Sara Forestier
Sara Forestier. Elle trouve que son nom est passe-partout, alors elle emprunte celui de Bahia BenMahmoud pour Le nom des gens. Rencontre avec une actrice nature et généreuse.



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 (c) Ecran Noir 96 - 24



Dire qu’il avait abandonné le cinéma à la fin des années 80, suite à l’échec de son deuxième long métrage… Heureusement, lassé du monde de la pub, Carlos Sorin a fini par revenir à ses premières amours avec le magnifique Historias minimas, un road movie sensible et attachant au beau milieu de la Patagonie du Sud. Depuis, on suit avec bonheur l’œuvre passionnante et subtile de ce grand observateur de la nature humaine qui, avec la fenêtre, franchit un cap dans sa carrière sans rien perdre de son talent.
EN : Vos films sont optimistes, l’êtes-vous également ?

CS : Non, je ne suis pas quelqu’un d’optimiste. J’ai plutôt une vision pessimiste, ce qui me permet d’exprimer un certain humour. Cela ne veut pas dire que je n’ai pas de passion qui vaille la peine, peu importe pour quoi. Mais au fond, je suis un sceptique et un pessimiste. Je ne crois ni en l’au-delà, ni en l'enfer, ni au paradis, ni en rien.

EN : En l’être humain peut-être ?

CS : L’être humain ? Qu’est-ce que cela signifie ? (il réfléchit). C’est une idée ample, vaste, mais si, bien sûr. Ce qui est ancré en moi, c’est la précarité de l’être humain. D’où les personnages minuscules que je filme dans l’immensité des paysages de Patagonie. J’aime le contraste entre un homme en plein désert et ses interrogations sur comment redécorer un gâteau [dans Historias minimas]. Parler de la précarité des désirs n’enlève pas du tout le fait que c’est la seule chose qui vaille la peine.

EN : Vous aviez jusque-là une mise en scène proche du documentaire, très fluide, très réaliste. Cette fois-ci, tout semble plus lyrique, notamment la séquence d’évasion qui a des accents oniriques. Aviez-vous tout simplement envie d’expérimenter quelque chose ?

CS : C’est exactement ce que je me suis proposé de faire : parler de la seule chose dont un réalisateur puisse parler, de cinéma. Exactement comme un peintre parle de peinture. La fenêtre est vraiment un exercice sur le langage, la mise en scène est donc le point d’ancrage du film. Au contraire des films précédents, j’ai travaillé avec une caméra lourde qui a induit un cinéma plus classique. J’ai monté le film en même temps que nous tournions, pour voir ce que ça donnait. Ma plus grande préoccupation était le langage : avoir un tempo différent, élaborer une image différente de ce que je maîtrisais déjà. Par exemple, dans mes films précédents, il y avait un certain "négligé" dans l’image, c’était recherché. Là, c’est beaucoup plus construit. J’y ai pris énormément de plaisir ! On a énormément travaillé la bande-sonore. Par exemple, on a retiré la musique (il n’y en a plus que pendant le générique et au moment des souvenirs) afin de mettre en valeur les bruits de la maison et de la nature. Et puis mettre de la musique (par exemple quand le vieil homme marche très difficilement) aurait ressemblé à un effet facile dans ce film. Il y avait aussi de la musique au moment de la sortie dans les prés mais je crois que j’ai bien fait de l’enlever. A la place, avec l’ingénieur du son, on a travaillé les bruits comme une partition afin de leur donner un traitement non réaliste. C’est un autre souvenir d’enfance : quand on est au lit avec la grippe, on sait à l’oreille qui est dans la maison, à quel endroit, ce qu’il fait… Car l’ouïe n’a pas de limite. Dans le film, Antonio contrôle ainsi sa maison depuis son lit.

EN : Et puis il y a cette pendule qui fait un bruit de métronome…

CS : Oui bien sûr, c’est une métaphore évidente du temps inexorable et obsessionnel. En plus, c’est un hommage à mon maître, Bergman. J’ai cherché longtemps cette horloge car je voulais qu’on entende ce fameux "tic-tac" ainsi que les bruits des mécanismes. C’est une présence sonore plus que visuelle. C’est également une référence au cœur. Au moment où le personnage est sur le point de tomber, on entend les battements du cœur. Je n’ai pas pu m’empêcher de mettre cette métaphore un peu facile.

EN : Le film tout entier semble un hommage à l’un de vos films préféré, Les fraises sauvages de Bergman.

CS : C’est un film que j’ai vu par hasard quand j’avais 15 ou 16 ans. Il a représenté ma première rencontre avec le cinéma "adulte". Avant, je regardais surtout des westerns, des films de guerres… ce que produisait Hollywood. Et là, tout à coup, j’ai vu quelque chose de totalement différent. Au-delà du film, ce fut une rencontre avec un autre type de cinéma. A l’époque, il n’y avait pas de vidéo, donc je pouvais seulement voir les films lors des cycles de la cinémathèque. J’ai quand même vu le film de nombreuses fois et certains éléments sont restés en moi que l’on peut sûrement retrouver dans La fenêtre, notamment le thème de la solitude à la fin de sa vie, la relation père-fils, le fait de se réfugier dans les souvenirs d’enfance… Pour moi, c’est l’un des deux ou trois films les plus importants de Bergman. Je l’ai d’ailleurs revu après avoir écrit le scénario de La fenêtre et j’ai été surpris car mon film m’a semblé un quasi plagiat involontaire…


   MpM

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