Sara Forestier
Sara Forestier. Elle trouve que son nom est passe-partout, alors elle emprunte celui de Bahia BenMahmoud pour Le nom des gens. Rencontre avec une actrice nature et généreuse.



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LECONTE OU LA BIENVEILLANCE EMOTIONNELLE

En ce jour de printemps, l’été devance l’appel. Dans le quartier Montparnasse, Patrice Leconte m’attend dans son bureau perché sous les toits. Une rencontre au sommet où il est question de Riva Bella, son dernier roman, de J’arrête le cinéma, un entretien passionnant mené par Hubert Prolongeau, et de Voir la mer, le film de la renaissance.

Sur le balcon, nous avons admiré la Tour Eiffel et pensé en même temps au symbole des Films du Carosse, l’ancienne société de production de François Truffaut. Le cinéaste de Une belle fille comme moi condamnait ses échecs. Le réalisateur de La fille sur le pont revendique son amour du succès. Attitude suspecte dans un pays qui toise la réussite ?... À ces mots, Patrice Leconte s’anime. Une étincelle jaillit dans son regard. Son physique d’oiseau tombé du nid s’enhardit, déploie toute son ampleur. Celle de la passion pour le cinéma !

EN : Le réel optimisme de Voir la mer s’exprime par sa sensualité. Pourquoi les trois héros ne se retrouvent-ils jamais dans le même lit ?

PL : Lors de la séquence du concours du Petit Beurre, c’est le personnage de Pauline qui gagne. Elle demande aux garçons de faire l’amour à trois. Elle leur dit même : « Mais où est le mal ? Vous êtes frères ! ». Puis, elle se ravive en riant. Je ne sais toujours pas à ce moment-là si l’héroïne est sérieuse ou non. Et si les frères avaient acquiescé ? Que serait-il arrivé ?...

EN : Un autre film à l’esprit moins initiatique, plus proche de l’expérience sexuelle de la trentaine, âge réel de vos personnages…

PL : Je n’aurais pas pu réaliser Voir la mer quand j’avais l’âge des personnages. Je n’aurais pas pu, ni su le faire il y a trente ans. Par manque de liberté et de recul nécessaires à la juvénilité qui imprègne le film. J’ai adoré travailler avec Pauline, Clément et Nicolas parce qu’ils me faisaient confiance comme à un grand frère. Je pense que le résultat aurait été différent si j’avais eu leur âge…

EN : Clément Sibony, un brin macho, ne semble pas né de la dernière pluie. Nicolas Giraud, son cadet, est une "jeune peau" au regard ébahi qui semble découvrir le monde…

PL : Nicolas possède une puissance d’émerveillement qui, à priori, n’est pas en adéquation avec ses trente ans. L’intrigue de Voir la mer pourrait être vécue par une fille de 18 ans et par deux frères dans la vingtaine. Ils ont dix ans de plus que ne le voudrait la convention. Je ne voulais pas enfermer l’histoire dans l’émoi adolescent. L’enthousiasme qui, je l’espère, parcourt le film, s’empare aussi des gens de trente ans.

EN : Cette entorse à la convention est le tour de force du film. Elle lui offre le côté atemporel si savoureux des premières fois. L’une des séquences particulièrement réussie est celle de la rivière. Vous montrez l’étreinte de Pauline avec Nicolas, mais vous éludez celle avec Clément. Pourquoi ?

PL : J’étais très embarrassé à ce moment précis du tournage car je voulais absolument éviter la notion d’abattage. Le côté "au suivant" m’était insupportable, me faisait horreur. Dans le film, ils ne baisent pas, mais font l’amour. Je fais durer les prémices du premier corps à corps, puis je pars sur la pointe des pieds pour éviter au spectateur la gêne du voyeurisme et l’ennui de la reprise.

EN : Dans Le mari de la coiffeuse, la sensualité est plus évoquée que montrée. Dans Le parfum d’Yvonne, c’est l’inverse. Et dans Voir la mer ?

PL : Quand j’ai écrit seul ce scénario, j’ai désiré faire fi des clichés cinématographiques qui déshabillent les actrices en premier. Dans la clairière, c’est Pauline qui dénude Nicolas. Montrer le sexe d’un homme ou d’une femme n’est certes pas interdit, mais je n’ai jamais souhaité dans mes films dépasser la ligne jaune du bon goût. En montrant le sexe de façon trop frontale, j’aurais peur de devenir inélégant.

EN : La sensualité se déguise souvent dans votre filmographie. Dans le désordre, l’amour se fait avec des mots sur un divan de psychanalyste dans Confidences trop intimes. Les couteaux lancés dans la cible métaphorisent la pénétration dans La fille sur le pont. La sensualité se glisse entre l’ignorance animale d’Emir Kusturica et le savoir enseigné par Juliette Binoche dans La veuve Saint Pierre. Monsieur Hire propose aussi une certaine forme de sensualité…

PL : Monsieur Hire montre une sensualité corsetée, inassumée. Monsieur Hire est un personnage romantique, fiévreux avec un couvercle de plomb sur la tête. Il réprime ses pulsions, s’interdit l’amour.

EN : Il y a du Nosferatu de Murnau en lui. Le plan où Michel Blanc observe Sandrine Bonnaire s’apparente à l’expressionnisme allemand…

PL : La séquence de l’orage pendant laquelle Sandrine surprend Michel me fiche encore les jetons !

EN : Monsieur Hire et Le mari de la coiffeuse forment une éclipse. Les versants obscurs et clairs de la sensualité…

PL : François Truffaut prétendait qu’un film se fait contre le précédent en le remettant totalement en question. Après les zones si sombres de Monsieur Hire, il fallait que je m’échappe vers des zones plus lumineuses. Cela m’était indispensable.

EN : Vous évoquez Voir la mer comme une renaissance dans votre livre d’entretiens. Après La guerre des miss, vous aviez déclaré que vous arrêtiez le cinéma…

PL : Cela m’aurait été trop douloureux de partir sur La guerre des miss car je le considère comme une mauvaise note personnelle. Quel que soit l’avenir de Voir la mer, je pourrais me retirer avec ce film-là parce qu’il est tel que je l’ai rêvé.

EN : La volonté du départ tiraillée par l’enthousiasme du retour. Voir la mer traite ce thème d’une façon buissonnière…

PL : "Mon premier film après 27 !", c’est ainsi que j’aime le définir. L’équipe de tournage était composée de 14 personnes. Aussi nombreuse que celle d’un court-métrage ! (rires)

EN : Un film nomade à la lumière éblouissante signée Jean-Marie Dreujou…

PL : Jean-Marie est un grand complice qui connaît mon goût pour la lumière. Nous aimons nous retrouver de film en film bras dessus, bras dessous. J’adore la période des repérages. Avec le chef opérateur et le chef décorateur, nous nous demandons d’où proviens la lumière. Quand on obtient la réponse à cette question, nous pouvons commencer à imaginer, rêver sa trajectoire sur les personnages. Ces moments à trois sont magiques !

EN : La lumière de Voir la mer me fait penser à celle de Jeanne Lapoirie dans Les roseaux sauvages de André Téchiné…

PL : J’avoue que j’y ai songé aussi. Quand l’affiche a été conçue, j’ai dit : « C’est l’affiche hétérosexuelle des Roseaux sauvages ! ». La formule est un peu con, mais pour moi c’est un compliment.

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