d'autrui. Et ça, c'est quelque chose de magnifique à prôner. Ce dont je me moque c'est de l'Eglise qui a négligé sa responsabilité. Par exemple, dans le film, lorsque le père (Karl, le personnage principal du film) est dans l'église et qu'il fait part au curé de sa détresse (son fils est fou et son entreprise a brûlé), le curé le réconforte en lui racontant qu'il essaie de vendre sa maison depuis cinq ans et que personne ne veut l'acheter (rires)!
EN : Oui. Et le sacristain répond à son tour qu'il a acheté un billet pour partir en vacances, billet qu'il a perdu car l'agence de voyage a fait faillite ! On rit vraiment beaucoup dans votre film. D'ailleurs, lors de la projection, la salle entière riait.
RA : Eh bien ça me fait plaisir ! Pour en revenir à la religion, je n'ai pas de problème à régler, mais je suis contre le côté superficiel de l'Eglise, contre l'institution.
EN : Pourquoi le titre " Chansons du deuxième étage " ?
RA : Je n'avais pas trouvé de bon titre. Celui-ci était au départ un titre provisoire. Parce que je dormais au second étage de mon studio ! Ensuite, j'ai cherché une justification pour ce titre, mais je n'ai pas trouvé !
EN : Et pourquoi cette phrase récurrente dans le film : " Bienheureux celui qui s'assoit "?
RA : Cette phrase est issue d'un poème de César Vallejo, auquel le film est dédié. C'est un poète qui est né au Pérou et qui a habité Paris. Il est mort à quarante ans. Il était très fragile et sensible et savait décrire avec empathie la souffrance des gens. J'aime beaucoup le poème qui est cité dans le film. Par rapport à ce texte, le père (Karl, dans le film) est plus pragmatique. Il dit : " pourquoi bienheureux celui qui s'assoit ? Tout le monde s'assoit , non ?! ". (rires)
EN : Vous avez déjà des projets ?
RA : Oui. Je vais m'y mettre bientôt. J'y ai déjà réfléchi. On verra. Je vais me décider cet automne. Je veux être plus libre dans la dramaturgie. Plus proche du rêve. Je veux m'éloigner de la tradition conventionnelle en matière de mise en scène.
EN : Vous êtes déjà très libre dans la mise en scène de " Chansons du deuxième étage ".
RA : Oui, mais je veux l'être encore plus.
EN : Et toujours sur le ton humoristique ?
RA : Oui, je pense. Parce que l'humour est une question de vérité. Pour mon prochain film, je pense que ce sera plus facile de trouver des financements. Et puis la réalisation sera elle-même plus facile car j'ai une très bonne équipe.
EN : Il paraît que votre équipe est très jeune.
RA : Oui. La moyenne d'âge est de 25 ans.
EN : Quelle est votre place au sein du cinéma suédois ?
RA : J'ai été mis de coté pendant longtemps. Mais maintenant, je pense qu'avec la nomination de mon dernier film au Festival de Cannes, les choses vont être plus faciles. Même si je n'ai pas eu la Palme… Ca faisait longtemps qu'un film suédois n'avait pas été en compétition à Cannes. Avoir fait partie de ce festival était une très bonne chose.
EN : Une dernière question. Vous avez réalisé de nombreuses publicités. Pouvez-vous nous en parler ?
RA : J'ai toujours réalisé mes films publicitaires avec la même philosophie. Je veux décrire l'humain avec respect et empathie. Mes publicités ne sont pas vraiment commerciales. Elles sont assez spéciales. Je prends mon temps pour les faire : un mois. Je n'en ai pas fait beaucoup, mais je les aime toutes. Aujourd'hui, ça m'intéresse moins. Je trouve que l'attitude générale a changé. Il y a plus de cynisme. Et tout le monde travaille rapidement. Le seul but est de gagner de l'argent. Et puis, je ne peux pas faire une publicité pour un produit que je n'aime pas. Enfin, on dit parfois que la publicité influence le cinéma. Ce n'est pas vrai : ce sont les publicités qui volent aux longs-métrages, sans aucune conscience, ni aucune honte.
Propos recueillis par Laurence / Festival de La Rochelle
laurence
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