Sara Forestier
Sara Forestier. Elle trouve que son nom est passe-partout, alors elle emprunte celui de Bahia BenMahmoud pour Le nom des gens. Rencontre avec une actrice nature et généreuse.



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A l'occasion de la sortie de Que viva Eisenstein !, nous avons longuement rencontré le réalisateur Peter Greenaway pour une conversation à bâtons rompus sur Sergueï Eisenstein, Eros et Thanatos, le cinéma de propagande, le présent et l'avenir du cinéma, la Russie...

Le film, qui était présenté en compétition au Festival de Berlin 2015, marque pour la première fois l'incursion de Peter Greenaway sur le terrain du "biopic" de réalisateur. S'il s'était par le passé penché sur plusieurs peintres, dont Rembrandt et Goltzius, et même réalisé un hommage au 8 et demi de Fellini, c'est en effet la première fois que le cinéaste britannique se penche sur l'un de ses "confrères", et non des moindres, puisqu'il s'agit de l'inventeur du cinéma moderne, le Russe Sergueï Eisenstein.

Hommage non affecté, flamboyant et virtuose, Que viva Eisenstein ! aborde les thèmes favoris de Greenaway à travers une mise en scène bourrée d'effets, de références et d'humour qui rappellent que la force première du cinéma est avant tout visuelle. Un plaidoyer fulgurant au service de la vision très spécifique que le réalisateur a développé autour du cinéma.

Propagande, vous avez dit propagande ?

Bien sûr, c’est un problème : est-ce que les gens ont assez de connaissances sur Eisenstein pour comprendre pleinement ce qu’on fait ? Le film est sardonique, il est critique envers le cinéma de propagande, envers le cinéma de propagande soviétique. Vous savez, Lénine pensait que le cinéma était absolument idéal pour la Russie car 95% de la population russe était illettrée à l’époque. Donc faire du cinéma de propagande était primordial. Staline l’a compris lui aussi bien sûr, et l’a encouragé à outrance.

Mais vous savez, il y a une chose étrange au sujet de la propagande. J’ai été particulièrement irrité quand les gens ont rejeté Eisenstein en disant : "c’est de la propagande soviétique". Mais la chapelle Sixtine de Michel-Ange est de la propagande pour le catholicisme !!! Personne ne se plaint que Michel-Ange ait fait de la propagande !

Les Russes

Les Russes ne sont pas particulièrement chaleureux à l’égard du film, pour toutes sortes de raisons politiques. Ils n’apprécient pas de découvrir que leur plus grand réalisateur était gay, ce qui nous semble plutôt étrange ici en Europe de l’ouest car nous sommes beaucoup plus détendus à ce sujet. Je pense que ce qui les irrite le plus, c’est que je ne me sois pas agenouillé devant la figure d’Eisenstein. Que je ne l’ai pas vénéré.

J’ai reçu beaucoup de messages haineux de Russie parce que j’ai osé parler de l’homosexualité d’Eisenstein. Pour eux, c’est un trésor national qu’on est supposé révérer. Mais c’est étrange car de nombreux Russes ont vu le film à Berlin et maintenant nous sommes invités au Festival du film de Moscou ! Nous aurons même une distribution en Russie ! Je trouve ça très étonnant. On m’a conseillé de ne pas y aller en personne. Je ne veux pas paraître mélodramatique mais certains messages étaient particulièrement violents. Je suis sûr que je serais parfaitement protégé là-bas mais il pourrait y avoir des perturbations peu plaisantes pour le festival lui-même.

Eros et Thanatos

Personnellement, j’ai toujours été intéressé dans mon cinéma par Eros et Thanatos : le tout début de notre vie, la tout fin, qui n’est pas vraiment négociable. Tout le reste est négociable, en fonction de l’argent, des circonstances, de la nationalité, de l’éducation… Il y a sept milliards d’êtres humains sur terre et je sais, à l’exception des bébés éprouvette, qu’il a fallu pour chacun d’eux que deux personnes fassent l’amour. Et je suis vraiment désolée, mais chacun d’entre eux va mourir un jour. Et j’ai fait beaucoup de recherches, et j’ai découvert que le concept de sexe et de mort, Eros et Thanatos, étaient très importants pour Eisenstein. Et donc j’ai décidé de faire une sorte d’essai sur ce sujet. Son séjour à Guanajuato n’a duré que dix jours. Dans l’ouest, Octobre est souvent appelé d’après le titre original du livre de John Reed dont il s’inspire : Dix jours qui ébranlèrent le monde. Donc le sous-titre du film est Dix jours qui ébranlèrent Eisenstein.

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