Sara Forestier
Sara Forestier. Elle trouve que son nom est passe-partout, alors elle emprunte celui de Bahia BenMahmoud pour Le nom des gens. Rencontre avec une actrice nature et généreuse.



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Venu présenter son dernier film, Les émotifs anonymes, au public du Festival international du film d'Arras, Jean-Pierre Améris (Les aveux de l'innocent, Mauvaises fréquentations, C'est la vie...) s'est livré avec simplicité et gentillesse au jeu des questions-réponses. Il a notamment reconnu avoir mis beaucoup de lui-même dans cette histoire où deux grands timides (Isabelle Carré et Benoît Poelvoorde) tombent amoureux l'un de l'autre sans oser se l'avouer... Rencontre avec un hyper-émotif qui relève avec panache tous les défis qu'il se lance.
EN : D’ailleurs, dans le film, les personnages surmontent leurs peurs… et se rendent compte qu’il ne leur arrive rien d’affreux.

JPA : Mais la peur c’est vraiment ça, c’est l’irrationnel ! Par exemple, je n’ai jamais aimé entrer dans un endroit où il y a beaucoup de monde parce que je me dis tout de suite, tout le monde va dire "ouah, il fait 2 mètres !" alors que la plupart du temps, les gens s’en fichent… et puis finalement ils peuvent bien penser ce qu’ils veulent ! Je fais presque deux mètres, c’est vrai. Le tout c’est arriver à s’accepter. Mais on me l’a tellement dit depuis l’enfance, le coup de la taille, de la différence, que finalement ça pèse ! Mais il faut admettre que ce regard des autres, au fond, il est rarement mauvais. Et puis il faut en faire un allié. Quand on naît timide, on le reste toute sa vie, mais il faut en faire un allié, et presque un truc excitant. "J’ai peur mais je vais le faire", comme quand on était enfant. Moi, c’est ce qui m’a donné la force de faire du cinéma. Ca m’a toujours filé la trouille, mais je le fais. Ou présenter le film ce soir. Je suis terrorisé mais je vais le faire, je ne suis pas comme les personnages à m’enfuir par la fenêtre… et je sais que je serai content de l’avoir fait.

EN : Ce qui est amusant, c’est que vous prenez les codes de la comédie romantique à revers. Souvent, ce sont deux personnages qui se détestent ou qui n’ont rien en commun, et vous au contraire, ils sont assez semblables…

JPA : C’est juste. Le postulat de départ, c’était une histoire d’amour entre un homme et une femme qui sont tous les deux des hyper-émotifs mais qui ne le savent ni l’un ni l’autre. On est dans le malentendu. Elle pense qu’il est fort, sûr de lui, presque rigide. Et lui est impressionné par elle. Ils ne se voient pas, littéralement. C’est ça qui était amusant à construire comme comédie. Dans le fond, ils sont tellement enfermés dans leurs peurs qu' ils n’arrivent pas à se parler. Ca tombe toujours à côté. On a tous connu je crois des diners vaguement amoureux où ça ne prend pas. Ca ne communique pas. On a beau comme Isabelle carré dans le film avoir préparé des sujets, ça tombe à plat. Et c’est ça que raconte le film : comment ils vont réussir à se retrouver autour d’une passion commune. Ca aurait pu être le cinéma, comme moi, mais là c’est le chocolat. C’est quand même le fait d’avoir quelque chose en commun qui les réunit.

EN : Quand on regarde le casting, le choix de Benoît Poelvoorde ne semble pas immédiatement évident pour ce type de rôle…

JPA : J’ai vraiment écrit d’abord pour Isabelle Carré avec laquelle j’avais tourné maman est folle il y a trois ans. J’ai trouvé en elle une sorte d’alter ego : on a beaucoup de points communs et je me retrouve en elle. D’ailleurs, dans le film, il y a pas mal de choses qui viennent d’elle parce c’est quand même une grande émotive. Par exemple, le fait de chanter quand elle a la trouille, c’est une chose qu’elle m’a donnée. Benoît Poelvoorde, j’avais aussi pensé à lui à l’écriture déjà parce que je trouvais qu’il formait un très beau couple avec Isabelle carré dans Entre ses mains d’Anne Fontaine et puis j’étais sûr que ça lui correspondait !
Vous savez, un hyper-émotif, c’est pas forcément quelqu’un qui est passe-muraille et qui est toujours dans son coin. Un Benoît Poelvoorde qui entre et qui va faire marrer toute l’assistance est un hyper-émotif. Un Hyper-émotif n’est pas forcément timide ou inhibé. Comme on le voit dans le film, c’est quelqu’un qui a un fort désir d’exister mais qui en même temps a un verrou. De ce tiraillement entre le désir et la retenue, ça crée des gens qui sont comme des bombes humaines. C’est ça qui me plait chez Benoît Poelvoorde, c’est qu’il a une vraie énergie. Et il dit qu’il y a quand même beaucoup de lui-même dans le film. C’est le paradoxe du comédien, vous savez… Beaucoup de comédiens sont de très grands timides. Philippe Noiret le disait, par exemple.

EN : Il y a une esthétique très particulières dans le film, presque surannée, notamment dans les tenues d’Isabelle Carré…

JPA : Le film est très nourri de cinéma. J’ai passé ma vie au cinéma et j’ai toujours aimé les comédies romantiques. Les films auxquels j’ai pensé, c’est par exemple The shop around the corner d’Ernst Lubitsch. Pour Isabelle Carré, j’avais en tête Ginger Rogers qui est une merveilleuse actrice, pas seulement pour la danse mais pour la comédie (Mariage incognito). Et pour lui j’avais James Stewart en tête. Vous savez, quand il jouait les grands dégingandés, un peu maladroits. Donc c’est nourri de ce cinéma-là et j’avais envie de recréer (comme chez Lubitsch mais, attention, sans prétention) un petit monde un peu décalé de la réalité. Aussi parce que les hyper émotifs ont un regard très poétique : pour eux, tout est un peu inquiétant, curieux. Je voulais que le spectateur ressente ça. Que ça nous sorte de la réalité pour nous plonger dans le monde des émotifs. Pour eux, le monde est comme un petit théâtre et simplement, c’est assez difficile de monter sur scène pour jouer. Ils restent dans la coulisse. C’est comme si tout le monde jouait son rôle sur la scène de la vie, sauf eux.




   MpM

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