Sara Forestier
Sara Forestier. Elle trouve que son nom est passe-partout, alors elle emprunte celui de Bahia BenMahmoud pour Le nom des gens. Rencontre avec une actrice nature et généreuse.



Karim Aïnouz
Toni Servillo
Félix Dufour-Laperrière
Jayro Bustamente
Gilles Perret
Hélène Giraud
Ryusuke Hamaguchi
Rohena Gera







 (c) Ecran Noir 96 - 24



Dans le décor à l’anglaise du salon d’un hôtel de la célèbre Place des Vosges à Paris. Décontracté, en tenue sportswear et un « bob » vissé sur la tête, le jeune Presley Chweneyagae à l’allure d’un homme-enfant. Le regard timide et fuyant, il esquisse d’une voix chaude et hésitante un « Nice to meet you ». Sous son air d’adolescent réservé, il est le héros de Mon nom est Tsotsi, une œuvre oscarisée comme meilleur film étranger cette année, dans lequel il joue le plus dur des « bad boy », dans un township de Soweto. Rencontre en toute intimité avec ce gentil méchant Sud-Africain.
EN: Comment s’est passé le tournage avec les autres acteurs? Comment vous ont-ils accueilli en tant que tout débutant dans le cinéma ?
PC: Aux auditions, j’ai rencontré tout un tas d’acteurs à l’ego démesuré, dont certains que j’avais toujours vus à la télévision. Ils étaient là pour jouer les mêmes rôles que moi, c’était très intimidant. Mais j’ai vraiment tout fait pour rester et j’ai eu le rôle. En tant que débutant, ils ont vraiment été d’un grand soutien. Mais tout comme Tsotsi, je me suis isolé de beaucoup de gens, tout en étant gentil avec eux. Les autres acteurs étaient plus expérimentés donc je suis resté dans ma bulle. Je leur parlais quand je le devais et on discutait, mais jamais il n’a été question de sortir tous ensemble tout le temps. On ne se connaissait pas très bien donc c’était plus facile pour moi de fulminer contre eux pendant le tournage et de m’isoler après.

EN: Côté conditions de tournage, comment les habitants ont-ils été « maîtrisés »?
PC: Là-bas dans le township ? Et bien les mecs de la rue ont été engagés comme extra pour jouer les agents de sécurité. [rires] Ils étaient très contents de cette idée.

EN: Vous n’avez que 21 ans donc vous n’avez pas vécu la période de l’Apartheid mais vous avez dû l’étudier, comment la comprenez-vous ? En avez-vous parler avec des gens qui l’ont vécue ? Comment avez-vous abordé le travail d’Athol Fugard de ce point de vue là?
PC: Bien sûr, je me suis documenté, j’ai lu des livres sur l’Apartheid. C’est une grande période de l’Histoire Sud africaine et j’ai dû mal à croire que ça se soit passé dans mon pays car depuis, tout a changé si vite ! Je pense en avoir appris pas mal mais les gens me regardent bizarrement quand je leur dis que je ne comprends pas vraiment cette période. Enfin c’est ce qu’ils pensent quand je me fais insulté par un blanc dans la rue et que je réponds « et alors ? ». Ca touche davantage quelqu’un qui a vécu l’Apartheid que moi.
Lorsque je me suis renseigné sur Athol Fugard et sur des auteurs ou réalisateurs comme Barney Simon, j’ai réalisé qu’il y avait beaucoup plus d’opportunités à l’époque pour des frères noirs en ce qui concerne le théâtre. Ils jouaient des pièces au Market Theatre [à Johannesburg]. Juste après mes débuts dans le théâtre, j’avais l’habitude de regarder ces pièces écrites pour critiquer la politique, même si à l’époque, ça n’était pas spécialement ma tasse de thé. C’était une façon pour eux de s’échapper de leur réalité en s’engageant dans une troupe. D’ailleurs, la plupart a fini à la télévision parce que ça leur a ouvert des portes. Pour ma part, j’étais plus intéressé par Shakespeare parce que je n’ai pas grandi dans cette génération donc c’était plus dur pour moi de m’y identifier. Je sais que l’Apartheid a existé, qu’il y a eu une controverse à son sujet et qu’on a frôlé la guerre civile. Je suis content que celle-ci n’ait pas eu lieu, et je remercie ceux qui se sont battus pour la liberté en Afrique du Sud, ce en quoi, aujourd’hui, je peux voyager et même jouer dans un film.

EN: Même s’il y a plus de dix ans qu’elle a été abolie, ressentez-vous encore ses effets?
PC: Non, pas vraiment. Quand j’allais à l’école, j’ai vu à quel point les enfants s’étaient intégrés les uns aux autres, même si les inégalités subsistent.

EN: Le cinéma Sud africain connaît un essor fantastique depuis quelques années. Comment l’expliquez-vous?
PC: L’industrie du cinéma Sud africain s’est construite sur des films qui parlaient de l’Apartheid, des questions raciales. Beaucoup ont été tournés avec des acteurs internationaux mais ça n’était pas écrit comme nous nous pouvions le faire. Aujourd’hui, on crée de nouvelles histoires, sur l’humanité par exemple, et on peut y faire jouer des acteurs Sud africains. Et c’est avec ça que l’industrie croît maintenant.

EN: Les Sud Africains semblent en avoir marre de regarder des films qui parlent de l’Apartheid, pensez-vous que Tsotsi fasse partie de cette nouvelle vague cinématographique?
PC: Bien sûr ! Le gouvernement est même prêt à soutenir certains projets pour gonfler l’industrie du cinéma. Les gens sont de plus en plus nombreux à croire en eux-mêmes et à sauter sur les opportunités qui leur sont données, et je pense que cette envie va inspirer les réalisateurs et les acteurs, ce qui donnera envie aux producteurs d’investir.

Page précédentePage suivante