Sara Forestier
Sara Forestier. Elle trouve que son nom est passe-partout, alors elle emprunte celui de Bahia BenMahmoud pour Le nom des gens. Rencontre avec une actrice nature et généreuse.



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Quatre ans après son film hommage à la nouvelle vague, Visage, qui réunissait Lætitia Casta, Jean-Pierre Léaud et son acteur fétiche Lee Kang-Sheng, le cinéaste taïwanais Tsai Ming-Liang revient avec Les chiens errants, une œuvre envoûtante et radicale pensée comme une succession de plans quasi fixes qui tentent de saisir le passage du temps. Un film exigeant qui se détache presque entièrement de toute narration pour aller vers un langage à la fois instinctif et sensoriel, et qui a valu au cinéaste le Grand prix de la dernière Mostra de Venise. Egalement honoré au Festival de cinéma asiatique de Deauville, où une rétrospective de ses films était organisée, Tsai Ming-Liang ne semble pas avoir perdu son sens de l’humour face à ce déluge d’éloges. Il parle avec légèreté de son nouveau film, de sa méthode de travail, et de cinéma en général, égratignant au passage certains tics de ses contemporains.
EN : Diriez-vous alors que c’est assez improvisé ?

TML : Pour moi, rien n’est improvisé. Mais en même temps, rien n’est programmé au millimètre près. Par exemple, je ne fais jamais de storyboard, ni de découpage. Tout ça est déjà dans ma tête quand je prépare le film, que je visite les décors, que je vois comment les comédiens se sont préparés. Le seul élément qu’on peut dire improvisé, ce sont les jeux d’acteur des enfants et des chiens. Mais je veux quand même avoir la maîtrise dessus. On ne peut pas les laisser courir partout. Il faut au moins définir le chemin parcouru, ou un espace dans lequel ils évoluent. Mais ils sont restés eux-mêmes, donc ils peuvent nous surprendre, mais dans un espace défini. Peut-être qu’on doit faire beaucoup de prises dans ces cas-là.
Par exemple, le dernier plan de 14 minutes dans la ruine. Je suis habitué à ne pas trop donner d’instructions aux acteurs, Donc ils sont arrivés, ils sont restés debout devant la fresque. Ils savent, avec leur âge, leur expérience vécue, avec nos complicités, ils savent ce que j’attends d’eux. L’actrice qui est devant, et l’acteur qui est derrière elle, ne se voient pas. Ils savent juste qu’ils sont là l’un derrière l’autre. On voit leurs visages. Moi, en tant que premier spectateur, j’ai vu que dans ces 14 minutes, il y a quelque chose qui a l’air vide. Mais j’aime cette séquence dans son ensemble. Le vide est un état de notre existence. On ne peut pas jouer, c’est la limite du jeu. Il y a des spectateurs qui ne supportent pas ! Mais heureusement, cette fois-ci, c’est moi le réalisateur, donc je vous oblige à voir ces 3 minutes de vide. A Deauville, je n’étais pas à la projection du film, donc j’ai demandé au vice-président comment le public a réagi à l’issue de la projection. Il me répond : "je vois vous dire la vérité : la moitié des gens sont partis. L’autre moitié sont restés parce qu’ils ont vraiment aimé le film." Moi je suis content d’entendre ça mais il y a la moitié des gens qui ne savent pas pourquoi j’ai eu le prix [un hommage lui était rendu par le festival] ! Il rit Et peut-être plus que la moitié !

EN : Justement, pensez-vous à ce que va ressentir le spectateur face à chaque plan ou est-ce en dehors de vos préoccupations ?

TML : Bien sûr, c’est dans mon esprit. Je pense que le public doit me ressembler… Ce n’est pas politiquement correct de dire que certains spectateurs sont basiques. Mais si on veut les tirer vers le haut, il faut leur donner quelque chose d’élitiste. Moi ce qui me préoccupe, c’est la sphère haute. C’est difficile à définir, un public. J’ai beaucoup de fans. Après deux ou trois films, ils m’ont lâché, et après ils sont revenus. Il y a aussi ceux qui ne sont jamais revenus… Il y en a qui m’en découvert avec mes derniers films et qui du coup regardent les précédents. C’est difficile de dire qui est mon public. Est-ce qu’il y a un public meilleur que l’autre ? C’est une question de rencontre. Il y a une adolescente indienne de 14 ans qui a vu Vive l’amour pour la première fois et qui m’a dit qu’elle était fan. Et puis il y a aussi un directeur d’université qui m’a dit qu’il n’avait rien compris… Ce n’est pas une question d’éducation. Un prof ne va pas mieux comprendre qu’une adolescente. Je fais un travail que les Européens ne font plus. Par exemple, c’est très courant de faire venir les enfants au Musée. Il n’y a pas besoin de faire des efforts particuliers. Naturellement, ils sont imprégnés de cette atmosphère artistique. En Asie, quand ils vont au cinéma, ils veulent connaître l’histoire sinon ils ne sont pas intéressés. A Taïwan, où je vis, la question ne se pose pas. Ce n’est pas "pourquoi le film est long, lent… ?" Mais on dit "je ne comprends pas". Est-ce que vous avez compris Mona Lisa ? C’est une question étrange… Donc j’ai pris la décision de mettre mes films dans les musées. C’est comme une sorte de blague : ce que je ne comprends pas, c’est de l’art…

EN : Dans les notes d’intention du film, vous dites que vous continuez à vous demander ce qu’est le cinéma et pourquoi faire des films. Vous avez trouvé une réponse ?

TML : Bien sûr ! C’est la lune ! Si l’on considère le cinéma comme un art au même titre que la peinture, l’architecture ou la sculpture, ils peuvent devenir une forme de lune. Mais surtout le cinéma, parce qui est important, c’est la contemplation. Par exemple, quand vous regardez un film, vous n’avez pas tant de "pourquoi" : vous l’aimez ou vous ne l’aimez pas. Superficiel ou profond. C’est pareil avec la lune : chacun peut la voir à sa manière. Et à différents moments, on peut la trouver différente. Mais elle n’a jamais changé. Elle renvoie le spectateur à lui-même. Je pense que mon cinéma est comme la lune qui donne un espace d’interprétation. C’est le plus grand art, je pense.


   MpM

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