(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Autre film français très attendu après «Le pacte des loups» et avant «Le Petit Poucet», «Vidocq» s’offre le luxe d’être le premier long métrage au monde à être tourné avec une caméra numérique haute définition [Voir dossier]. A la tête de ce projet ambitieux, Pitof, ancien superviseur des effets spéciaux réputé dans le monde entier. Ce proche de Jeunet et Caro passe ainsi pour la première fois derrière la caméra, après avoir été directeur des effets spéciaux des plus grands succès de ces dernières années: «Les visiteurs», «Jeanne d’arc», «Astérix et Obélix», «Alien 4, la résurrection», «Didier», «La cité des enfants perdus». Rencontre avec ce pionnier de l’image numérique. |
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E.N: «D’où vient votre surnom ?»
Pitof: «Mon vrai prénom est Christophe. Or, mon cousin m’appelait le «petit Christophe». Quand j’ai commencé à faire du cinéma en créant avec Rip O’Neil, Pascal Herold, Bernard Malataverne et Antoine Simkine la société Duboi ( plus gros studio numérique français), j’ai contracté l’adjectif et le prénom. Depuis, le pseudonyme est resté»
E.N: « Vous êtes le premier cinéaste au monde à tourner avec une caméra numérique haute définition (où les 0 et les 1 remplacent totalement la pellicule), devançant ainsi George Lucas. Avez-vous le sentiment d’avoir participé à une véritable révolution ?»
Pitof: «Je ne suis pas Che Guevara non plus ! Vidocq s’avère différent en terme d’image par rapport à ce que le spectateur connaît actuellement. Mais nous ne sommes qu’au début d’une nouvelle ère du septième art. Même si le tournage est un peu particulier avec l’utilisation quasi- systématique du fond bleu, «Vidocq»reste un long métrage comme un autre».
E.N: « Quel est l’intérêt de tourner en numérique ?»
Pitof: « L’intérêt demeure avant tout économique. Tourner directement en numérique évite le coûteux transfert entre la pellicule et l’ordinateur, une étape obligatoire pour les trucages en post-production. Hélas la projection numérique reste inexistante pour l’instant (une seule salle numérique en France au Gaumont Aquaboulevard à Paris - NDLR).
E.N: «Quelles sont les particularités de la caméra numérique ?»
Pitof: «Cette nouvelle caméra va permettre de mettre à jour une autre manière de faire des films. La pellicule disparaît complètement: toutes les images sont enregistrées sous forme de 0 et 1. Je suis complètement fasciné par le grain si particulier du numérique. Grâce à cette nouvelle technologie, le réalisateur peut tout se permettre. Les possibilités sont infinies. La profondeur de champ est beaucoup plus nette. Le décor devient ainsi un acteur à part entière du film. Les comédiens sont ainsi plus présents, comme s’ils étaient en trois dimensions. J’ai souhaité prolonger cet effet par le son, en lui donnant davantage de relief.
Cependant il ne s’agit pas d’opposer la haute définition du numérique au 35mm traditionnel: il existe une esthétique propre au numérique, une texture particulière, des possibilités nouvelles que nous avons envie d’explorer. Je crains toutefois la levée de boucliers des réalisateurs et autres attachés à la pellicule!»
E.N: «Quelles difficultés avez-vous rencontré lors du tournage ?»
Pitof: « Durant ces trois dernières années, les embûches ont été nombreuses. La caméra numérique ne manque pas de pièges, à commencer par son poids, quasi-identique à une caméra traditionnelle. D’autre part, l’image haute définition n’a pas la même souplesse que le film 35 mm en terme de diaphragme. Nous n’avions pas le droit à l’erreur. Nous devions utiliser un écran géant pour vérifier immédiatement après avoir tourné la scène si les décors étaient suffisamment exposés.
Il faut également souligner le courage de nos producteurs: à Cannes 2000, Dominique Farrugia n’avait aucune image du film à montrer pour les pré-ventes. Résultat: Farrugia a eu un psoriasis et un début d’ulcère!»
E.N: « Vous êtes-vous calqués sur les dessins préparatoires (story-board) lors du tournage ? »
Pitof: «Au début, j’avais conçu un story-board très précis. Chaque scène était ainsi clairement définie. Mais très vite je me suis aperçu qu’il s’avérait très dangereux de s’enfermer dans ce carcan. Le story-board m’a permisde faire des choix entre plusieurs plans. Mais j’ai voulu me laisser suffisamment de liberté pour le montage. J’ai pu insuffler à chaque séquence un parti-pris et fuir ainsi les effets gratuits. J’espère ainsi proposer un film regardable sous différents aspects, par différents publics.
E.N: «En ce qui concerne le casting, vous avez opéré de manière particulière... »
Pitof: «En effet. J’ai demandé à mon ami Marc Caro (ex- complice de Jean-Pierre Jeunet - NDLR) de donner vie à mon univers. Il a d’abord travaillé sur les visages, car je n’avais pas vraiment d’acteur prédestiné pour chaque rôle. A partir d’illustrations de l’époque, Marc a retranscrit les personnages du film, établissant un casting en 1830. Ce travail préparatoire nous a permit de réaliser une synthèse pour chaque personnage, des différents types de « gueules ». Les comédiens devaient avoir une tête crédible pour l’époque. Vidocq a ainsi failli être incarné par Gérard Lanvin ou Daniel Auteuil. Le choix final s’est finalement porté sur Depardieu.»
E.N: « Votre vision de Paris au XIXème siècle repose-t-elle sur un socle historique ?»
Pitof: «Pas précisément. Je ne souhaitais pas réaliser une reconstitution historique, ni être visuellement ancré dans une époque, mais plutôt créer une ambiance à la limite du fantastique et de l’anticipation.
Je n’avais pas pour priorité de donner une vision réaliste de la capitale de la France au XIX ème siècle.
Je souhaitais davantage créer un Paris entièrement au service du script de Jean-Christophe Grangé (également auteur des «Rivières pourpres», adapté récemment au cinéma par Mathieu Kassovitz - NDLR). Je me suis ainsi basé sur un socle historique plus par curiosité que dans un véritable souci de coller le plus possible à la réalité. Ce qui explique notamment la hauteur anormale des chapeaux pour l’époque».
E.N: «Quelles ont été vos références en terme d’esthétique ?»
Pitof: «Dès le départ je voulais imposer une esthétique bien particulière au film. J’ai ainsi cherché une première référence en me promenant dans les galeries d’art. J’ai immédiatement été séduit par Gustave Moreau (peintre du XIX ième siècle). J’aime sa vision à la fois noire et fantastique de Paris. Son approche de la couleur me fascinait complètement avec un fond très sombre et en contraste des tâches de couleur très vives.
Peu à peu je me suis détaché de cette référence première pour enrichir ma palette visuelle, avec des artistes comme Turner pour le ciel.»
E.N: «Avec «Vidocq» vous déclarez avoir voulu réaliser un «Seven au XIXème siècle». Vous avez également engagé un «production designer» afin de développer l’aspect visuel du film, comme cela se fait aux USA. Pourquoi les français ont-ils tant de difficulté à se détacher de l’influence américaine quand il s’agit de réaliser un film de genre comme le vôtre ?»
Pitof: «Je ne pense que l’influence américaine soit si importante. Du moins je ne l’espère pas, et si l’influence existe, elle ne demeure pas consciente. Il n’existe ainsi pas de terme français pour le concept de «production designer». Admettons toutefois que les réalisateurs français dont je fais parti ont du mal à s’affranchir de cette influence majeure. Le talent des américains en la matière s’avère indéniable. Leurs moyens sont tellement importants ! A Hollywood, le cinéma est une industrie à part entière. Ils peuvent se permettre de s’entourer des meilleurs collaborateurs mondiaux, dans tous les domaines ( effets spéciaux, scénario ). Il faut bien qu’il existe des leaders, fussent-ils américains. En terme de thriller par exemple, «Seven» s’impose comme un must absolu. Et puis je n’allais tout de même pas citer «Six-Pack» ( d’Alain Berbérian avec Richard Anconina et Frédéric Diefenthal NDLR) en référence!(rires)»
Propos recueillis par Hervé (sept 2001).
Hervé
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