Sara Forestier
Sara Forestier. Elle trouve que son nom est passe-partout, alors elle emprunte celui de Bahia BenMahmoud pour Le nom des gens. Rencontre avec une actrice nature et généreuse.



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 (c) Ecran Noir 96 - 24



La comédie humaine. Vêtue de noir, elle est lovée dans l’angle d’un canapé bleu nuit. Chez elle, dans le quartier Bastille. Si Muriel Combeau est avant tout pour les téléspectateurs la chic et ferme Gladys Dupré d’Avocats et associés, elle joue aussi régulièrement au cinéma et au théâtre. Je regarde son front bombé, la lumière trouble de son regard, son petit nez adorable et ses taches de rousseur qui retiennent l’enfance. Muriel possède la fantaisie débridée de Claudette Colbert et le romantisme félin de Simone Simon. À coup sûr, Jacques Tourneur (La féline) ou Robert Wise (La malédiction des hommes léopard) l’auraient aimée dans leur cinéma modeste d’épouvante des années 1940. En la rencontrant, je souhaite brosser le portrait d’une comédienne qui vit de son métier depuis près de vingt ans. Pas une star, mais une actrice s’exprimant sans langue de bois, avec un sens de l’humour qui replace les expériences à leur juste distance. Muriel Combeau ou la comédie humaine, très humaine…
Ecran Noir : Votre actualité est double. Hello Goodbye de Graham Guit et le très beau moyen-métrage de Cristel Delahaye Le bruit défendu.





Muriel Combeau : Si j’ai accepté de tourner dans Hello Goodbye, ce n’est pas pour la minceur très mince de mon rôle, mais pour le plaisir de découvrir Tel-Aviv que je ne connaissais pas. Et, en plus, en compagnie de Gérard Depardieu et de Fanny Ardant. Qui refuserait cela ?...

EN : Gérard Depardieu offre un contraste magique entre la masse pantagruélique de son corps et son timbre de voix si léger, si chantant, quasi féminin…

MC : C’est un Barbapapa sur jambes. Montres Un poète. Ce fut un rendez-vous très agréable. Mais vous savez, je ne suis pas du tout groupie. Donc, je ne suis pas impressionnée par les stars au point de perdre mes moyens.

EN : Aucune actrice ne vous a fait rêver enfant ?

MC : Si, Romy Schneider… Pas dans Sissi, mais dans L’important c’est d’aimer… Mais, seule l’humanité me bluffe et m’impressionne chez les gens que je rencontre. Acteur ou pas. Jean-Pierre Cassel, mon partenaire dans Double emploi de Bruno Carrière m’avait profondément touchée par sa générosité, son humour et sa gentillesse. Quelle élégance !

EN : Le bruit défendu de Christel Delahaye séduit par sa nuance. Son propos est d’une grande ambition : rendre palpable l’indicible et il y parvient parfaitement. Vous êtes de tous les plans dans ce moyen-métrage qui court les festivals. Il y a des cènes de silence que vous interprétez avec une belle subtilité. Je me souviens de la dernière séquence d’un épisode d’Avocats et associés. Vous étiez assise dans un restaurant. La caméra vous filmait. S’attardait sur le mouvement de vos mains, l’émotion changeante de votre regard. Il est de plus en plus rare au cinéma, et surtout à la télévision, de se nourrir de ces instants sans dialogues, sans musique intempestive, juste suspendus au-dessus du vide…

MC : Le tournage du Bruit défendu a été magique. Christel est d’une grande sensibilité et, d’emblée, son scénario m’a séduite parce qu’il était très bien écrit. Sa direction d’action pousse vers le « ne rien faire ». Je n’aime pas quand je vois « faire » un acteur. Cristel dirige ses comédiens comme un musicien. Il ne parle pas d’intention, mais souhaite juste entendre la musicalité qu’il a en tête. Une musicalité naturaliste à outrance. J’ai adoré ce travail instinctif, presque animal.

EN : À quand remonte votre désir de devenir comédienne ?

MC : Depuis l’âge de huit ans. Du plus loin que je me souvienne, j’ai toujours voulu jouer la comédie. Jamais je ne me suis posée la question de ce j’allais bien pouvoir faire dans la vie. Et, sans devenir une vedette, je n’ai pas cessé de travailler depuis l’âge de dix-huit ans. Comme quelqu’un qui a choisi une profession et l’effectue régulièrement, normalement.

EN : Normalement ?... Je ne sais pas, si je regarde votre filmographie pendant les années 1980. Vous tournez avec Gérard Oury, Patrice Leconte, Coline Serreau… Peu de jeunes comédiennes accèdent aussi rapidement à de telles productions. Golden Eighties de Chantal Ackerman est votre second film…

MC : Oui, un film kitch qui n’a pas très bien marché. Le grand bonheur, c’était de pouvoir tourner avec Delphine Seyrig et Charles Denner. Un homme gentil, très attentionné. Au déjeuner, il me racontait des histoires. Ne me demandez pas lesquelles parce que je n’ai pas de mémoire ! (rires)

EN : Golden eighties, qui rend hommage à l’oeuvre de Jacques Demy, est un film phare…

MC : Ah bon, phare ?... Pour vous, peut-être… Je ne sais pas. J’étais très insouciante à l’époque. Ce n’est pas parce que j’étais à l’affiche d’un film d’Ackerman que j’ai cherché à me montrer, à me faire remarquer. J’ai longtemps négligé les relations publiques. Pourtant, j’ai été prénomminée deux fois aux Césars, mais je n’ai même pas pris la peine de renvoyer mes bulletins de votes. Aujourd’hui, avec plus de maturité, j’ai compris combien être présente dans certaines occasions et entretenir des relations peuvent influencer le cours d’une carrière. Autrefois, je ne pensais pas du tout à cela. Vivre de ce métier me comblait totalement.

EN : Vous apparaissez ensuite en jeune mariée aux côtés de Michel Boujenah et de Richard Anconina dans Lévy et Goliath de Gérard Oury…

MC : Qu’est-ce qu’il était gentil ! Oury était très chaleureux, très tactile. Il ne pouvait vous parler sans avoir besoin de vous toucher. Il mettait sa main sur ma cuisse – en tout bien tout honneur, il aurait pu être mon grand-père ! – et me racontait des histoires. Je revois ses yeux de cocker à la Serge Reggiani derrière ses énormes lunettes. Bien qu’étant un ancien acteur, il n’était pas dans la séduction. Je l’adorais !

EN : Parlons de Romuald et Juliette de Coline Serreau où vous incarnez une secrétaire aussi mignonne que…

MC : Faux-jetonne, oui. Commence alors pour moi une longue série de rôles de méchantes !

EN : Ce sont les méchants qui font les histoires. Sans eux, pas d’intrigue possible… Cette fable avec Daniel Auteuil et Firmine Richard est toujours un franc succès lorsqu’elle repasse à la télévision.

MC : Alors que le film n’a pas rencontré un succès assez important pour vraiment lancer la carrière des seconds rôles de ce film. J’ai été très impressionnée par le courage et l’autorité de Coline Serreau. Une sacrée bonne femme qui dirige son équipe d’une main de fer et qui peut faire jusqu’à cinquante prises. Je me souviens que Firmine Richard en avait fait les frais… Face à cette exigence extrême, l’acteur doit avoir de la ressource. Je suis ressortie enchantée de cette expérience et du résultat à l’écran.

EN : Vous aviez vu ses premiers films ?

MC : Oui, vous vous souvenez de Pourquoi pas ! et de Qu’est-ce qu’on attend pour être heureux ?...

EN : Oui, oui. Jusqu’à Romuald et Juliette, je suis vraiment client. À partir de La crise, son cinéma devient moins fin, malheureusement plus démagogique. Mais le succès de Romuald et Juliette vous amène en 1990 à Rendez-vous au tas de sable de Didier Grousset avec Richard Gotainer. Un film un peu oublié aujourd’hui…

MC : Pourtant, je l’aime beaucoup. C’est mon rôle le plus important au cinéma. Rendez-vous… montre l’univers si singulier de Gotainer, à la fois foutraque et très personnel. C’est un film auquel je tiens.

EN : Vivre de la comédie pour une actrice ne s’inscrit pas seulement sur un écran de cinéma ou sur une scène de théâtre. Dans votre cas, une publicité pour les plats cuisinés Marie est synonyme de rencontre…

MC : Je me souviens encore de ma réplique : « Ce n’est pas parce que c’est déjà fait qu’il ne faut rien faire ! ». Cette pub avec Jean-Claude Dreyfruss, c’est le jackpot pour mon compte en banque puisque je suis payée à chaque diffusion. Pendant quatre ans, j’ai gagné ma vie grâce à ce spot TV. D’une façon moins pragmatique, elle me permet aussi de rencontrer le réalisateur…

EN : … Qui n’est autre que patrice Leconte et qui vous confiera deux rôles dans Tango et Félix et Lola.

MC : C’est à peine un rôle dans Tango. Juste une apparition avec une phrase à dire en extérieur, mais elle me permet de rencontrer Philippe Noiret. Je me rappelle qu’il ne cessait de pleuvoir. Impossible de tourner. Ce qui fait que je suis restée une semaine… à discuter dans la caravane de Philippe Noiret ! Ça jasait sur le tournage. Pourtant, nous ne faisions que parler ! Il était paternaliste. Mon personnage s’appelait Cindy. Le jour de la première, il s’est levé à fin du film et s’est exclamé en me cherchant du regard : « Mais elle où ma petite Cindy ? ».

EN : En parallèle, le théâtre arrive très vite dans votre carrière.

MC : Oui, très. J’habitais une chambre de bonne rue de Rennes. Un jour, j‘entends la voix d’Anémone sur mon répondeur qui me propose une audition. Je crois à une blague, et rappelle mes copines en les félicitant pour leur talent d’imitation. C’était bien Anémone à qui Jean-Louis Livi, mon agent d’alors, avait donné mes coordonnées. Et je me suis retrouvée sur la scène du théâtre du Splendid entre Anémone et Gérard Darmon pour Un caprice de Musset et On purge bébé de Feydeau. Le public venait voir une franche comédie et le spectacle commençait par le monologue d’une jeune comédienne inconnue qui ne le parle que de… bourses ! Les rires gras fusaient sur Musset. Ce fut, comment dire, une expérience… enrichissante. Le spectacle est resté six mois à l’affiche.

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