Sara Forestier
Sara Forestier. Elle trouve que son nom est passe-partout, alors elle emprunte celui de Bahia BenMahmoud pour Le nom des gens. Rencontre avec une actrice nature et généreuse.



Karim Aïnouz
Toni Servillo
Félix Dufour-Laperrière
Jayro Bustamente
Gilles Perret
Hélène Giraud
Ryusuke Hamaguchi
Rohena Gera







 (c) Ecran Noir 96 - 24





Rencontre avec Maria de Medeiros, en plein Festival de Cannes, où elle était venue présenter sa première réalisation dans le cadre de la sélection Un certain regard...


EN : Même quand ils s'arrêtent au feu rouge ?

MDM : C'est véridique, absolument. C'est vrai que j'ai du rajouter de la fiction mais ce n'est pas dans les choses les plus invraisemblables.

EN : Mais ils ont vraiment tiré sur le Palais, il est d'ailleurs encore criblé de balles…

MDM : Oui, ils ont tiré sur le Palais. D'ailleurs à l'intérieur de la bibliothèque, il y a des livres troués par les balles. Mais ils savaient qu'ils n'atteignaient personne. Ils ont vraiment refusé toute violence sur l'être humain. Cette acceptation de leurs contradictions les rend totalement vulnérables, tellement poétiques.

EN : Finalement ce sont les femmes qui ont les slogans les plus marquants, les plus engagés. Or, les médias étaient contrôlés par le pouvoir. Comment elles étaient au courrant de la contraception… Comment elles ont eu accès à cette information sur la liberté sexuelle, le divorce ?

MDM : C'était aussi important pour moi de parler du rôle des femmes dans cette révolution, qui n'est pas évident à première vue, puisque c'est une révolution armée, faîte par des militaires. En fait cette contribution a été énorme. En fait la guerre coloniale a commencé en 1961. L'Académie militaire était une école d'élite, réservée aux fils des élites. Mais avec la guerre, quand les gens ont commencé à crever, ils ont ouvert en 63-64 les portes à d'autres classes sociales moins favorisées. Et ça a été l'apprenti sorcier. Parce que ce sont ces deux promotions là qui ont fait la révolution. C'était des gens simples, avec un désir de connaissance très fort. D'ailleurs l'Académie était un moyen pour les gens pauvres d'accéder à un cours supérieur. Là ils pouvaient devenir ingénieur. Et un grand nombre d'entre eux s'est marié avec des universitaires. Presque tous ceux que j'ai rencontrés. Or l'esprit de résistance était très fort au Portugal, il y a une sorte de résistance civile latente, qui n' a jamais réussi à faire basculer les choses mais qui souffrait avec courage. Ils étaient effectivement persécutés, censurés, torturés, etc… Ces femmes ont eu accès à tous les mouvements d'idées venus d'Europe et elles étaient parfaitement au courrant. Elles se passaient les livres sous cape. J'ai eu accès aux archives de la police politique portugaise, quasiment tous les livres étaient en français !

EN : Est-ce que l'immigration portugaise qui est venue en France 10 ans avant a aussi eu un rôle ?

MDM : L'émigration non, elle était trop pauvre. Mais les intellectuels étaient très très friands de tout ce qui venait de l'extérieur, et en particulier ce qui venait de France. Et les Portugais se divisent entre les francophiles et les anglophiles, et j'étais hallucinée de voir dans les archives de la police politique des livres comme Les Fleurs du mal… A l'époque, la littérature était très dominée par les femmes ; elles étaient à l'avant garde d'une pensée résistante.

EN : Une autre chose qui m'a marqué, c'est que votre film ne ressemble absolument pas à un film portugais. C'est un film très occidental, très loin d'Oliveira et de Monteiro. Il y a des chars dans Lisbonne. Pourquoi vous êtes vous détachée de ce cinéma portugais ?

MDM : J'ai une énorme admiration pour le cinéma portugais, tel qu'on le connaît. Je pense qu'il a beaucoup plus d'influence qu'on ne peut le voir. On a fait trois avant premières au Portugal, dont une à Porto. Manuel de Oliveira est venu. Je l'adore, j'ai une grande admiration pour lui. Il était là. Il m'a soutenu. La première chose qu'il m'a dite c'est " Quel courage ! Mais bon c'est pas du tout dans mon style ! Mais ça m'a ému…". C'était extrêmement généreux. Je lui ai dit à quel point il m'avait influencé. Il était un peu surpris, mais c'est vrai. Ce que Manuel m'a appris c'est qu'on peut tout oser au cinéma. Sa grande leçon, c'est la liberté dans la création. Ca a été difficile de convaincre les gens, les financiers de faire ce film. L'autre aspect, si je veux rester fidèle à la révolution elle même, dans un esprit de grande modestie, est que je ne pouvais en aucune façon me défendre derrière une esthétique formelle. Ca aurait été un contresens par rapport à la révolution de ne pas être dans une certaine simplicité.

EN : Vous venez de nous dire que vous aviez eu des difficulté à monter le financement du film, c'est à cause de son côté engagé ?

MDM : Nous on n'a pas osé me le dire ça ! Mais en effet les gens s'étonnaient que je veuille filmer une histoire de militaire. On me demandait pourquoi je ne faisais pas quelque chose de plus féminin.

EN : C'est de votre mère que vient cette passion pour l'histoire et la politique… ?

MDM : Certainement. Je pense qu'elle m'a inculqué ça. C'était très passionnant de vivre dans l'enfance, de croiser tous ces gens dans l'enfance, de croiser tous ces gens héroïques, qui passaient à la maison pour faire des interviews. Il y avait une discussion politique perpétuelle autour de moi. Le film rend un peu hommage à ça. Mais pour revenir aux femmes, je pense que ce film ne peut pas être un film d'homme. Qu'est-ce qu'il y a de plus féminin que de regarder les garçons ? J'ai pointé ma caméra sur eux. Ca m'a beaucoup amusé de tourner dans une caserne, et notamment cette scène dans le dortoir, où la scripte me disait qu'elle n'avait jamais vu autant d'hommes à poil de ma vie !

EN : Mais c'est vrai qu'on a rarement vu un film sur les militaires aussi humain, humaniste...

MDM : Mais là ce sont eux qui m'ont transmis d'être toujours à l'échelle humaine. Encore aujourd'hui ce sont des êtres fascinants parce que certains d'entre eux dans la Guerre coloniale, à 21 ans, contrôlaient des bataillons de 600 hommes. Ils avaient droit de vie et de mort sur 600 hommes alors qu'ils n'étaient encore qu'adolescents.

EN : Un dernier mot sur vos projets…

MDM : Depuis la post-production de Capitaines d'Avril, j'ai fait trois films comme actrice et c'était tellement tranquille de n'être que actrice !

EN : Vous étiez une Capitaine finalement sur ce tournage…

MDM : Un peu. Je dois dire que ce milieu traditionnellement macho des militaires et des équipes de cinéma, ils ont été d'une gentillesse, d'une disponibilité, je n'ai jamais ressenti la moindre mysoginie.

EN : Et vous avez un projet en tant que réalisatrice ?

MDM : J'y pense beau coup. J'ai des idées qui me trottent dans la tête. Je vais commencer à y penser sérieusement.

Propos recueillis par Vincy, retranscrits par Serge.


   vincy

Page précédente