En seulement dix films (cinq courts-métrages et cinq longs, dont « Goutte d’eau sur pierres brûlantes » avec Bernard Giraudeau et «Sous le sable » avec Charlotte Rampling) le jeune François Ozon (34 ans) a réussit à s’imposer dans la cour
des grands. Rien ne semblent résister à ce provocateur qui a réussit à imposer son style, passant de la comédie déjantée
("Gouttes d'eau sur pierre brûlantes", 1999) au film gore ("Les amants criminels", 1998) sans omettre l'humour
décapant ("Sitcom", 1997).
Dans « Huit femmes », il a dirigé la crème des actrices françaises : Catherine Deneuve (« Indochine », « Le dernier
métro », « Dancer In the dark », « Les demoiselles de Rochefort »), Virginie Ledoyen (« De l’amour », « La plage »),
l’étonnante Isabelle Huppert (« La pianiste », « Merci pour le chocolat »), Firmine Richard (« Romuald et Juliette » avec
Daniel Auteuil), Emmanuelle Béart (« Les destinées sentimentales », « Jean de Florette »), Ludivine Sagnier (« Gouttes
d’eaux sur pierres brûlantes ») et Fanny Ardant (« Pédale Douce »).Rien que ça.
Teint hâlé, sourire en coin. Rencontre avec un homme décontracté et confiant en lui-même.
Ecran Noir : D’où vous est venu l’idée de faire ce film ?
François Ozon : « Depuis longtemps l’idée de faire un film sur les femmes me trottait dans la tête. J’ai revu dernièrement le
« Women » de George Cukor et me suis alors renseigné sur les droits de la pièce dont il s’était inspiré. J’appris très vite
que les droits du remake étaient déjà retenus à Hollywood depuis quelques années par Meg Ryan et Julia Roberts. J’ai
donc abandonné mon idée d’un « Women » à la française mais grâce à l’aide de Dominique Besnéhard j’ai découvert une
pièce policière des années 60. : « Huit femmes » de Robert Thomas, écrivain tombé dans en désuétude mais qui connut
son heure de gloire dans le théâtre de boulevard des années 70. Il fit fortune grâce à l’achat d’une des ses autres pièces
par Alfred Hitchcock qui voulut l’adapter au cinéma mais mourut trop top pour le réaliser.
« Huit femmes » m’a tout de suite semblé idéal pour ce projet d’un film au féminin. De la pièce j’ai retenu essentiellement
la situation et l’intrigue policière que j’ai simplifiée. J’ai essayé par ailleurs de renforcer l’humour tout en apportant de la
profondeur aux personnages et en rendant plus complexes et modernes les rivalités et les relations familiales entre ces huit
femmes.».
E.N : Quelle était votre volonté première en réalisant ce film ?
François Ozon : « Avec huit femmes je souhaitais réaliser un portrait de groupe et non pas me concentrer sur chaque
individualité, sur chaque actrice. J’ai transformé la pièce de théâtre, en la rendant plus vivante, plus amusante. Je
souhaitais faire une comédie doublée d’un suspense policier classique renvoyant aux intrigues à la Agatha Christie et
rappelant les films de huit clos où le meurtrier fait partie du groupe. Mais derrière cette lecture au premier degré j’ai voulu
engager une réflexion légère et amusante sur la féminité …
Je voulais ainsi atteindre une autre dimension qu’un simple Cluedo, un récit policier foncièrement intriguant pour le
spectateur. Et dépeindre le portrait d’une famille, des femmes et accessoirement réaliser une allégorie sur le monde du
cinéma. »
E. N : Au générique chaque femme est symbolisée par une fleur …
François Ozon : « J’ai en effet associé pour chaque actrice une fleur : par exemple Firmine Richard est associée à un
tournesol. Au départ chaque actrice devait être symbolisée par une volaille. Emmanuelle Béart devait être ainsi une dinde
…(rires). Puis je me suis très vite ravisé, j’ai préféré être plus galant…
La fleur fait davantage travailler l’imagination, joue l’aspect métaphorique. Rien n’est hasard : la blancheur de la pâquerette
d’Emmanuelle Béart évoque bien évidemment la pureté. Cependant je n’ai pas voulu trop insister sur les allégories, ce
n’était pas ma volonté première. J’ai simplement demandé à Catherine Deneuve quelques conseils, car elle adore la
botanique…»
E.N : L’attrait du film réside essentiellement sur le côté star de chaque actrice …
François Ozon : « Je ne suis pas d’accord. Il me tarde que le film soit diffusé à l’étranger, afin que « Huit femmes » soit
davantage perçu comme un film de femmes qu’une œuvre avec huit stars. Certes, je joue sur leur image, sur la classe de
Catherine Deneuve, la fragilité d’Emmanuelle Béart, la bonhomie de Firmine Richard, l’élégance de Fanny Ardant, la beauté
naturelle de Virginie Ledoyen. Mais j’ai surtout choisit chacune d’entre elle pour leur talent. Chaque personnage féminin
révèle une nouvelle facette au cours du film à l’instar du crêpage de chignon entre Ardant et Deneuve. Toutes veulent sauver
leur peau.
Comme pour « Gouttes d’eau sur pierres brûlantes » adapté d’une pièce de Rainer Werner Fassbinder, « Huit femmes »
est un film anti-naturaliste qui privilégie l’artifice au profit de la beauté et du glamour féminin. Toutes les actrices devaient
être belles et faire rêver le spectateur. Les cruautés et les horreurs qu’elles s’adressent n’ont plus que d’éclat d’étrangeté et
de valeur ».
E.N : Vos films ne sont pas dénués d’une certaine forme insolence. « Huit femmes » ne fait pas exception …
François Ozon : « Mais les actrices ne demandent que çà ! Je crois que les femmes sont prêtes à prendre davantage de
risques que les hommes. Je ne crois pas que nous aurions tourné des acteurs, car ils ont en général un ego plus
démesuré.
L’insolence est ici justifié à mon sens. « Huit femmes » se veut drôle, acide voir grinçant. L’escalade dans l’horreur, comme
la bouteille qui frappe le crâne de Danielle Darrieux, doit être jouissive pour le spectateur. Si toutes les actrices étaient de
gentilles fleurs se serait ennuyeux … »
E N : Pourquoi avoir situé l’action dans les années cinquante ?
François Ozon : « Situer l’action dans les années cinquante a permit de rendre plus crédible la situation extravagante de
ses femmes en cage, ainsi que les rebondissement rocambolesques qui se produisent, qui sont perçus comme autant
d’effets d’artifices.
Mais plus que les années cinquante françaises, souvent en noir et blanc dans les films sombres de Julien Duvivier et autres
Claude Autant-Lara, mes références viennent plus des mélos flamboyants de Douglas Sirk et des couleurs du Technicolor
des comédies musicales de Vincente Minnelli. »
E.N : Chaque personnage a droit à sa chansonnette …
François Ozon : « Les chansons reprisent par les actrices du film sur des arrangements des années cinquante participent
à ce travail de distanciation et permettent à chaque personnage féminin de dévoiler son intériorité comme dans un
monologue à la fois drôle et émouvant.
Je souhaitais faire plaisir au spectateur, sans aucune volonté de coller à la réalité des années
cinquante. J’avais bien conscience que chaque actrice n’était pas une Céline Dion avec une voix de cristal. J’ai accordé
beaucoup d’importance en revanche à leur interprétation, qui devait être personnelle. »
E.N : Le père n’est-t-il pas finalement le vrai héros du film ?
François Ozon : « J’ai un moment pensé un moment faire interpréter le père par Gérard Depardieu ou Alain Delon, avant de
me raviser …
Dans beaucoup de mes films l’homme est présenté comme fade et lâche, tandis que les femmes souvent les héroïnes.
Dans « Sous le sable » par exemple, Bruno Crémer n’est pas le héros. Les victimes ne sont pas des héros face à des
femmes fortes comme Catherine Deneuve ou Fanny Ardant… »
Propos recueillis par Hervé – Février 2002