Sara Forestier
Sara Forestier. Elle trouve que son nom est passe-partout, alors elle emprunte celui de Bahia BenMahmoud pour Le nom des gens. Rencontre avec une actrice nature et généreuse.



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 (c) Ecran Noir 96 - 24



« Faire un film, c’est un mélange de marathon et de sprint ».

Martin Drouot, collaborateur à Ecran Noir, a rencontre Céline Sciamma, à propos de son premier film, Naissance des pieuvres, présenté à Un certain Regard cette année à Cannes. Camarade de promotion de Céline Sciamma à la fémis, Martin Drouot a pu suivre l’élaboration de Naissance des pieuvres jusqu’à sa réalisation et sa projection au Festival de Cannes La jeune réalisatrice lui a raconté l’aventure de son premier film. Conversation intime sur la naissance d'un film.



Un film pop

M. D. : On avait vu L’Effrontée de Claude Miller ensemble. En sortant de Naissance des pieuvres, j’y ai pensé.
C. S. : L’Effrontée est une vraie référence, oui. Le film se raconte de la même manière : une jeune fille – et mon actrice ressemble d’ailleurs physiquement à Charlotte Gainsbourg dans ce film jusqu’à l’accessoirisation (jean, débardeur, queue de cheval) – est impressionnée par une autre jeune fille, blonde, de son âge, qui est déjà dans une prouesse artistique, en l’occurrence elle est pianiste… L’argument du désir est beaucoup plus souterrain dans L’Effrontée, c’est un désir d’identification, particulier à cet âge-là, la question du désir sexué se pose plutôt avec le menuisier joué par Jean-Philippe Ecoffey. C’est un film que j’aime, car c’est un vrai film pop comme on n’en fait pas en France, un film qui a son tube de variété, il y a un truc très anglo-saxon. D’ailleurs, c’est l’adaptation d’un roman de Carson McCullers.

M. D. : On a surtout beaucoup comparé, de façon moins juste à mon avis, ton film avec un autre film « pop », Virgin Suicides de Sofia Coppola.
C. S. : C’est bizarre parce que pour moi, c’est l’antithèse. Je comprends, bien sûr : il y a des adolescentes, une blonde, de la musique électro… Mais Virgin Suicides, c’est un film d’hommes : le scénario est écrit par un homme, c’est le regard de garçons sur des filles, leur voix off. En plus, c’est rétrospectif et nostalgique, on est ancré dans l’actualité des années 1970. Nous, c’est l’inverse : il n’y a ni ancrage, ni garçons. Sofia Coppola cherche à générer du fantasme, son film n’est pas dans l’explication ou dans la tentative de trouver ce qui est juste dans le fait d’être une fille de 15 ans ; il joue au contraire sur le fait que ces mecs (notre point de vue) ne comprendront jamais : Sofia Coppola suicide ces jeunes filles, et c’est débrouillez-vous pour comprendre. Ce n’est pas un film que je n’aime pas, mais c’est l’inverse de ce que j’ai voulu faire…

Un film à trois têtes

M. D. : Ton film réfléchit au thème de l’adolescence et pas à une adolescente. Même si Marie est au centre, tu ne fais pas le portrait d’un personnage, c’est un film à trois têtes. D’où l’importance d’Anne, personnage secondaire certes, mais vrai pivot mutique du film...
C. S. : Je voulais faire une radiographie de la féminité, et je voulais le faire à l’endroit matrice, l’adolescence, parce que c’est le moment où l'on devient fille… Les trois personnages, cela me permet aussi de me dégager de l’autobiographie. En ayant plus de trajets, on embrasse plus de fiction et en même temps, on est plus précis sur ce qu’on raconte – on sort d’un trajet particulier… Cela demande une gestion particulièrement périlleuse, car avoir un personnage secondaire qui a son propre itinéraire de solitude et qui, en plus, est censé amener un ton différent, c’est un truc « casse-gueule ». Au montage, c’est d’ailleurs le personnage d’Anne qui a le plus bougé, là où avec Julien Lacheray, le monteur, on a le plus galéré.

M. D. : Naissance des pieuvres est aussi une histoire d’amitié entre Anne et Marie. C’est ce trajet qui constitue la ligne dramaturgique : elles sont inséparables, rencontrent chacune un désir qui leur fait changer de chemin, elles se séparent, et, au tout dernier plan, elles se retrouvent. Il fallait peut-être compenser la valeur négative que tu mettais dans le désir et dans l’amour par une valeur positive.
C. S. : Je n’ai pas pensé faire un film sur l’amitié. C’est devenu le trajet du film de façon inconsciente, oui, c’est un effet collatéral. C’est vrai que ce qui reste, c’est ça, c’est l’amitié. C’est un truc que j’ai découvert en voyant le film.

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