(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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LECONTE OU LA BIENVEILLANCE EMOTIONNELLE
En ce jour de printemps, l’été devance l’appel. Dans le quartier Montparnasse, Patrice Leconte m’attend dans son bureau perché sous les toits. Une rencontre au sommet où il est question de Riva Bella, son dernier roman, de J’arrête le cinéma, un entretien passionnant mené par Hubert Prolongeau, et de Voir la mer, le film de la renaissance.
Sur le balcon, nous avons admiré la Tour Eiffel et pensé en même temps au symbole des Films du Carosse, l’ancienne société de production de François Truffaut. Le cinéaste de Une belle fille comme moi condamnait ses échecs. Le réalisateur de La fille sur le pont revendique son amour du succès. Attitude suspecte dans un pays qui toise la réussite ?... À ces mots, Patrice Leconte s’anime. Une étincelle jaillit dans son regard. Son physique d’oiseau tombé du nid s’enhardit, déploie toute son ampleur. Celle de la passion pour le cinéma !
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EN : Comment qualifieriez-vous votre rapport avec les acteurs ?
PL : De confiance sentimentale ! Quand cette vibration ne circule pas entre l’acteur, l’actrice et le metteur en scène, il manque un bras au film qu’ils font ensemble. Même si le rapport ne passe pas totalement par l’émotionnel, une confiance sentimentale doit s’instaurer pendant un tournage sinon le résultat est souvent bancal.
EN : Dans votre livre d’entretiens, vous évoquez votre cruelle mésentente avec Jean Rochefort sur le plateau de votre premier long-métrage : Les vécés sont fermés de l’intérieur…
PL : Si j’évoque ce différend avec Jean qui un être que j’aime énormément, c’est parce que nous nous sommes retrouvés ensuite sur six films. Je voulais lui prouver que je n’étais pas quelqu’un d’incapable.
EN : Vous êtes quelqu’un de fier ?
PL : Très. Je ne voulais pas qu’il reste sur une mauvaise impression. Je voulais lui prouver que j’étais un homme formidable ! (rires)
EN : Cette réponse vous va bien. Dans J’arrête le cinéma, il émane de vos réponses un mélange de modestie, de lucidité, mais aussi l’orgueil d’être aimé par toute l’équipe du tournage. Et cet amour, vous le réclamez encore au public quand le film sort !
PL : Franchement, vous connaissez des gens qui ne veulent pas être aimés ? C’est pour moi le service minimum du désir humain. Ce souhait nécessite de se comporter dignement afin que votre entourage vous apprécie. Quant au désir de succès, je l’assume à mort. Je ne parle pas de la notoriété, mais de la reconnaissance du travail effectué !
EN : François Truffaut qualifiait le cinéma d’art féminin. Cette définition vous convient-elle ?
PL : Absolument !
EN : Vous avez porté bonheur à deux comédiennes que vous avez retrouvé deux fois devant la caméra. Par ordre chronologique dans votre filmographie : Sandrine Bonnaire…
PL : Beaucoup d’autres metteurs en scène ont porté bonheur à Sandrine. Maurice Pialat en tête.
EN : Il y a chez elle une force chevillée à son corps et une paire de fossettes lumineuses comme des rayons de soleil qui conviennent bien à votre cinéma…
PL : C’est vrai que l’on s’aime beaucoup. Une belle confiance, une complicité règne entre nous. C’est une personne très rieuse. Je retourne avec elle quand elle veut. Quelle est l’autre actrice ?
EN : Devinez ?
PL : Ah, la fée Clochette !
EN : Évidemment !
PL : Vanessa Paradis ; elle est extraordinaire cette fille-là ! Comme Sandrine, elle dégage de la gaieté, une telle chaleur. Un acteur n’a pas le droit de ne pas être généreux. Il lui faut une guirlande derrière les yeux, de la magie dans le sourire. Vanessa a tout ça. Elle est frémissante d’énergie et de doutes aussi.
EN : Bonnaire et Paradis ont commencé très jeunes et ont accédé d’un coup à la célébrité…
PL : Et toutes les deux ont énormément souffert. Sandrine vient d’une famille au dossier lourd. Quant à Vanessa, elle était autant détestée qu’adulée à ses débuts. Tout comme Laetitia Casta !
EN : Vous avez tourné avec elle dans La rue des plaisirs…
PL : J’aimerais beaucoup recommencer. C’est une bonne actrice qui dégage une belle lumière. Une fille sans chichi, sans intellectualisme. Pendant le tournage de Voir la mer, Pauline Lefèvre m’a souvent fait penser à Laetitia. Elles possèdent la même nature instinctive.
EN : Si je vous surnomme le "Ang Lee français", le prendrez-vous mal ?...
PL : Je suis désolé, mais je connais mal le cinéma de Ang Lee…
EN : Comme vous, il réalise des films d’auteurs et d’autres plus populaires. Il écrit des scénarii originaux, mais accepte aussi de tourner les scripts des studios. Il n’explose pas les budgets des producteurs, fait preuve d’une grande maîtrise de la réalisation et les acteurs l’aiment beaucoup. Mais vous, vous avez un atout supplémentaire : vous êtes le cadreur de vos films !
PL : Oui, comme Claude Lelouch, Luc Besson et François Ozon.
EN : Au nom de toutes ces qualités, je pense que si vous aviez pu tourner Ridicule avec une économie américaine, le résultat n’aurait pas été très différent. C’est votre couronnement international, votre Brockeback Mountain à vous. Ridicule a monté les marches à Cannes avec éclat, a représenté l’Oscar du meilleur film en langue étrangère. Après un tel succès, je suis sûr que vous aviez le mental et les épaules pour conquérir Hollywood !
PL : J’ai reçu en effet plusieurs propositions des Etats-Unis. J’ai flirté plusieurs fois avec l’idée de prendre mes cliques et mes claques et de filer là-bas.
EN : Pourquoi avoir renoncé ?
PL : Pas pour la barrière de la langue. Jean-Pierre Jeunet a bien tourné son Alien sans parler Anglais ! (rires) En France, quand je réalise, je jouis d’une liberté quasi-totale. Alors qu’à Hollywood - à part posséder une grande piscine à Beverly Hills et une longue voiture décapotable - serais-je aussi heureux face aux exigences des studios ?... Au dernier moment, je me suis toujours ravisé. Pourtant, un projet américain a failli voir le jour au sein d’une production indépendante. Un remake de Monsieur Hire écrit par Paul Auster. J’ai beaucoup aimé travailler avec cet homme-là. Nous avions écrit un script qui me permettait de ne plus faire du tout le même film ! Hélas, le financement n’a jamais abouti. Il faudrait penser à un livre d’entretiens sur les projets non aboutis des réalisateurs avec, en illustrations, des extraits de scénario, des documents sur les repérages, les décors, les costumes… Ce serait passionnant !
EN : Un livre qui raconterait les pleins et les déliés de la carrière des cinéastes !
PL : Je plains mes déliés. Un très bon titre pour le bouquin !
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Riva Bella - Editions Albin Michel
J’arrête le cinéma - Editions Calmann Lévy
Voir la mer est à l’affiche depuis le 4 mai
Jean Rochefort a tourné 6 films avec Patrice Leconte : Les vécés étaient fermés de l’intérieur (1976), Tandem (1987), Le mari de la coiffeuse (1990), Tango (1993), Ridicule (1996), Les grands ducs (1996), L’homme du train (2002).
Sandrine Bonnaire a tourné 2 films avec Patrice Leconte : Monsieur Hire (1989), Confidences trop intimes (2004).
Vanessa Paradis a tourné 2 films avec Patrice Leconte : Une chance sur deux (1998), La fille sur le pont (1999).
Benoit
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