Critique

ON NE PEUT PAS PLAIRE À TOUT LE MONDE

" Je suis belle et riche, alors que tu es laide et pauvre ! "

Les films de François Ozon peuvent faire l'objet d'un rejet pur et simple, ou alors séduisent, pernicieusement, comme un poison qui nous drogue. 8 femmes n'échappe pas à cette règle, même si l'œuvre est sans doute la plus ambitieuse, et au final sa plus audacieuse. Bien meilleur que son autre huis - clos, Sitcom, aussi stylisé que Gouttes d'eau sur pierres brûlantes, sa dernière folie ne ressemble à rien de ce que vous pouvez attendre d'une comédie policière. Bien sûr, en surface, il y a cet aspect " Agatha Christie ", plaisant, nostalgique. On retrouve aussi la maîtrise d'un décor (et de l'escalier hitchcockien) et d'une enquête à l'instar de La Corde (Hitchcock, toujours). Mais Ozon va plus haut dans les sphères du maniérisme, du mélange des genres et d'un véritable hommage au cinéma, et à son amour pour la diversité culturelle. La comédie musicale version On connaît la chanson, les dialogues cultes ou encore la direction artistique volontairement " kitsch ", le tout avec un réel perfectionnisme, des chorégraphies loin d'être improvisées et 8 actrices hors pair vous donnent un OVNI du cinéma. Du cadre au montage en passant par les costumes, 8 femmes, sous des apparences faciles, est complexe et étudié. Au premier coup d'œil, on n'accroche pas forcément, au second, on est visiblement conquis.
Il y a trois niveaux de lectures dans chacune des phrases prononcées. Le premier degré vous permet de suivre une histoire, celle du meurtre du seul homme au foyer. Comme à son habitude, Ozon tue le père. Un couteau planté par l'une des 8 vipères.
Interrogatoires, suspicions, aveux… Le second degré est plus subtil, puisqu'il égraine, avec une certaine jubilation, des répliques assassines. Vacheries, vengeances, insultes… On en vient à croire que ses phrases ne sont pas innocentes et qu'il y a une perversion de la part du cinéaste à les avoir glissées dans les bouches des actrices, de ces " rivales " du 7ème Art. Enfin, le troisième degré, plus opaque, est lié au cinéma français. Une réplique de Truffaut - Deneuve dit à Ledoyen : " Te voir à mes côtés est une joie, mais aussi une souffrance ", phrase qu'elle entend dans La Sirène du Mississipi ET dans Le dernier Métro - une photo de Romy Schneider, … Truffaut encore dans ce face à face de la brune et la blonde, d'Ardant et Deneuve, qu'Ozon fusionne au final, comme pour mieux les réconcilier. La même Deneuve qui doit affronter la jeunesse et la beauté de Béart, opposée à un tableau ressuscitant l'héroïne de Demy au temps de Mayerling.
Il y a une sorte de mythification de chacune des 8 femmes. Le final les rend toutes belles, unies. Mais pendant près de deux heures, on a le droit à un combat de catch verbal, où 8 chiennes de garde s'entredéchirent : Huppert crache, tire les cheveux de la Deneuve, tandis qu'Ardant préfère une lutte au sol et au corps, sans parler de l'hystérie éthylique d'une Darrieux qui veut qu'on la tue. Le plaisir du spectateur réside bien dans ces séquences cultes - trop nombreuses pour être énumérées. Certaines sont émouvantes (Deneuve faisant un bisou à Huppert), d'autres plus drôles (Darrieux se laissant étrangler par Huppert). Il est à noter que chacune ont leur morceau d'humiliation et leur scène de bravoure, chacune a sa chanson (du meilleur : Huppert, au pire : Béart), toutes font leur mutation à l'épreuve de la vérité. Si au départ, on sent la caricature (Huppert en acariâtre, Deneuve en mystérieuse féline, Ledoyen en prétentieuse candide, …), le film donne un vrai rôle de composition à de grandes comédiennes, même si certaines bouffent davantage la caméra que d'autres (citons Huppert, Deneuve, Darrieux, Ardant et la révélation pêchue, Sagnier).
Famille je vous hais ? Derrière ces horreurs dîtes, dans une époque coincée, Ozon révèle les mensonges de chacun, et l'amour bizarre qu'on peut se porter, par de là les castes et les méchancetés. Toutes égales. Toutes plus tolérantes. Plus vraies. Ces 8 femmes étaient prêtes à se trucider pour garder leur secret. La vie leur permet finalement de s'affranchir de leur éducation et de leur morale, pour mieux s'aimer. Et ne plus mettre la tête sous le sable, de peur que le bonheur ne se sauve. Dans ce millefeuille généalogique, où chaque strate révèle les tourments, les angoisses féminines, le réalisateur parvient à nous divertir et nous donner envie de revoir un film étrange, théâtral, mais jouissif.

Vincy  

 (C) Ecran Noir 1996-2002
 Dossier préparé par: Vincy - PETSSSsss - Chris - Serge - Hervé - Agnès