Sara Forestier
Sara Forestier. Elle trouve que son nom est passe-partout, alors elle emprunte celui de Bahia BenMahmoud pour Le nom des gens. Rencontre avec une actrice nature et généreuse.



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Dans un bel hôtel du XVIe arrondissement de Paris, l’acteur réalisateur Albert Dupontel responsable des "cultissimes" Bernie ou Enfermés dehors, nous parle avec franchise, enthousiasme et conviction de son dernier long-métrage très réussi, le Vilain. Mais plus encore, il nous abreuve de cinéma, de mise en scène, d’écriture scénaristique et du plaisir qu’il a de jouer dans ses films. Rencontre avec un passionné, tout simplement.
EN : De la même façon votre implication physique, proche d’un Buster Keaton "déjanté", imprègne une dynamique dès les premiers plans, dynamique que vous gardez tout au long du film…

AD : Au début, en fait, j’ai commencé le film par l’arnaque du vilain dont il ne subsiste plus que quelques ébauches dans la bouche de Duquesne (Philippe Duquesne). J’ai tout tourné. D’ailleurs la productrice estimait que la scène n’avait rien à foutre dans le film. Et elle n’avait pas tort. J’ai pourtant tout tourné et tout était beaucoup plus long. Bref, j’ai commencé le film comme cela et, au montage, il m’est apparu que le film débutait réellement lorsqu’il retournait chez sa mère. C’est le vrai sujet du film. Toc, toc, petite maman (rires).

EN : En fait, on se moque un peu de ce qui s’est passé avant. Le mystère sert le film…

AD : On voit bien que le mec n’a pas que des copains. Le fait d’arriver chez sa mère après la course dont tu parles (le vilain danse sur les toits, ricane, jubile…), et bien que cela soit insignifiant dans le scénario, prend une force monstrueuse à l’image. Là, tu n’as plus besoin de raconter l’arnaque du début. J’ai deux jours de tournage qui ne servent à rien. En même temps ce savant échafaudage m’a permis de personnaliser "monstrueusement" le vilain. A l’écriture, j’aime commencer comme cela. C’était inutile à filmer mais très pertinent pour caractériser le vilain. Car s’il est capable de faire un braquage, il est capable de cogiter des plans dans sa chambre, de se déguiser en petit vieux vers la fin. Tu vois, s’il y a eu des trucs utiles à écrire tout n’est pas utile à jouer. Par contre cela m’a conduit sur d’autres pistes bien plus intéressantes. C’est pour cela qu’il faut être très prudent et toi ou des collègues à toi quand vous me dites "on sent que…", moi je sens rien du tout. J’ai fait ce que j’ai pu et je me retrouve avec un truc à l’arrivée, un folklore avec lequel je suis très sensible.

EN : L’univers du film est très coloré avec des tons chauds, un humour grinçant, des quiproquos et des règlements de compte. Dans ce contexte l’art du masque à son importance…

AD : Cela contribue à la fantaisie filmique tout en amenant de la légèreté. En premier je tiens à saluer la performance de Catherine qui apporte quelque chose de très humain. Par la farce tranquille de son personnage, elle ralentit des choses qui étaient parfois un peu speed (pour tenir compte du vilain). En fait ce mec là (le vilain) arrive dans une espèce de "glue guimauvesque" qui l’empêche de hurler, de rire et de tempêter comme d’habitude. Il se retrouve bloqué. C’est un cocon qui se referme sur lui.

EN : Le personnage principal c’est plutôt elle, non ?

AD : Ah mais oui, car c’est dû à l’histoire, celle d’une vieille dame. C’est un personnage plutôt intelligent, naïf mais intelligent alors que le vilain est malin mais un peu con.

EN : Justement, pourquoi avoir choisi Catherine Frot pour incarner cette vieille dame ?

AD : Car elle est exceptionnelle…

EN : Vous aviez déjà joué avec elle n’est-ce pas ?

AD : Oui, sur Odelette tout le monde. Et j’ai vu chez cette actrice réputée et connue, une grande folie que je ne soupçonnais pas et qui m’intéressait forcément beaucoup. Quand j’ai écrit le scénario je pensais justement à un personnage genre Catherine Frot avec 30 ans de plus. Cela m’a aidé à finir le scénario. Je la positionnais bien dans ma tête et quand le scénario a été terminé, je me suis dis, comme je la connaissais bien, qu’il y avait peut-être un truc à faire avec elle. De toute façon si elle acceptait j’étais sûr qu’elle ferait monter le film en fantaisie. Elle l’a lue et elle m’a dit : « c’est quelque chose ton truc… ». On a commencé d’un commun accord à faire des essais en sachant que si on ne trouvait pas la vieille dame ensemble nous n’insisterions pas. Je ne voulais pas la contraindre mais elle a pris du temps, fait des essais. Au final, elle amène une valeur ajoutée au film par son humanité, par sa malice, son jeu, son peps…et tout ce dont elle est capable de faire au-delà du grimage même, par son jeu tout court.

EN : Elle agit comme un contrepoids idéal…

AD : C’est un contre pouvoir. C’est une farce, une fable, un ton que j’assume totalement. Tu vois, au début, il y a un petit travelling sur les photos se terminant sur le visage de Catherine Frot. A ce moment, si les spectateurs ne l’acceptent pas, c’est mort. C’était vraiment le gros risque. Mais, ouf, on l’accepte tout de suite (rires).

EN : Au-delà de vos personnages secondaires tous très bien croqués, pouvez-vous nous dire un mot sur Pénélope ?

AD : C’est une façon d’augmenter le folklore du film. En fait, il s’agit d’un animal domestique (une tortue) qui pouvait être vivant lorsque le personnage du vilain reviendrait 20 ans après. Et il n’y en avait pas 36. De plus, quand on la voit on comprend pourquoi elle en veut aussi au vilain. Ce qu’on peut dire c’est qu’elle sait lire et qu’elle est rancunière (rires). C’est un truc, tu vois, dans le scénario. Je me disais, au pire, si cela ne marche pas je couperais. Mais au vu du résultat… Y a des tas de choses comme cela que j’ai envie de faire, qui m’amuse. On s’est rendu compte que le truc avec la tortue était super efficace. Dans les projections test, il s’agit du personnage favori du public.

EN : Pourquoi avez-vous choisi de tourner dans la cité jardins de la ville de Stains ?

AD : J’ai tourné Bernie à Stains, dans une cité assez chaude…(il cherche le nom)

EN : Le Clos Saint-Lazare

AD : Oui. On y avait tourné la scène du fleuriste dans Bernie. J’y suis donc retourné car je voulais voir ces petites maisons. C’était super entretenu, un peu irréel, avec une patine jaune d’un autre temps. Cela m’a toujours obsédé. Pour moi c’est super motivant d’intéresser les gens au motif réel des personnages et pas forcément en s’appuyant sur des repères archiconnus.

EN : Cela vous a aidé, en fin de compte, à installer l’univers du film…

AD : Tout à fait. Avec ces petites maisons, ces jardins, son ambiance…

EN : Vous portez une double casquette (réalisateur/acteur). Pensez-vous un jour réaliser un film sans jouer dedans ?

AD : Cela fait deux films que j’attends cela. C’est vrai que je connais par cœur mes personnages, mais ce serait quand même dommage de se priver d’un gars un peu connu qui peut faire un effort pour le film.

EN : Est-ce si difficile de faire jouer un autre acteur à votre place ?

AD : Non, j’aurais pu, je pense. En même temps y a un truc que cela apporte, c’est un surcroît de fatigue mais aussi de complicité avec les autres acteurs. Indiscutablement, j’obtiens beaucoup, beaucoup, beaucoup… On joue devant la caméra ensemble. Ce n’est pas rien. Je ne suis pas le gars qui donne des indications depuis le combo. Je transpire avec eux, je balbutie, je perds mon texte. Je ne suis pas chef d’orchestre, je suis un des musiciens de l’orchestre. Il y a un côté collectif qui aide beaucoup le film et je suis sûr d’avoir beaucoup obtenu de mes acteurs parce que je mouille ma chemise avec eux. Sinon, il y a deux ou trois acteurs qui me font envie, un certain français et d’autres étrangers. Je suis sur un sujet, j’attends une ouverture pour m’approcher de ces gens qui possèdent une fantaisie comme Catherine, qui m’intéresse et que je ne pourrais pas moi-même formuler. Là je le ferai avec plaisir. C’est simplement une question d’opportunité.

EN : Un nouveau challenge, une nouvelle carrière…

AD : Je cherche l’opportunité. Cela va se faire, c’est évident. Le jour où je serai arrivé à cela, je serai là où je veux être depuis longtemps.

EN : Vous savez que Woody Allen ne s’y est mis que tardivement…

AD : Il y revient de temps en temps. Peut-être que je n’ai pas assez confiance en tant qu’auteur.

EN : En définitive, n’avez-vous pas tout simplement fait le tour avec ces quatre films ?

AD : Je ne sais pas, je n’en sais rien. Pas forcément. En plus je fais des "trucs" qui sont très dramatiques quand je suis chez les autres. Par mes films, j’ai l’occasion de faire le guignol car je ne fais pas de comédies en tant que simple acteur. J’espère que celui-là me permettra d’en faire un autre.


   geoffroy

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