(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Sara Forestier, révélée par l'Esquive d'Abdellatif Kéchiche en 2004, pour lequel elle a obtenu le César du meilleur espoir féminin, donne l'impression de faire partie du paysage cinématographique français depuis plus longtemps, tant elle enchaîne les projets et les challenges. On l'a vue chez Michel Deville (Un fil à la patte), chez Bertrand Blier (Combien tu m'aimes ?), dans la sulfureuse adaptation du roman Hell (Bruno Chiche), mais aussi au théâtre (L'autre de Florian Zeller, Confession d'une jeune fille de Marcel Proust, La nuit de l'iguane de Tennessee Williams). Elle est également passée derrière la caméra pour réaliser un court et un moyen métrage. Toujours là où on l'attend le moins, bien décidée à ne pas se laisser enfermer dans des rôles de jeune première, elle revient à l'affiche du Nom des gens de Michel Leclerc, où elle incarne Baya BenMahmoud, une jeune femme extravertie et idéaliste qui convertit ses ennemis politiques en couchant avec eux. Avec Jacques Gamblin, elle forme l'un des couples les plus attachants mais aussi les plus décalés de l'automne. Rencontre en toute simplicité avec une actrice à qui les défis ne font pas peur.
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EN : Est-ce que jouer un personnage très libre et très maladroit représentait un challenge pour vous ?
SF : Oui, c'est-à-dire que ce qui me plaisait, c'est que le personnage était complexe et profond, avec plusieurs couches : le conscient, l'inconscient, le subconscient. Même son rapport à son corps n'est pas simplifié. Elle souffre d'un traumatisme parce qu'elle a été victime de pédophilie, donc son corps souffre de ce traumatisme, et en même temps elle utilise son corps comme un moyen pour convertir ses ennemis politiques. Et puis il y a une part d'inconscience, puisque sans le faire exprès, elle oublie de s'habiller. Elle se retrouve nue dans la rue et dans le métro. Baya a beaucoup de conviction, c'est un peu une soixante-huitarde. Elle est idéaliste et très engagée politiquement. Elle fait l'amour pas la guerre, et elle l'applique concrètement puisqu'elle fait l'amour avec des hommes de droite pour les convertir à la gauche. Tout cet aspect-là du personnage pouvait donner lieu à quelque chose de volontariste, alors que c'est pas du tout le film et c'est pas du tout le rôle. Et justement, par toutes ces nuances du rapport à son corps, ça la rend humaine. C'est pas wonder woman, c'est pas une héroïne. Elle a quelque chose de profondément libre qui donne envie, mais en même temps elle a des faiblesses et des maladresses qui la rendent humaine. Et c'est à l'image du film : je trouve que le film est un peu comme le personnage de Baya, il déborde, et ça fait tout son charme. C'est un film généreux, du côté de la vie. Je trouve que Michel a eu une bonne idée en prenant un personnage de soixante-huitarde et en la plaçant à notre époque qui n'est plus du tout une époque d'idéalisme. Ca crée une espèce d'anachronisme dans les situations.
EN : Pour rebondir sur les scènes de nudité, n'en avez-vous pas marre que tout le monde vous parle précisément de ces scènes-là ?
SF : Non, parce que les gens retiennent beaucoup ces scènes pour leur côté incongru. Il y a beaucoup de films français où les actrices sont nues, mais c'est dans des chambres et pour des scènes pseudo-érotiques. Et là, ce qui marque les gens c'est que c'est une scène de nu burlesque. Ce qui les surprend, c'est que ce soit dans le métro. Le côté incongru les fait rire. Moi ça ne me gêne pas du tout. C'est assez rare de pouvoir rire en étant nue ! En tant que comédienne, c'était une scène assez rare à faire. Et c'est assez jouissif de voir le résultat.
EN : Lors d'une interview à Arras où le film était présenté, Jacques Gamblin disait que ce qui lui avait plu dans le scénario, c'est son aspect risqué. C'est aussi ce qui vous a plu ?
SF : C'est vrai, j'aime les personnages pas évidents, gonflés, qui sont toujours sur le fil. Sinon c'est trop simple. S'il suffit d'être émouvante, ça m'ennuie. Je n'ai pas envie d'être simplement juste. Je préfère être audacieuse et aventurière que juste.
EN : Quitte justement à ne pas être juste ?
SF : On n'est plus dans un souci de justesse. On est dans un souci de créativité et c'est très différent. Je n'aime pas la demi-mesure. Le côté tiède, ce n'est pas stimulant.
EN : Quelque part, vous vous êtes sentie proche du côté "aventureux" du personnage...
SF : Non, parce que pour elle c'est plus lié à des idéaux et à un côté inconscient, débordant. Elle est beaucoup plus libre que moi. Donc je ne me suis pas identifiée à elle. C'est plutôt un personnage qui donne envie d'être comme elle par sa liberté et sa générosité.
EN : En plus de votre carrière au cinéma, vous avez réalisé des courts métrages et jouez souvent au théâtre. Qu'est-ce qui vous donne envie d'aller dans toutes ces directions ?
SF : L'envie d'ouvrir des portes. Le théâtre me permet d'ouvrir des portes dans mes possibilités d'actrice. D'essayer des choses, justement pas tièdes. De découvrir de nouveaux terrains à conquérir. De nouveaux tons, de nouveaux styles de jeu, des nouvelles libertés, de nouveaux obstacles.
EN : De nouveaux univers, aussi...
SF : Oui, voilà, exactement. En attaquant le gâteau par plein de côtés, c'est une manière complémentaire pour moi de ne jamais mettre mes oeufs dans le même panier et de pouvoir toujours ouvrir des portes. ET si ce n'est pas dans une direction, je ne suis pas bloquée : ce sera dans une autre. Je veux toujours stimuler ma créativité et éviter l'ennui.
EN : L'expérience derrière la caméra, ça vous a plu ? Vous avez envie de recommencer ?
SF : Oui, ça m'a plus. Je ne peux pas trop en parler maintenant, mais j'espère. Je sens vraiment le besoin de raconter des histoires, de laisser s'exprimer mon imagination.
MpM
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