Sara Forestier
Sara Forestier. Elle trouve que son nom est passe-partout, alors elle emprunte celui de Bahia BenMahmoud pour Le nom des gens. Rencontre avec une actrice nature et généreuse.



Karim Aïnouz
Toni Servillo
Félix Dufour-Laperrière
Jayro Bustamente
Gilles Perret
Hélène Giraud
Ryusuke Hamaguchi
Rohena Gera







 (c) Ecran Noir 96 - 24



« Faire un film, c’est un mélange de marathon et de sprint ».

Martin Drouot, collaborateur à Ecran Noir, a rencontre Céline Sciamma, à propos de son premier film, Naissance des pieuvres, présenté à Un certain Regard cette année à Cannes. Camarade de promotion de Céline Sciamma à la fémis, Martin Drouot a pu suivre l’élaboration de Naissance des pieuvres jusqu’à sa réalisation et sa projection au Festival de Cannes La jeune réalisatrice lui a raconté l’aventure de son premier film. Conversation intime sur la naissance d'un film.



Passage à la réalisation

M. D. : A l’école, tu étais en département scénario. Comment s’est passé le passage à la réalisation ?
C. S. : Il a été facilité par la rapidité avec laquelle tout cela s’est fait. Si j’avais dû attendre un an après la fin de l’écriture, je l’aurais vécu avec appréhension et violence, alors que là, je n’ai pas eu le temps d’angoisser. J’ai réécrit et les financements sont arrivés dans la foulée, et puis il y a eu le casting, je n’ai pas eu le temps de ne pas travailler. Je ne me suis donc pas posée de questions de légitimité, d’impuissance, j’étais tout le temps confrontée à des questions de travail : on vous pose 5000 questions par jour, je répondais, j’ai pris confiance... Et puis je n’ai pas sacralisé le scénario, j’ai vécu la réalisation comme une nouvelle écriture, en fait.

M. D. : Je me souviens de l’étape du casting où tu montrais les photos de tes actrices, Pauline Acquart (Marie), Adèle Henel (Floriane) et Louise Blachère (Anne). Tu étais toute excitée.
C. S. : C’est vrai, c’était quand même le Graal ! C’était la seule chose qui pouvait m’empêcher de faire le film : ne pas les trouver. J’en ai trouvé une puis deux, la troisième a mis un peu plus longtemps. Je n’avais plus peur de rien une fois que je les avais trouvées : j’ai fait des essais très en amont et j’avais totalement confiance en elles.

M. D. : Tu as travaillé avec des gens que tu connaissais bien. Ton compositeur, Jean-Baptiste de Laubier (Para One), est aussi un réalisateur avec qui tu écris. Et Julien Lacheray est monteur des films de Jean-Baptiste de Laubier... Cela a changé vos rapports que tu sois cette fois la réalisatrice ?
C. S. : Pas du tout. Cela a été une grande période de circulation entre nous trois. J’ai parlé de Julien et la production me l’a reproposé naturellement. Autant ils étaient intraitables sur le chef op’ et voulaient quelqu’un qui avait de l’expérience, autant ils ont accepté quelqu’un qui sortait de l’école sur le montage. Quant à la musique, avec Jean-Baptiste, la collaboration, depuis des années, se teinte de la même intimité, du même rapport. On a travaillé en dialoguant, tous les deux les mains dans le cambouis, en faisant communiquer toutes les matières. Il n’y a pas beaucoup de musique dans le film au final (8 morceaux sur des moments courts) mais la BO, qui sort en même temps que le film, compte les 15 morceaux originellement composés pour le film…

Après Cannes...

M. D. : Du financement au Festival de Cannes, en passant par le montage, à chaque fois que je te voyais, tu étais un peu plus fatiguée. Tu disais : « On ne nous a pas appris que ce serait comme ça ».
C. S. : On n’est pas prêt, on ne peut pas savoir à quel point c’est dur. Faire un film, c’est un mélange de marathon et de sprint, surtout dans cette économie où on fait tout. C’est aussi parce que je voulais participer à toutes les étapes. Cela donne des mois de post-prod à assister à des bruitages et où, le soir, il fallait aller vérifier des copies en grande banlieue. C’est épuisant ! Franchement, je pense que j’ai pris un coup de vieux. D’ailleurs, regarde Guillaume Canet. Quand il n’était qu’acteur, il était tout mignonnet et quand il est allé chercher son César, il avait sa tête de réalisateur… Faire un film, ça fait le vide, il n’y a plus de que ça dans la vie, c’est hyper ostracisant, religieux et difficilement communicable. Ne serait-ce qu’attendre sa sélection à Cannes, c’est beaucoup de pressions, de rumeurs et de stress. Tu perds 10 kilos : j’ai dû changer ma garde robe ! Une vraie machine à laver. Même si tu es tout le temps entouré, il y a une forme de solitude, la solitude du chef. Et à chaque nouvelle collaboration, on recommence une relation, il faut tout donner à nouveau, convaincre, continuer à avoir la foi. A chaque fois, j’étais obsédée par une nouvelle étape sensorielle. Durant le montage son, j’écoutais tous les sons, j’avais mal aux oreilles de marcher dans la rue, de me laver les mains, tout m’agressait. Au mixage, je pleurais pour avoir le bon bruit de porte. Mentalement, c’est un peu dérangeant.

M. D. : En ce moment, tu écris une série télé qui a obtenu une aide du CNC.
C. S. : Je viens de rendre la nouvelle version de cette série à la nouvelle aide du CNC (pour l'innovation télévisuelle). C'est très stimulant, cette aide, car cela fait sortir le scénariste télé d'une dynamique alimentaire. On peut enfin prendre le risque d'être innovant, de développer des projets auxquels on tient en dehors des calibrages d'un producteur, d'une chaîne. Pour l'instant, j'ai deux objectifs : écrire une sitcom, une sorte de Seinfeld français, et écrire le premier long métrage de Jean-Baptiste de Laubier. Je ne vais pas m'ennuyer, mais je veux bien qu'un truc me prenne plein de temps si c'est de la collaboration. Refaire un film tout de suite, je trouve ça présomptueux : l'engagement était tellement total que je ne peux pas envisager de repartir fraîche avec un nouveau truc à dire. C'est comme dans une relation amoureuse. Tu ne peux pas vivre une histoire de trois ans et retomber amoureux la semaine d'après.

juillet 2007, paris


   martin

Page précédente