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| TERENCE YOUNG
L'espion qu'il haïssait... |
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26 janvier 1962. Pour dire la vérité, ce petit film d'espionnage, personne n'y croit. Sur une plage de Jamaïque, où l'équipe s'apprête à faire la première prise, le soleil caresse le sable et les cuisses d'une suissesse : Ursula Andress. C'est son mari, John Dereck, qui l'a poussé dans ce plan minable. Il espère qu'elle deviendra un sex-symbol afin de pouvoir la faire poser nue dans les magazines. Elle, est morte de peur face à la caméra. L'¦il morve, le metteur en scène, Terence Young, constate l'ampleur des dégâts ; un budget minuscule (900.000 $), un plan de travail aussi serré que le cou d'un pendu et un ouragan qu'on annonce à l'horizon qui pourrait bien balayer le plateau à la place de la régie. Et puis il y a l'autre, là. Le crétin, le sadique, le goujat au niveau intellectuel proche du zéro absolu. Avec un Walter PPK à la place du sexe et une panoplie de gadgets en guise de cervelle. Young le déteste. Mais il a été payé pour en faire une icône. On compte sur les suites ; les producteurs ont acheté la série, à l'exception du premier : " Casino Royal ". James Bond qu'il s'appelle. Dans celui-ci, il se bat contre Docteur No et " no ", à la réflexion, c'est peut-être ce qu'il aurait du dire... Heureusement, il y a l'écossais. Young s'entend bien avec ce jeune Sean Connery qu'il a déjà fait tourner en 1957 dans " Au bord d'un volcan ". A l'origine, on voulait lui imposer David Niven, puis Richard Burton, Michael Caine, Rex Harrison, Patrick McGoohan et même Roger Moore (jugé finalement trop peu viril !). Mais Connery a décroché le rôle grâce à un sondage du Daily Express. Les lecteurs (surtout les lectrices) l'ont choisi parmi plus de mille candidats. Par chance, le producteur, Cubby Broccoli, l'avait aussi repéré dans un tout petit film des studios Disney. Non seulement Sean est venu à l'audition sans cravate, mais il a même refusé de tourner un essai. Ce rebelle plaît bien à Young. Et la production l'a engagé en acceptant les 6000 Livres (tu parles !) qu'il réclamait pour le rôle. Moteur ! Telle la Venus de Boticelli, poignard à la hanche et coquillage à la main, la suissesse sort de l'onde, subjuguant l'équipe. Diable ! Et si après tout on tenait quelque chose ? SOS ; du sexe, de l'or, du sang...
Né le 20 juin 1915 à Shanghaï, Terence Young était prédestiné pour porter à l'écran les élucubrations du plus célèbre des espions de Sa Majesté. Fils d'un commissaire britannique du secteur international de Shanghaï, il poursuit sa scolarité à Cambridge où il fait montre rapidement d'excellents résultats au cricket, au rugby et au tennis. Puis il se passionne pour le cinéma, écrit quelques critiques pour le journal du campus et devient stagiaire aux studios BIP. Devenu l'un des scénaristes les plus en vue de Grande-Bretagne, la Seconde Guerre mondiale l'embarque néanmoins loin des rêves, mais lui donne l'expérience du risque et de l'héroïsme : deux blessures lorsqu'il sert dans la célèbre division blindée britannique, puis en qualité d'aide de camp du Général de Gaule, à Londres. De cette période, il se souvient plus particulièrement de l'engueulade dont il fut témoin entre de De Gaule et Churchill sur le sort des français exilés dans un camp de la banlieue londonienne. A l'armistice, il redevient scénariste, puis assistant pour Jacques Feyder, Joseph von Sternberg, King Vidor et même de notre René Clair national sur " Fantômes à vendre " en 1946. Il passe à la mise en scène deux ans plus tard avec " La gloire est à eux ", enchaîne sur " L'étrange rendez-vous " en 1947, film fantastico-poétique où il se fait définitivement remarquer. Il aligne dès lors les films d'action tels " Trois des chars d'assaut " (1950), " Les bérets rouges " (1953), " Les quatre plumes blanches " (1956) ou " La brigade des bérets verts " (1959). Son style et sa personnalité, qui font dire à ses collaborateurs qu'il n'est pas aussi éloigné du personnage qu'il hait, l'idéalisent comme l'honnête artisan à même de pouvoir donner chair, sang et martini dry à 007. " Au début, je n'avais pour seul repère que des livres, qui ne sont ni drôles ni sophistiqués ", se justifiait-il. " Je me suis dit qu'on ne pouvait pas traiter le sujet au premier degré, cela aurait fait trop série B. Sean a beaucoup apporté ; tous deux, nous rivalisions pour trouver des idées drôles. Seule la petite touche d'humour permettait de sauver les choses ". Young impose dès " Dr No " le désormais incontournable pré-générique qu'il avoue avoir pompé, pour ce premier épisode, au début de " Juarez " de Paul Muni (oui, oui, celui qui incarnait Scarface dans le film de Hawks en 1932 !). Le succès l'impose pour le second volet. Avec plus d'argent, plus de moyens, plus de gadgets et donc plus de folie. Pour " Bons baisers de Russie " en 1963, le plus rentable de la série à ce jour, il met le feu à deux hectares de friches et manque de brûler vif avec son équipe. Il claque la porte alors que la sortie du film créé des émeutes à l'entrée des salles et c'est du coup Guy Hamilton (qui en signera trois autres), en 1964, qui réalise le plus estimé de la période Sean Connery : " Goldfinger ". Cette fois, les portes vitrées du cinéma Marignan à Paris explosent littéralement sous la pression de la foule venue à la première du film. Les recettes gonflent et, fait immuable, les budgets aussi. On rappelle Young pour " Opération Tonnerre " (Dont " Jamais plus jamais " d'Irvin Kerchner, en 1983, est le remake avec un Sean Connery/Bond vieillissant). Beaucoup d'argent, mais peu de temps. Le tournage est précipité et Terence Young laisse à son monteur Peter Hunt (qui réalisera en 1967 " Au service secret de sa majesté " avec le transparent australien George Lazenby, ex-vendeur de voitures, dans le rôle de Bond) le soin de tripatouiller un semblant de quelque chose avec les rushes. " Plus j'avais d'argent, moins j'avais de plaisir, confiait-il. Pour " Dr No ", nous ne savions pas que le succès était au bout mais qu'est-ce que nous nous sommes amusés . Pour " Opération Tonnerre ", nous étions tellement suffoqués par le fric que ça en devenait cynique ". Dès lors, Young abandonne définitivement l'enfant maudit qu'il a autant fait naître que son auteur, Ian Fleming, pour le laisser à d'autres parents adoptifs. " J'ai dit que je ne l'aimais pas beaucoup, confirmait-il. On a exagéré en disant que je le traitais de nazi. J'ai dit et je le répète, qu'intellectuellement, c'est un pauvre type, une brute. Jamais on ne parle d'un livre qu'il a lu, d'un spectacle qu'il a vu. Comme j'ai été communiste dans ma jeunesse, on a pris ça pour une opinion politique. C'est faux ! Il n'y aucun sens politique dans " James Bond ". Fleming l'a juste dépeint comme un bouledogue britannique ! ". Il rajoutera à la fin de sa carrière, à la vue du travail de ses pairs (John Glen en tête, ancien réalisateur/cascadeur seconde équipe passé premier pour " Rien que pour vos yeux " en 1981 jusque " Permis de tuer " en 1989) : " Maintenant, Bond est devenu la caricature d'une caricature. Les effets spéciaux et les gadgets ont pris le pas sur les acteurs. Il n'y a eu qu'un authentique Bond à l'écran, c'est Sean. Il était parfait pour le rôle, mais, surtout, il a réussi à devenir le personnage. Roger Moore est un excellent acteur, qui plus est un ami, mais il ne fait pas le poids, physiquement. Il dit d'ailleurs souvent : " Je suis un pussycat, je ne suis pas un tigre ". Alors il a tiré James Bond vers le personnage de Boulevard. Quant à Timothy Dalton, il lui a manqué d'être bien dirigé. " Dès lors, la carrière de Terence Young s'entache de films justes honnêtes dont on retiendra " Mayerling " en 1968 avec Catherine Deneuve et Ava Gardner, " Soleil Rouge " (1971), western nippon avec Delon, Charles Bronson et l'acteur fétiche de Kurosawa, Toshiro Mifune, ou " Cosa Nostra " (1974), film de mafia surfant sur la vague du " Parrain ". Quant à nos mamans, elles pleurent tous les 25 décembre à la rediffusion de " L'arbre de Noël " (1968), insupportable mélo avec Bourvil et William Holden. " S'il n'y a pas de mouvements dans un film, je meurs ! " se plaisait-il à répéter. Retiré sur la Riviera cannoise depuis trente ans, il s'y éteint donc en toute logique le 8 septembre 1994. Sans avoir accompli son rêve : mettre en scène un opéra. Il fallait mourir un autre jour...
- Arnaud
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