(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Grand et longiligne, le réalisateur de Clean, récemment primé à Cannes pour son interprétation féminine (Maggie Cheung), est membre du jury de Locarno. Entre le petit déj et la projo du premier film de la journée, Olivier Assayas nous accorde un entretien pour faire le point sur le cinéma et son cinéma. La parole experte, nerveux, timide, ce garçon qui ne veut pas vieillir mitraille ses mots et regarde toujours ailleurs. |
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Ecran Noir : Vous avez un emploi du temps chargé?
Olivier Assayas : On voit beaucoup de films.
EN : Il y a pire comme métier...
OA : Oui bien sûr!
EN : C'est votre première fois à Locarno?
OA : J'étais venu une fois pour participer au jury, il y a assez longtemps.
EN : Vous n'avez jamais présenté de films ici...
OA : Non. Jamais.
EN : Ca signifie quoi être juré pour vous?
OA : Ca m'est arrivé plusieurs fois de le faire. C'est toujours délicat parce que c'est difficile de juger. Voir des films et en parler c'est un plaisir, surtout dans le cadre d'un jury avec des gens qui viennent de toutes sortes d'horizons. C'est vraiment très intéressant de comparer la manière dont on peut percevoir les films, quel type de grille ils utilisent pour les "classer". Après ce qui est difficile, c'est de les primer, c'est dire "celui-là" plutôt que "celui-là". Surtout que les gens ont toujours des goûts très divers, c'est toujours un peu des compromis ou des approximations, sauf dans le cas de jurys très homogènes. Mais c'est très rare. En général, ce sont des gens qui ont des personnalités fortes, affirmées. La partie jugement ce n'est pas ce que je préfère, dans le sens où je préfère être jugé que juger les autres; mais voir des films et en discuter, surtout dans un cadre plus que chaleureux, c'est très agréable.
EN : Vous préférez être jugé, alors...
OA : Quand on fait soi-même des films, on a plus l'habitude et on se sent plus à sa place dans la situation de faire quelque chose, de dire quelque chose, d'exprimer quelque chose et d'en attendre une réponse. Après tout faire des films, et n'importe quelle oeuvre artistique, consiste en ça. On prend le risque d'essayer quelque chose, d'affirmer quelque chose, en étant, au fond, impatient, curieux, quelque fois anxieux, de voir comment autrui réagira. L'objet de l'oeuvre c'est ce dialogue...
EN : Ce prix d'interprétation à Cannes pour Maggie Cheung vous a donc comblé...
OA : Oui j'étais très content pour Clean. Il a été très bien reçu, il a été primé. C'est une reconnaissance pour ce film et pour le travail de Maggie Cheung. Mais je ne fais pas des films pour avoir des prix... Mais s'il y en a, ce sont des heureuses surprises.
EN : Question bateau dans ce cas : pourquoi ou pour qui faîtes-vous des films?
OA : Je crois que les films, comme tous les arts, servent à observer le monde, de rendre compte de notre regard sur lui, de la manière dont il se transforme. Plus techniquement, un film se pose la question de ce que peut raconter le cinéma. Comment aller plus loin ou autrement, comme on peut essayer d'explorer une facette de cet art.
EN : Comment le voyez-vous évoluer?
OA : Je le vois évoluer de façon multiple. Je pense qu'aujourd'hui il y a autant de bon cinéma qu'à d'autres époques. Peut-être même plus parce que plus divers, venant d'horizons plus variés. Il y a des pays où le cinéma était soit éteint soit tout à fait marginal, qui se sont épanouis, en particulier en Asie. On a une meilleure connaissance, aujourd'hui, de la carte du cinéma mondial. C'est quelque chose de formidable du point de vue des dialogues avec d'autres artistes. Par ailleurs, il y a une influence très très néfaste d'une sorte de formatage télévisuel. Le financement du cinéma est de plus en plus timoré, se fondant très souvent sur des valeurs de plus en plus réactionnaires ou conventionnelles ou conformistes, et du coup, ça donne une production moyenne, qui en fait, a beaucoup baissé. C'est assez curieux : le cinéma ambitieux, artistique persiste, parce qu'il se fait soit par en haut, soit par en bas, et plutôt aux extrêmes, soit avec des bouts de ficelles, soit avec des moyens très ambitieux ; mais la production du cinéma du milieu, du cinéma moyen, j'ai l'impression qu'elle s'est complètement banalisée, qu'elle s'est industrialisée au pire sens du terme. Là où il y avait des gens ayant une idée plus haute de leur artisanat, autrefois, sont remplacés par des gens qui sont purement des techniciens et qui fabriquent à la chaîne des "choses" qui sont un peu indigestes, enfin disons inodore et sans saveur.
EN : Comment vous positionnez-vous par rapport à ça? C'est difficile, pour vous, aujourd'hui, de financer vos projets?
OA : Franchement, je n'ai à me plaindre de rien. J'ai toujours fait à peu près les films que je voulais faire. Et dans les conditions de liberté complète.
EN : Ca se sent dans chacun de vos films...
OA : Oui, oui; c'est quelque chose qui a toujours fondé ma pratique du cinéma. Il y a des moments où ça correspondait à des budgets plus modestes. Aujourd'hui, en particulier grâce à ma collaboration avec Edouard Weil comme producteur, j'ai pu avoir accès à des budgets plus larges, plus ambitieux, même si ça reste modeste. Si vous voulez, je suis dans la position d'auteur de cinéma qui doit trouver sa propre manière de survivre ou de maintenir le cap à travers les vicissitudes du système. J'ai eu la possibilité de trouver cette voie. Pour mes deux derniers films, elle est un peu particulière puisque cela voulait dire qu'il fallait faire un détour par le cinéma international. Ces deux films se sont faits grâce à des financements internationaux. Je crois que je n'aurai pas pu faire Demonlover et Clean dans le cadre du cinéma français. Du coup, sur un film comme Clean, tout ce qu'un film peut obtenir en matière de financement en France - et il a été bien reçu : on a Arte, Canal + et l'avance sur recettes - reste à des niveaux qui sont ceux du cinéma indépendant européen. Ce qui correspond, je dirais, à un tiers du budget. Et pourtant Clean n'est pas un film cher. C'est un budget moyen d'une comédie française. Et même un peu moins. Mais, simplement, un budget "prime time" français pour un film personnel, jamais on peut le trouver.
EN : Même avec Nick Nolte, Maggie Cheung et Béatrice Dalle dans le casting?
OA : Oui. il y a quelques années, on pouvait encore. Maintenant c'est fini.
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EN : Votre cinéma a un fil conducteur : les femmes face à leur destin, prête à effectuer un virage...
OA : Oui, disons que...
EN : Mais c'est voulu ou pas?
OA : C'est sûrement voulu, mais ce n'est pas pensé ni théorisé. J'ai plus de plaisir ou de facilité à écrire et à filmer des personnages de fiction féminins. J'ai toujours un petit peu l'impression que ça tient à un goût ou un sentiment personnel. Mais ça a à voir avec le fait qu'il s'agisse de fiction. J'essaie de faire quelque chose qui soit proche du romanesque. Et au fond, c'est un genre qui implique de se mettre à la place d'autrui. Et cet autre c'est l'autre sexe, aussi. Quand j'écris en racontant du point de vue du personnage féminin, ça implique cet espèce de grand écart de la fiction. Et ça me permet de raconter le monde ou de voir le monde à travers des yeux qui ne sont pas que les miens ; ça m'évite l'introspection, l'auto-analyse en essayant de me projeter.
EN : Demonlover, ce fut une expérience violente. Mal reçu, incompris par beaucoup... Le message ne semble pas avoir passé.
OA : C'était un film expérimental et polémique.
EN : Pourtant on sent une belle machine, une production soignée, un style installé...
OA : C'est un film qui s'est fait dans des conditions qui étaient bonnes, mais dans une logique expérimentale. C'est le paradoxe du film. En réalité, c'est un film qui a été fait dans une logique pure de cinéma indépendant. C'est un film qui coûte beaucoup moins cher que ce qu'il a l'air de coûter. On a été obligé de faire une sorte de miracle technique - des ajustements sans cesse. Ca a été un tournage techniquement très difficile. C'était passionnant, j'ai appris un millier de choses. Mais c'était dur, il a fallu une équipe très soudée et ça restait aventureux. C'est un type de films qu'on ne fait pas dans le cinéma français. Peut-être dans le cinéma américain, ça aurait été de soi parce qu'il y a une ampleur de moyens, un savoir faire technique... En France, chaque scène, chaque plan est un problème réel à résoudre. C'est un film qui vit tellement largement au dessus de ses moyens, qu'à chaque fois, il fallait trouver la version bricolée. C'était un moment où j'avais envie d'essayer quelque chose de radical. C'est un film que je voulais faire avec des moyens encore plus réduits. Bizarrement, le système, la logique, c'était un moment où il y avait de l'argent, une curiosité pour un tel film, que nous avons reçu plus de financements que prévus. Le film a pris une ampleur que je n'anticipais pas. Mais quand je l'ai écrit, je me suis dit : "Là je m'aventure sur un terrain très risqué." On préfère toujours que les films aient du succès, qu'ils soient reçus avec une unanimité bienveillante. Celui-là il a produit un effet de choc, sur des registres que je n'attendais pas forcément. Beaucoup de gens l'ont compris et apprécié. Aux Etats Unis, en particulier. Après tout, il y a des films qui ont une nature plus consensuelle. Celui-là en le faisant, il n'était pas du tout du tout dans ce registre là.
EN : Pourtant Clean n'est pas plus consensuel, et il a été largement mieux accueilli.
OA : Absolument. La différence c'est que Clean est un film humain. Dont la matière est humaine, il s'agit de sentiments, de choses qui sont plus universelles. Tandis que le sujet de Demonlover était la déshumanisation. Et c'est là qu'il y a eu un paradoxe, un malentendu. Le sujet était la déshumanisation et la façon dont l'humain se dissolvait dans le monde contemporain, et comment je le ressentais, comment je le percevais. Et le film a pu être perçu comme faisant partie de cette déshumanisation! C'est très paradoxal. C'est là où je disais qu'il y a eu des réactions que je n'attendais pas, puisque pour moi c'était un film politique, exposant le mécanisme de l'aliénation. Et on m'a renvoyé que le film était une manifestation extrême de cette aliénation.
EN : Clean est une réponse humaniste à ce rejet?
OA : Non, car Clean pré-existait à Demonlover. J'ai fait Demonlover, qui s'est imposé à moi, un peu comme une hallucination. J'avais le canevas de Clean. J'ai même hésité entre les deux. Mais je savais que si je faisais Clean d'abord, jamais je ne ferais Demonlover.
EN : Et pour finir, comment vous est venu l'idée de Clean?
OA : Ca s'est constitué autour du personnage, et donc de l'actrice. Après, ça s'est déployé et ça a raconté des choses qui ont peu à voir avec Maggie. Mais c'est né autour du plaisir, de l'interrogation de faire un film avec elle.
propos recueillis par Vincy, au festival de Locarno, en août 2004
vincy
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