Sara Forestier
Sara Forestier. Elle trouve que son nom est passe-partout, alors elle emprunte celui de Bahia BenMahmoud pour Le nom des gens. Rencontre avec une actrice nature et généreuse.



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 (c) Ecran Noir 96 - 24





Un charmant hôtel de la rive gauche parisienne. Mike Leigh installé sur un canapé, dans un coin du salon de thé. C'est l'automne à Paris et le réalisateur anglais, Palme d'or en 1996 pour Secrets et mensonges, attend nos questions. Il est bavard, curieux, cultivé, doté du fameux humour anglais. Mais il n'a pas sa langue dans sa poche. Ouvert au débat, mais l'esprit acéré. Avec lui, on évoque le cinéma, son film, Mr. Turner, et la peinture. Une rencontre forcément intimidante.
Écran Noir: Pourquoi avez-vous eu envie de faire un film sur l'artiste Turner?




Mike Leigh: Et bien tout d'abord, je suis, depuis longtemps, un grand fan de son travail, depuis 1996 plus précisément. Il faut savoir que je ne savais pas beaucoup de chose à propos de l'homme, je ne connaissais que Turner en temps qu'artiste. Pourtant, l'idée de faire un film sur lui me trottait dans la tête depuis longtemps, quand je venais de finir de tourner Topsy-Turvy. J'ai donc fait quelques recherches sur Turner, l'homme et non l'artiste.
Durant mes recherches, j'ai vu que sa personnalité était complexe. C'était un homme extraordinaire dans son travail. Il peignait des choses fabuleuses. Avec sa folie du détail, il semblait peindre des tableaux cinématographiques. Donc à votre question «pourquoi vous avez choisi Turner?» En fait, ce n'est pas vraiment Turner le peintre que j'ai choisi mais l'homme.

Écran Noir: Quelles sont vos affinités avec Turner?
Mike Leigh: Je pense que d'une façon objective, comme pour mon film Topsy-Turvy, j'ai le regard sur un artiste, un excellent artiste que j'apprécie. Mais aussi sur son humanité. D'une certaine façon je connais mes personnages, je connais Turner à l'extérieur et à l'intérieur.

Écran Noir: Comment avez-vous fait coexister le peintre et l'homme?
Mike Leigh: Il y a beaucoup de films à propos de peintres. Il y en a des bons, des moins bons et il y en a beaucoup d'horribles. Je voulais donc faire quelque chose d'autre. Un film sur les vrais gens. Mr. Turner est un film sur un homme qui a ce travail spécifique, un métier salissant qui va le conduire au plus bas. Ce que je voulais faire c'était un film avec l'esprit de Turner, la couleur de Turner et non simplement un film sur sa profession, sur ses peintures. Parfois vous avez l'impression de voir en lui, dans le film, et parfois de voir son art. D'où la particularité de la lumière et des couleurs du film. Vous avez l'impression d'être dans une de ses peintures, donc d'être dans son esprit.
Si vous connaissez mes films, vous connaissez mes principes, je me sens concerné par les gens, les endroits et les relations entre humains.

Écran Noir: Vous avez dit qu'il y avait beaucoup de films sur les peintres, qu'est-ce qu'un bon film sur un peintre pour vous?
Mike Leigh: Et bien...Peut-être le Pialat, celui sur Van Gogh. Il était vraiment bien. Le film sur Rembrandt par Korda également était très bien. C'était un Rembrandt en noir et blanc avec Charles Laughton. Et après, tant de films sont affreux que je préfère garder ça pour moi!

Écran Noir: Votre film montre également la manière dont Turner se retrouve au plus bas, comment il est passé de la célébrité au rejet. Comment expliquez vous sa chute?
Mike Leigh: Oh je ne sais pas s'il s'agit vraiment d'une chute. Cela dépend de la manière dont vous regarder cela. Quand on regarde de plus près, on peut voir ce qu'est devenu son travail. Il était abstrait pour l'époque. C'était un véritable révolutionnaire qui était aux antipodes des autres artistes de son temps. Il était même en avance sur son temps. Les gens se disaient qu'il devenait fou. Je ne pense pas qu'il ait chuté, je crois que c'est plus complexe que cela. Il a juste eu un mauvais moment à la fin de sa vie. Quand il est mort on se souvenait quand même de lui, même si les gens ne le comprenaient pas, comme par exemple la Reine Victoria qui trouvait ses peintures absurdes.

Écran Noir: Pourtant vous l'avez montrez très seul à la fin du film, à la fin de sa vie. Il n'a pas eu des grands obsèques?
Mike Leigh: J'ai choisi de ne pas montrer ça. Mais il a eu de grandes funérailles. Je préférais montrer Turner terminant sa vie avec cette femme qu'il aimait.

Écran noir: Vous-même vous êtes un artiste, n'avez-vous pas peur par exemple de vivre la même incompréhension face au public?
Mike Leigh: Non parce que je pense que je fais des films accessibles à tous. Mais il y a beaucoup de réalisateurs qui font des films qu'on ne comprend pas (rires). Je ne suis pas comme eux. Je fais des films sur les gens, des choses que l'on peut raconter, donc l'incompréhension n'est pas une de mes inquiétudes.

Écran Noir: Turner était inquiet mais fasciné par l'arrivée de la photographie, êtres-vous inquiet par le numérique, la 3D...?
Mike Leigh: Non pas du tout. D'ailleurs j'ai fait ce film avec une caméra numérique. Et c'était vraiment super. Je pense que la révolution digitale rend possible l'arrivée des jeunes réalisateurs dans le septième art. Je pense même que c'est le futur du cinéma. Tout cela est très positif.
Concernant Turner et la photographie, oui, il en était fasciné et je pense que dans un certain sens, il considérait cela comme un nouvel art. D'ailleurs, comme nous tournions avec une caméra numérique, à chaque prise on se demandait ce que Turner aurait pu dire. Je pense que c'est une excellente dédicace pour lui, il aurait aimé.

Écran Noir: Est-ce que c'est la caméra numérique qui transpose si fidèlement la magnifique lumière de ses tableaux?
Mike Leigh: Et bien nous avons passé beaucoup beaucoup de temps à regarder le travail de Turner. Je voulais que l'on ressente Turner, qu'on regarde Turner. Parfois on a vraiment l'impression de regarder sa peinture avec les couleurs. C'est en quelque sorte une expérience visuelle.

Écran Noir: Votre scénario n'est un récit classique pour un film biographique. Avez-vous écrit ce film avec des livres, des docuuments ou avez-vous inventé certaines choses? On repense à la séquence du bateau où il s'est attaché lui-même...
Mike Leigh: Turner a toujours dit ce qu'il faisait. Donc il s'agit d'une scène célèbre qu'il a vraiment vécue. Après, les récits peuvent changer bien évidemment. Je ne me suis pas dit est-ce vrai ou non, je m'en fichais. Je fais des film, c'est tout. J'ai voulu faire un film sur Turner pas sur ce qui lui est arrivé avec certitude ou non. Mais il y a beaucoup d'anecdotes réelles qui apparaissent dans le film. Des anecdotes très connues d'ailleurs, par exemple lorsqu'il fait cette marque rouge sur son tableau. Nous en avions la certitude car il y avait de nombreux témoins qui ont confirmé au fil des années ce qu'il avait fait ce fameux jour à l'Académie.
Vous pouvez faire des recherches pendant des années, lire beaucoup de livres, cela ne rend pas les faits vivants. Donc bien-sûr mon film est loin d'être un documentaire, c'est un film dramatique et subjectif.

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