Sara Forestier
Sara Forestier. Elle trouve que son nom est passe-partout, alors elle emprunte celui de Bahia BenMahmoud pour Le nom des gens. Rencontre avec une actrice nature et généreuse.



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 (c) Ecran Noir 96 - 24



A l'occasion de la sortie de Que viva Eisenstein !, nous avons longuement rencontré le réalisateur Peter Greenaway pour une conversation à bâtons rompus sur Sergueï Eisenstein, Eros et Thanatos, le cinéma de propagande, le présent et l'avenir du cinéma, la Russie...

Le film, qui était présenté en compétition au Festival de Berlin 2015, marque pour la première fois l'incursion de Peter Greenaway sur le terrain du "biopic" de réalisateur. S'il s'était par le passé penché sur plusieurs peintres, dont Rembrandt et Goltzius, et même réalisé un hommage au 8 et demi de Fellini, c'est en effet la première fois que le cinéaste britannique se penche sur l'un de ses "confrères", et non des moindres, puisqu'il s'agit de l'inventeur du cinéma moderne, le Russe Sergueï Eisenstein.

Hommage non affecté, flamboyant et virtuose, Que viva Eisenstein ! aborde les thèmes favoris de Greenaway à travers une mise en scène bourrée d'effets, de références et d'humour qui rappellent que la force première du cinéma est avant tout visuelle. Un plaidoyer fulgurant au service de la vision très spécifique que le réalisateur a développé autour du cinéma.

VOYAGE EN 11 THÈMES DANS LA PENSÉE FOISONNANTE DE PETER GREENAWAY





Eisenstein

J’ai étudié Eisenstein toute ma vie. Je l’ai découvert à 17 ans et il m’a fasciné. J’ai essayé de voir tout ce qu’il avait fait. Par exemple, il y a 32 versions différentes du Cuirassé Potemkine car la distribution n’était pas bonne dans les années 20. La version qu’on voyait à un endroit n’était pas forcément la même qu’à un autre. Il manquait des morceaux, les gens prenaient des petits bouts de pellicule, ils ajoutaient des images parce que le film n’était pas assez long… Bref, il y avait plein de versions différentes, et je pense que je les ai quasiment toutes vues. Et si vous pensez au film mexicain qui n’a jamais été fini, Que viva Mexico !, il en existe dix versions, faites en Californie, en Russie...

Eisenstein était aussi un grand professeur. Il a beaucoup écrit, on découvre encore certains de ces écrits qui n’ont pas été publiés à l’époque. J’ai lu tout ce qui est disponible avec plaisir et excitation, dans l’idée de découvrir encore et encore Eisenstein.

A la fin des années 90, je suis allé au Mexique. J’étais invité par un festival. Je suis allé à Guanajuato et j’ai été très impressionné par cette ville qui a un musée des morts. Il n’y a pas tant d’endroits au monde où vous pouvez regarder la mort… Cela a impressionné Eisenstein. Et en visitant la ville, j’ai découvert qu’il y avait autrefois une mine d’argent à cet endroit, de nombreuses galeries persistent, qui sont toujours utilisées.

J’ai fini par penser que ce serait amusant de faire un documentaire sur Eisenstein au Mexique, essayant et échouant à faire ce film. On était alors en 2003, 2004. J’étais de plus en plus intrigué par Eisenstein. Il m’avait toujours fasciné en tant que personnage. J’ai pensé que je pourrais réunir tous les rushes tournés au Mexique (il y en a des quantités incroyables ! ) et voir si je pouvais les assembler pour montrer, déjà, quel formidable monteur était Eisenstein, et expliquer les raisons de son échec. Mais j’étais tellement intrigué que j’avais aussi envie de faire le portrait de la ville de Guanajuato. Et à ce moment-là, j’ai commencé à lire la correspondance d’Eisenstein avec sa secrétaire, qui deviendrait plus tard sa femme, Pera Atasheva. Ils s’appellent à deux reprises dans le film, et les propos qu’ils échangent viennent directement de ces lettres. Je pense qu’Eisenstein a su très tôt que ses préférences sexuelles allaient vers les hommes, et non vers les femmes. Lui et Pera étaient très proches, et elle était amoureuse de lui. Je suppose que c’était un mariage de convenance car à partir de 1933, l’homosexualité est devenue un véritable problème. Les gens étaient exécutés ou empoisonnés, ou alors ils disparaissaient et étaient envoyés en Sibérie. Tout cela m’a intrigué. Tout le monde peut lire cette correspondance, et voir comment il raconte l’aventure qu’il a eue au Mexique. Il y a une phrase où il dit "Il fallait que je vienne au Mexique pour trouver le paradis." Bref, voilà d’où viennent mes informations.

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