Sara Forestier
Sara Forestier. Elle trouve que son nom est passe-partout, alors elle emprunte celui de Bahia BenMahmoud pour Le nom des gens. Rencontre avec une actrice nature et généreuse.



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 (c) Ecran Noir 96 - 24



L’œil du témoin

Un film s’écrit, se tourne et se monte. Trois écritures pour un seul résultat à l’écran. La femme que je rencontre rédige depuis plus de trente ans la troisième version des oeuvres de Claude Chabrol. Chef monteuse images et son, Monique Fardoulis regarde la première et comme personne l’une des filmographies les plus subtiles, les plus marquantes du cinéma français.
Il fait beau ce jour-là. Chabrol fête ses cinquante ans de cinéma. Bellamy est d’ores et déjà un cru millésimé. Depardieu y est plus féminin que jamais. Elle m’attend devant un café dans la salle du restaurant des Studios de Boulogne-Billancourt. Blonde, les cheveux au carré, menue, élégante dans un jeans et une veste de fourrure noire. Quand elle me voit arriver, elle tourne son visage. Me sourit. À ce moment précis, si Monique Fardoulis voulait se faire passer pour la sœur de Mireille Darc, tout le monde la croirait !

EN : Passons à Betty. C’est l’univers de Georges Simenon comme Bellamy !

MF : Oui, j’adore. Mais là l’histoire de l’enfoncement de cette femme est tragique…

EN : Mais qui se régénère en entraînant une autre dans sa chute. Elle broie le personnage joué par Stéphane Audran pour mieux revivre. Il y a du cannibalisme cérébral dans ce film. Quand elle regarde les poissons dans l’aquarium avec cet air fasciné et ce sourire à peine esquissé sur ses lèvres, on se demande vraiment si Betty est une victime ou une carnassière…

MF : Au départ, elle est quand même une grande victime. Dans la séquence où ses enfants lui sont retirés, Marie Trintignant est seule à l’image et le contrat sordide que lui impose sa belle famille est lu en off. Dans le premier jet du montage, j’avais inclus un plan de coupe. Dès la première vision, Claude et moi nous sommes rendus compte qu’il ne fallait pas interrompre ce plan-séquence. Sa longueur et le silence de Betty glacent littéralement le sang. Marie Trintignant est absolument bouleversante parce que complètement démunie.

EN : En face de Marie Trintignant, Stéphane Audran ex-compagne et magnifique égérie de Claude Chabrol…

MF : Je montais les sons des films de Claude pendant leur grande période de cinéma. Je me sentais moins impliquée alors... Cela dit, je trouvais déjà Stéphane absolument sublime. Ce qui me plaît le plus dans son jeu, c’était cette sorte de décalage entre la parole et la pensée. Qu’elle soit une reine de beauté dans Le boucher ou La femme infidèle ou alors une mère horrible et castratrice dans Poulet au vinaigre. C’est quelqu’un qui possède un grand sens de la dérision dans la vie.

EN : Nous avons déjà beaucoup parlé de Bellamy. J’ai l’impression que ce commissaire pourrait devenir le nouvel inspecteur Lavardin...

MF : Ce sont quand même deux univers complètement différents, mais c’est vrai que ces deux flics sont si attachants qu’on a envie de les revoir. J’aimerais retrouver l’univers de Georges Simenon. J’adore ses livres : Le testament Donadieu, Oncle Charles s’est enfermé

EN : Le film est dédié aux deux Georges…

MF : Simenon et Brassens, oui.

EN : Depardieu y est exceptionnel. Quel ogre magnifique avec sa voix féminine, son jeu léger comme une plume…

MF : Quelle douceur ! J’espère que le rôle de Bellamy fera date dans sa carrière. Odile Barsky et Chabrol ont volé des choses à Depardieu pour l’écriture du rôle, mais j’y retrouve beaucoup Claude. Aurore Chabrol aussi dans le rôle qu’interprète Marie Bunel. La complicité entre elle et Depardieu ressemble vraiment à celle de leur couple… Je suis très contente de Bellamy. J’abordais ce film avec appréhension puisque c’est le premier film de Claude que je monte numérique. En le voyant, vous savez ce qu’il m’a confié ?... Que j’avais bien compris ce qu’il souhaitait faire passer. Il m’a dit : "Allez, je te donne… 19/20 !".

EN : Juste la moyenne en somme !

MF : C’est quand même pas mal ! J’étais très flattée, très heureuse…

EN : Avez-vous vent du prochain film de Claude Chabrol ?

MF : Claude ne parle jamais de ses projets. Un jour, je lui ai dit qu’il était superstitieux. Il s’est mis en colère en me disant que la superstition, c’était pour les cons ! (rires) Il me met souvent au courant de ses projets au dernier moment. Quand il m’appelle, c’est pour m’annoncer les dates de tournage. Si j’ai prévu des vacances, des sorties ou d’aller voir des amis, tout tombe à l’eau. Ma vie est irrémédiablement liée à celle de Claude Chabrol !


   Benoit

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