(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Brillante Mendoza, chef de file du cinéma philippin contemporain, est régulièrement sélectionné dans les grands festivals internationaux depuis le milieu des années 2000 : Le Masseur à Locarno en 2005, John John à Cannes et Tirador à Toronto en 2007, Serbis à Cannes en 2008, Lola en 2009 à Venise, Kinatay à Cannes en 2009 (avec un prestigieux prix de la mise en scène en prime), Captive en 2012 à Berlin, etc. . C’est donc fort logiquement que le festival international des Cinémas d’Asie de Vesoul lui a décerné son Cyclo d'honneur 2014, et lui a proposé de présider le jury international de sa 20e édition, qui proposait justement un regard sur le cinéma philippin.
Disponible et d’une grande simplicité, le cinéaste en a profité pour présenter une rétrospective de son travail, participer à une table ronde sur le cinéma de son pays, et aller à la rencontre des festivaliers. L’occasion de l’écouter parler avec énormément de précision de son travail minutieux de mise en scène, des sujets qui l’inspirent, ou encore de l’état actuel du cinéma philippin indépendant. Rencontre passionnée et passionnante.
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Ecran Noir : Lorsque l’on regarde vos films, on a l’impression qu’ils sont improvisés, ce qui n’est pas du tout le cas. Pouvez-vous nous dire quelques mots sur votre méthode de travail ?
Brillante Mendoza : La plupart de mes films sont basés sur des histoires vraies. J’essaye d’adapter ces histoires de la manière dont j’aimerais les voir dans la réalité. Par exemple, si je pars de l’histoire de personnes en particulier, et si je vois les personnages en eux, j’essaye de les mettre dans le film, de transcrire leur vie dans le film. Ce n’est pas aussi simple que ce dont ça a l’air quand on regarde le film. Sur grand écran, tout simple improvisé, tout semble être exactement comme on le voit dans la réalité. Mais pour obtenir ce résultat, et le rendre réaliste, comme un documentaire, cela demande beaucoup de travail et de patience. Il faut s’appuyer sur différents éléments de réalisation, comme le son, la direction artistique, la mise en scène, le montage, et même la musique. Même si on tourne en temps réel, il faut d’une certaine manière tout recréer lorsque l’on réunit tous les éléments. Comment procède-t-on concrètement ? Dès le casting : on mélange des acteurs professionnels avec des amateurs. Je les laisse improviser beaucoup. Je ne leur donne pas le scénario, même si j’en ai un. Je passe beaucoup de temps à faire des recherches, et j’écris avec une équipe de scénaristes, mais on ne montre pas notre travail aux acteurs. Je leur donne juste les situations et je les laisse improviser. Je ne leur dis pas où sera placée la caméra pour ne pas les bloquer. Et pour ce qui est de la musique : je n’en utilise pas beaucoup. Si le film se suffit à lui-même, il n’y a pas besoin de musique. Je pense que la musique sert à mettre les scènes en valeur. Mais s’il n’y en a pas besoin, s’il n’y a rien à mettre en valeur parce que ça sonne déjà tellement vrai, j’essaye d’adapter le son et l’environnement. Mais j’utilise la musique comme un son naturel de l’environnement. Même chose avec la direction artistique : je veux que tout semble le plus vrai possible. Je n’aime pas que les acteurs portent des vêtements qui ne sont pas habituellement portés par les gens ordinaires. Parce que la plupart de mes personnages sont des gens ordinaires. Ensuite, cela dépend. Si le personnage a vraiment besoin de porter du maquillage, alors je fais maquiller les acteurs. Quoi d’autre… Ah oui, même dans le montage, j’essaye d’aller à l’encontre des règles. Normalement, quand on sort d’une école de cinéma, on apprend à suivre une série de règles de montage. Par exemple, si je filme votre visage, ensuite il faut montrer l’envers et filmer mon visage. Moi, je me contente de suivre mon instinct. De réfléchir à ce qui est nécessaire et à ce qui ne l’est pas.
EN : Pensez-vous également à la manière dont le public va recevoir le film terminé ?
BM : Je ne veux pas ignorer les spectateurs. Mais avant de penser à eux, je pense que c’est important d’être fidèle à ce que l’on ressent soi-même en tant que réalisateur. Je dois être sûr de communiquer mes idées et mes pensées comme je le veux.
EN : Vous parliez du son tout à l’heure : dans vos films, le son direct est souvent comme un personnage à part entière. Je pense notamment à Serbis, avec ses rues bruyantes…
BM : Quand on a montré Serbis à Cannes, il y a eu une réaction négative de la part de nombreux spectateurs qui trouvaient le film trop bruyant, justement. Ils trouvaient que le son était trop fort. Mais, vous savez, j’avais consulté un ingénieur du son, et il avait poussé le son très fort, ce qui pouvait sembler agaçant pour des Français qui n’ont pas l’habitude de la pollution sonore. Peut-être que c’était trop. Si vous êtes allé dans des endroits comme Manille, vous comprenez ce que je dis : c’est très loin d’être aussi calme qu’ici ! Ici, on n’entend rien ! A Manille, même à l’intérieur de votre chambre, vous pouvez entendre les gens crier à plusieurs rues de là. C’est cet environnement, cette vie que j’essaye de montrer dans mes films. Et comme vous le disiez, le son devient un personnage à part entière. Car c’est aussi l’endroit que j’essaye de montrer, pas seulement les personnages. Dans Serbis, même si on ne voit pas beaucoup les rues, on sait que les personnages sont au beau milieu de la ville, une ville très animée. Lorsque l’on ressent ça, on est encore plus troublé, pas seulement à cause du bruit, mais parce que l’on réalise qu’au milieu de ces rues bruyantes, il y a une vie qui continue, à l’intérieur du cinéma, à laquelle personne ne s’intéresse, voire que personne ne soupçonne ! C’est aussi quelque chose que je veux montrer.
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