(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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A 35 ans, Pablo Fendrik est un jeune réalisateur comblé. L’assaillant et La sangre brota, ses deux premiers longs métrages, ont tous deux été sélectionnés à la Semaine de la Critique de Cannes. Le premier en 2007, il a d’ailleurs reçu le "coup de cœur" de la sélection, et le deuxième en 2008. Dans les deux cas, l’accueil fut enthousiaste, saluant la maîtrise technique du jeune Argentin ainsi que sa propension à raconter des histoires ténues sur un ton très personnel. |
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Ecran Noir : A l’ origine du film, il y a un fait divers racontant comment une personne avait volé deux collèges privés en vingt minutes en se faisant passer pour le père d’un des élèves. Qu’est-ce qui vous a intéressé dans cette histoire ?
Pablo Fendrik : Quand je l’ai lu, ce qui m’a intéressé, c’est l’idée de transgression, la détermination incroyable qu’il a fallu à cette personne pour faire ce qu’elle a fait, en quelque sorte un "braquage à la tire". Je me suis reconnu dans cette détermination.
EN : Le personnage de L’assaillant, comme celui de La sangre brota, a besoin de "passer à l’acte", d’utiliser la violence pour évoluer. Pourquoi ce processus ?
PF : Ca vient de quelque chose que j’ai découvert il y a peu de temps : comment la nature profonde de chacun revient toujours à la surface. Aujourd’hui, dans nos vies, on a un travail et des obligations, tout est "monotisé". Or nous ne sommes pas fait pour ça. Nous sommes faits pour s’accaparer les choses fortes qui viennent de notre nature profonde. C’est le cas dans beaucoup de films et de personnes. Ce que j’ai voulu faire, c’est mettre deux personnes dans l’obligation de montrer leur face cachée, de mettre à nu ce versant-là de leur for intérieur. C’est très clair dans la Sangre brota : le personnage est dans l’obligation de révéler et de reconnaître sa face obscure, il ne peut la nier.
EN : Il y a un autre point commun entre les deux films, c’est qu’ils mettent en scène des hommes d’une cinquantaine, voire soixantaine d’années, à un moment de transition dans leur vie. Or, vous êtes très jeune, en apparence assez loin de ces considérations. Qu’est-ce qui vous intéresse dans ces personnages ?
PF : Le premier long métrage que j’ai écrit il y a huit ans mais que je n’ai pas réalisé, je pense maintenant que je ne le réaliserai jamais, mettait déjà en scène un protagoniste dans la soixantaine, perdu, et à la recherche d’une revanche sur la quotidienneté. C’est quelque chose qui m’a toujours interpellé. Dans tous mes scénarios, il y a ces personnages-là qui ont déjà eu une vie et espèrent en entamer une nouvelle parce qu’ils ont une grande soif de revanche. Il y a cette sensation de repartir à zéro, de remettre les choses à plat. Je l’ai personnellement fait plusieurs fois et mon expérience m’a prouvé que chaque remise à zéro engendre un état compulsif. Contrairement aux gens qui sont "terre à terre", je trouve plus serein de faire le ménage et de recommencer. C’est quelque chose qui me fascine. Il y a une énergie incroyable qui se dégage à ce moment-là, comme dans un moment de crise ou de saut dans le vide.
EN : Que répondez-vous à ceux qui réduisent votre film à un simple exercice de style ?
PF : Je ne réponds pas, je filme. Ca ne fait pas partie de mon travail de répondre aux remarques des gens. Je ne suis pas un inconditionnel du débat ou du fait de parler de mes films. Je suis un homme d’action, pas de discussion. De mon point de vue, mes films se suffisent à eux-mêmes. Mon prochain projet, je le vois comme un projet, pas comme un film. J’aimerais supprimer les codes, enlever le titre et le générique, toute la fioriture qu’il y a autour des films d’habitude. Que les gens voient simplement un début, un milieu et une fin. Je compare cette envie à un livre sans couverture ni cartonnage, où il y aurait justes les pages. Mais ça reste une idée, ça ne signifie pas que je ne vais plus faire que ça jusqu’à la fin de ma carrière…
EN : Ces envies sont-elles une réaction aux films que vous voyez en salles ?
PF : Non, c’est juste que j’aime l’expérience que vit la salle, les réactions du spectateur. Mais j’aime moins les réactions post-projections. Ca m’intéresse moins. J’ai envie de proposer des choses plus déconcertantes, comme L’assaillant. Au spectateur de compléter les blancs et les trous. Je veux l’emmener plus loin que là où il irait, mais sans tomber dans le trop contemplatif ou le très poétique. Je ne tiens pas à me présenter en tant qu’artiste avec un grand A ! Je veux juste raconter des histoires avec une certaine vitalité et un langage vivant.
EN : Le film traite du contexte social propre à votre pays, mais sans jamais en faire le sujet principal. Aussi dans quelle mesure diriez-vous que cette histoire reflète les difficultés de la société argentine ?
PF : Ce genre de choses ne se font jamais sur un plan conscient… Mais je ne suis pas complétement innocent de raconter des histoires qui ont quelque chose à voir avec l’actualité sociale du pays. Dans mes deux films, il s’agit d’individus extrêmement solitaires et individualistes qui répondent à leur manière à une situation sociale assez peu attirante. Personne ne veut faire partie d’une société comme celle-là. Moi je vis en immersion dans cette réalité-là, je ne viens pas d’une famille aisée, j’ai travaillé dans tous les domaines depuis que je suis en âge de le faire. Tous les jours je vois les gens dans la rue. Tous les jours je vois des actions qui mériteraient un film, que ce soit dans le métro, dans le bus ou dans le taxi. La Sangre Brota est rempli de scènes vues et vécues dans la rue. Je suis en prise directe avec la réalité. Des films qui traitent de ça en Argentine, il y en a vingt ! Mais je n’en ai encore vu aucun comme L’assaillant. En Europe, il y a l’exemple des frères Dardenne qui ont un point de vue qui se rapproche,. Mais attention, je ne me compare pas à eux, ce sont des poids lourds du cinéma !
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