(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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De "Un air de famille" à "Peut-être" en passant par "Le Péril Jeune", Cédric Klapish ne cesse de tromper son monde, passant d'un registre à un autre sans accrocs. Une polyvalence qui se confirme avec "L'Auberge Espagnole", son quatrième film avec Romain Duris, mais également Cécile de France, Judith Godrèche et Audrey Tautou.
Rencontre avec l'insaisissable et modeste cinéaste, qui n'a pas finit de nous surprendre. |
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Ecran Noir: "L'Auberge espagnole" apparaît dans une certaine mesure comme une suite du "Péril jeune" : après les années lycées, les années fac. Comment vous est venue l'idée de réaliser ce film ?
Cédric Klapisch: Si il semble avoir une continuité entre ces deux films, ce n'est pas une volonté première de ma part. Par contre, "L'auberge espagnole" s'inspire de faits réels. J'ai en effet une sœur de sept ans de moins que moi qui a commencé des études d'architecture à Paris avant de profiter du programme Erasmus pour les poursuivre à Barcelone. Je suis allé lui rendre visite durant une semaine et ce que j'ai vu m'a non seulement séduit mais fait rigoler. Elle vivait au milieu de six personnes de sa génération, de nationalité différente. Devant la multiplicité des langues, des nationalités, j'avais surnommé cet endroit charmant l'"Auberge espagnole". D'où le titre du film.
EN :Comment avez-vous vécu cette expérience ?
CK: Tout ceci faisait vraiment plaisir à voir : il s'agissait de la première génération européenne qui coexistait. A l'époque c'était une vraie découverte de voir ce mélange de confusion et d'harmonie qui émergeait de l'ensemble, et sur lequel le film s'attarde beaucoup. Je trouvais intéressant d'étudier entre l'état post-adolescent et l'Europe. Le côté discontinu des choses, l'absence de logique dans une vie, une journée : voilà un sujet que je trouvais intéressant à traiter. Je reste convaincu que les évènements sont de plus en plus interrompus, surréalistes. Dans mon film, il y a souvent une conversation qui en coupe une autre, un téléphone portable qui sonne, on passe facilement d'une langue à l'autre ...L'apprentissage de Xavier (incarné par Romain Duris – NDLR) n'est pas forcément négative : il a envie d'une certaine logique et en même temps il apprend à vivre avec sa vie discontinue. "L'auberge espagnole" raconte comment on peut arriver à vivre bien dans un monde dépareillé.
EN: Comment avez-vous opéré pour l'écriture du scénario ?
CK: Voilà cinq ans j'avais une copine qui faisait des études de dessin et était partie également à Barcelone dans le cadre d'Erasmus. Je suis allée la voir régulièrement. L e film est également né de ces allers-retours. Par ailleurs je me suis beaucoup documenté sur les étudiants qui bénéficient du système Erasmus. J'ai pu ainsi inventer une histoire qui repose plus sur une construction dramatique que sur un réel enchaînement de souvenirs.
J'ai écrit le scénario en douze jours, deux mois seulement avant le tournage.Le scénario a été constamment réécrit à partir de ces douze jours. C'est ainsi que pendant la préparation, les gens qui travaillaient avec moi attendaient les pages du scénario pour pouvoir organiser les repérages, effectuer le casting …Tout se faisait au jour le jour, au fur et à mesure. Et cette situation a continué pendant le tournage. J'aime travailler dans cette ambiance où l'improvisation de dernière minute a encore sa place.
EN: Pourquoi avoir choisi particulièrement le programme Erasmus ?
CK: Le programme Erasmus existe depuis maintenant une dizaine d'années et permet d'aller faire des études dans d'autres pays d'Europe. Créé de manière institutionnel et politique, Erasmus est à mon sens un moment de vie extraordinaire. Je pense qu'il crée une nouvelle génération d'esprits, plus ouverts sur le monde et par conséquent plus enrichissant d'un strict point de vue personnel. Avoir entre 20 et 25 ans et partir faire ses études à l'étranger, c'est une expérience de vie que je souhaite tout le monde. On en revient profondément changé.
EN: Avez-vous écrit le personnage de Xavier en pensant à Romain Duris, avec qui vous avez déjà tourné quatre films ?
CK: Tout à fait. Romain n'avait jamais joué ce genre de personnage, aux antipodes de ce qu'il avait déjà joué, à savoir ces personnages de parisiens branchés ou extrêmes. Le but ici était justement de ne dépeindre un mec ni extrême ni branché, mais au contraire super normal voir carrément un peu niais. Pour cela, il fallu transformer Romain physiquement. Au départ il a eu du mal à accepter de se couper les cheveux mais dans un deuxième temps il a compris qu'il s'agissait d'une bonne direction pour lui. Il a par ailleurs dû apprendre l'espagnol, langue qu'il ne connaissait pas, en deux mois en suivant des cours intensifs.
EN: Et en ce qui concerne les autres personnages, comment avez-vous procédé ?
CK: Avant même d'écrire le scénario j'ai réalisé un casting à Rome, Copenhague, Londres, en Espagne et en Allemagne. Dans chaque pays un directeur de casting était chargé d'effectuer une présélection. Avec Bruno Lévy on voyait environ une trentaine de personnes en deux jours. Un vrai marathon ! On en choisissait un et parfois même deux ou trois. Dans un premier temps je leur écrivais un texte représentatif du personnage qu'ils allaient incarner. Romain Duris, qui savait déjà qu'il tiendrait le rôle principal, a fait le tour de l'Europe avec nous afin de donner la réplique à ses futurs partenaires.
Comme je partais d'un individu pour construire le personnage, il y avait une dose de caricature nécessaire pour représenter son pays.
EN: Comment avez-vous réussit à diriger tous ses acteurs de nationalités différentes ?
CK: Tous les comédiens parlaient anglais. Et quelques-uns parlaient français dont le danois, l'allemand, l'espagnole. Déjà que la direction d'acteur est un exercice difficile en soi, imaginez dans une langue étrangère ! Le film était devenu une sorte de Tour de Babel où je parlais une sorte de "Gloubi Boulga" international.
EN: Audrey Tautou fait également ce qu'on pourrait qualifier d'"apparition" …
CK: A l'époque où je l'ai engagée, "Le fabuleux destin d'Amélie Poulain" n'était pas encore sorti. Au moment du tournage sa vie n'était pas la même qu'aujourd'hui ! Cela faisait plusieurs fois que nous devions travailler ensemble et elle avait très envie de participer à l'"Auberge Espagnole" d'une manière ou d'une autre. J'ai adoré travailler avec elle, car Audrey a une personnalité très forte. Je dis d'ailleurs toujours d'elle que c'est un tank qui se cache dans une théière en porcelaine.
EN: Pourquoi avoir choisi de tourner avec une caméra numérique ?
CK: Pour l'instant seuls Pitof (réalisateur de "Vidocq – NDLR) et George Lucas ("Star Wars") avaient utilisé le format HD Cam. Mais je ne voulais pas faire le même genre de film. On note en ce moment une petite révolution technologique qui fait que l'on peut filmer différemment, à l'instar de la scène de la panne d'électricité où l'on peut se permettre de filmer avec pour seule source lumineuse un briquet. J'ai profité de ce support pour effectuer des accélérés, inclure des trucages impossibles en 35 mm. Ce nouveau format permet une liberté formidable et incroyable.
Propos recueillis par Hervé (06/2002)
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